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Ariane Web: Conseil d'État 387780, lecture du 10 février 2015, ECLI:FR:CEORD:2015:387780.20150210

Décision n° 387780
10 février 2015
Conseil d'État

N° 387780
ECLI:FR:CEORD:2015:387780.20150210
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN, avocats


Lecture du mardi 10 février 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu, 1°, sous le n° 387780, la requête, enregistrée le 9 février 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'association Magic Fans 1991, représentée par son président, dont le siège social est situé zone industrielle du puits Camille, à Saint-Etienne (42000) ; l'association requérante demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 6 février 2015 par lequel le ministre de l'intérieur a interdit, le 10 février 2015 de zéro heure à minuit, jour de la rencontre entre le Red Star Football Club et l'AS Saint-Étienne, le déplacement individuel ou collectif, par tout moyen, de personnes se prévalant de la qualité de supporter de l'AS Saint-Étienne ou se comportant comme tel, entre, d'une part, les communes des départements de la Loire, du Rhône, de la Drôme, de l'Ardèche, de la Haute-Loire, du Puy de Dôme, de l'Allier, de la Saône et Loire et de la Loire et, d'autre part, la ville de Paris ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie, dès lors, d'une part, que l'arrêté prend effet le 10 février 2015 et, d'autre part, que plusieurs membres des deux associations ont organisé leur voyage en vue d'assister à cette rencontre ;
- l'arrêté litigieux porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir, à la liberté d'association, à la liberté de réunion et à la liberté d'expression ;
- en effet, l'interdiction litigieuse, qui présente un caractère général et absolu, n'est ni nécessaire au regard des impératifs d'ordre public, ni, en tout état de cause, proportionnée, dès lors que d'autres mesures appropriées auraient été de nature à atteindre le même but ;
- la rencontre entre l'AS Saint-Etienne et le Red Star ne provoque aucun risque de trouble grave à l'ordre public ; la configuration du stade Jean Bouin, qui héberge la rencontre, est sans incidence sur ce point ;
- l'arrêté litigieux, qui présente un caractère tardif, porte atteinte au principe d'égalité dès lors qu'il traite différemment les supporters selon leur domiciliation ;


Vu, 2°, sous le n° 387781, la requête, enregistrée le 9 février 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'association de Lutte pour un Football Populaire, représentée par son président, dont le siège social est situé 29 rue comte A...à Saint-Etienne (42100) ; l'association requérante demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 6 février 2015 par lequel le ministre de l'intérieur a interdit, le 10 février 2015 de zéro heure à minuit, jour de la rencontre entre le Red Star Football Club et l'AS Saint-Étienne, le déplacement individuel ou collectif, par tout moyen, de personnes se prévalant de la qualité de supporter de l'AS Saint-Étienne ou se comportant comme tel, entre, d'une part, les communes des départements de la Loire, du Rhône, de la Drôme, de l'Ardèche, de la Haute-Loire, du Puy de Dôme, de l'Allier, de la Saône et Loire et de la Loire et, d'autre part, la ville de Paris ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


elle invoque les mêmes moyens que la requête n° 387780 ;


Vu l'arrêté dont la suspension de l'exécution est demandée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 9 février 2015, présenté par le ministre de l'intérieur, qui conclut au rejet des requêtes ;

il soutient que :
- les requêtes sont irrecevables dès lors qu'aucune des deux associations requérantes n'a produit ses statuts ;
- l'arrêté litigieux ne porte aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, eu égard aux troubles prévisibles à l'ordre public que génèrerait la présence de supporters stéphanois dans un stade inadapté pour la rencontre ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 10 février 2015, présenté par les associations requérantes, qui concluent aux mêmes fins et par les mêmes moyens que ceux invoqués dans leur premier mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code du sport ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Magic Fans 1991 et l'association de Lutte pour un Football Populaire, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 10 février 2015 à 14 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Nicolaÿ, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association Magic Fans 1991 et de l'association de Lutte pour un Football Populaire ;

- le représentant de l'association Magic Fans 1991 ;

- le représentant de l'association de Lutte pour un Football Populaire ;

- les représentants du ministre de l'intérieur ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;


1. Considérant que les requêtes de l'association Magic Fans 1991 et de l'association de Lutte pour un Football Populaire demandent la suspension de l'exécution du même arrêté ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 332-16-1 du code du sport : " Le ministre de l'intérieur peut, par arrêté, interdire le déplacement individuel ou collectif de personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public " ; que le ministre de l'intérieur a pris, sur le fondement de ces dispositions, le 6 février 2015, un arrêté, qui interdit, le 10 février 2015 de zéro heure à minuit, jour de la rencontre entre le Red Star Football Club et l'AS Saint-Étienne, le déplacement individuel ou collectif, par tout moyen, de personnes se prévalant de la qualité de supporter de l'AS Saint-Étienne ou se comportant comme tel, entre, d'une part, les communes des départements de la Loire, du Rhône, de la Drôme, de l'Ardèche, de la Haute-Loire, du Puy de Dôme, de l'Allier, de la Saône et Loire et de la Loire et, d'autre part, la ville de Paris ;

4. Considérant qu'il appartient aux autorités de l'Etat d'assurer la préservation de l'ordre public et sa conciliation avec les libertés fondamentales que sont notamment la liberté d'aller et venir, la liberté d'association, la liberté de réunion et la liberté d'expression ;

5. Considérant que les interdictions que le ministre de l'intérieur peut décider, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 332-16-1 du code du sport, présentent le caractère de mesure de police ; que l'existence d'une atteinte à l'ordre public de nature à justifier de telles interdictions doit être appréciée objectivement, indépendamment du comportement des personnes qu'elles visent dès lors que leur seule présence serait susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public, tant au cours de leur déplacement que sur le lieu de la manifestation sportive ; que, lorsqu'il est saisi sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés ne peut faire usage des pouvoirs qu'il tient de ces dispositions que lorsque l'illégalité invoquée présente un caractère manifeste ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, lors de rencontres sportives impliquant l'AS Saint-Etienne, des incidents sont survenus à plusieurs reprises ; qu'ainsi, en 2013 et en 2014, des échauffourées, entraînant des blessures et des dégradations de biens, sont survenues entre supporters des équipes se rencontrant, ainsi qu'entre supporters et forces de l'ordre ; que si la sécurité à l'intérieur du stade incombe au premier chef aux clubs sportifs et si le stade Jean Bouin a été homologué pour accueillir le match du 10 février 2015 par la Fédération française de football, il n'en résulte pas moins de l'instruction que sa configuration, notamment en l'absence de grilles séparatives entre les tribunes et de circuits permettant d'organiser les déplacements des spectateurs de manière à éviter tout contact direct entre eux, n'est pas appropriée à l'encadrement de plusieurs centaines de supporters et constitue, dès lors, une circonstance renchérissant le risque de trouble à l'ordre public ; que, dans ces conditions, et alors même que l'AS Saint-Etienne et le Red Star ne se sont pas rencontrés depuis 2000 et qu'il n'est fait état d'aucune inimitié particulière entre ces deux clubs ou leurs supporters, il ne résulte pas manifestement de l'instruction que l'interdiction litigieuse ne serait pas nécessaire à la préservation de l'ordre public ; qu'il ne résulte pas davantage manifestement de l'instruction que, dans les circonstances de l'espèce, des mesures moins contraignantes que l'interdiction litigieuse, dont le champ d'application est limité aux supporters en provenance des huit départements dont la majorité d'entre eux est originaire et qui a été prise en temps utile, seraient de nature à éviter la survenance des troubles graves à l'ordre public qu'elle a pour but de prévenir, alors même qu'il est soutenu que leur mise en oeuvre n'aurait pas impliqué la présence de davantage de représentants de forces de l'ordre que les quelques 400 mobilisés par les autorités de police, à l'occasion de la rencontre du 10 février 2015 ;

7. Considérant qu'il suit de là qu'aucun des moyens soulevés par les associations requérantes n'est de nature à caractériser l'existence d'une illégalité manifeste portant gravement atteinte à la liberté d'aller et venir, à la liberté d'association, à la liberté de réunion et à la liberté d'expression ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l'intérieur, que les associations requérantes ne sont pas fondées à demander la suspension de l'exécution de l'arrêté du ministre de l'intérieur du 6 février 2015 ; que, par suite, leurs requêtes, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées ;


O R D O N N E :
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Article 1er : Les requêtes de l'association Magic Fans 1991 et de l'association Lutte pour un Football Populaire sont rejetées.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Magic Fans 1991, à l'association de Lutte pour un Football Populaire et au ministre de l'intérieur.