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Ariane Web: Conseil d'État 367884, lecture du 11 février 2015, ECLI:FR:Code Inconnu:2015:367884.20150211

Décision n° 367884
11 février 2015
Conseil d'État

N° 367884
ECLI:FR:CESSR:2015:367884.20150211
Publié au recueil Lebon
6ème / 1ère SSR
M. Samuel Gillis, rapporteur
Mme Suzanne von Coester, rapporteur public
SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET ; FOUSSARD, avocats


Lecture du mercredi 11 février 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 avril et 18 juillet 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. G...B..., demeurant..., Mme M...B..., demeurant à..., demeurant..., au Luxembourg, Mme L...B... épouse H..., demeurant la même adresse, M. Bertrand B..., demeurant ...; M. G...B... et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 12NC01209 du 18 février 2013 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy, d'une part, a annulé, sur recours du garde des sceaux, ministre de la justice, le jugement n° 0902118 du 22 mai 2012 par lequel le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 22 octobre 2009 par lequel ce ministre a déclaré vacant l'office de greffier du tribunal du tribunal de commerce de Nancy, d'autre part, a rejeté leur demande d'annulation de cet arrêté ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 janvier 2015, présentée pour M. G... B...et autres ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Vu le code de commerce ;

Vu la loi du 28 avril 1816 sur les finances ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu le décret n° 55-604 du 20 mai 1955 ;

Vu le décret n° 56-221 du 29 février 1956 ;
Vu le décret n°2005-850 du 27 juillet 2005 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Samuel Gillis, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de M. G...B...et autres, et à Me Foussard, avocat de la SELARL I...-C... -D... et autres ;



1. Considérant qu'en vertu de l'article L. 741-1 du code de commerce, les greffiers des tribunaux de commerce sont des officiers publics et ministériels ; qu'il résulte des dispositions du premier alinéa de l'article 91 de la loi du 28 avril 1816 sur les finances que les greffiers des tribunaux de commerce peuvent présenter à l'agrément du garde des sceaux, ministre de la justice, des successeurs " pourvu qu'ils réunissent les qualités exigées par les lois " et que ces successeurs peuvent être des personnes physiques ou des sociétés civiles professionnelles ; qu'aux termes de l'article L. 742-1 du code de commerce : " Les règles d'accès à la profession des greffiers des tribunaux de commerce sont fixées par décret en Conseil d'Etat " ; que l'article R. 742-24 du même code dispose : " Lorsqu'un office de greffier de tribunal de commerce ne peut être pourvu par l'exercice du droit de présentation, cet office est déclaré vacant par décision du garde des sceaux, ministre de la justice, et il y est pourvu dans les conditions prévues aux articles R. 742-20 à R. 742-23. Les candidats doivent s'engager à payer l'indemnité fixée par le garde des sceaux, ministre de la justice " ;

Sur le pourvoi de M. G...B...et autres :

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au tribunal administratif et à la cour administrative d'appel de Nancy que M. Guy O..., greffier titulaire du tribunal de commerce de Nancy, est décédé le 19 février 2004 et que son droit de présentation a été transmis à ses héritiers ; que ceux-ci ont, dans le cadre de l'exercice de ce droit, proposé la nomination du fils de M. Guy O..., M. G...B..., en qualité de greffier de ce tribunal ; que cette proposition a été rejetée par le garde des sceaux, ministre de la justice par une décision du 16 juillet 2009 ; que, par un arrêté du 22 octobre 2009, le ministre a déclaré vacant cet office et précisé les modalités de dépôt des candidatures à la succession, qui devaient être accompagnées de l'engagement de payer une indemnité de 1 400 000 euros le jour de la prestation de serment ; que, par une décision du 17 décembre 2010, le ministre a nommé la SELARL I...-C... -D... greffière du tribunal de commerce de Nancy ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article R. 311-1 du code de justice administrative : " Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : (...) 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres (...) " ; que l'arrêté attaqué, qui déclare vacant un office de greffier de tribunal de commerce et précise les modalités de dépôt des candidatures à la succession, est relatif à l'organisation du service public de la justice et présente ainsi un caractère réglementaire ; que, conformément aux dispositions qui viennent d'être rappelées, le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre cet acte ; que, dès lors, il appartenait à la cour administrative d'appel de Nancy de relever d'office l'incompétence du tribunal administratif pour connaître de la demande de M. G...B...et autres ; que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 18 février 2013 doit donc être annulé ;

4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821 2 du code de justice administrative ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 3 que le tribunal administratif de Nancy n'était pas compétent pour connaître de la demande de M. G...B...et autres ; qu'en conséquence, il y a lieu d'annuler son jugement du 22 mai 2012 et de statuer directement sur la demande présentée devant lui ;

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

En ce qui concerne la légalité externe :

6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'arrêté litigieux a été signé par M.F..., sous-directeur des professions judiciaires et juridiques au ministère de la justice, qui disposait d'une délégation régulière en vertu des dispositions de l'article 2 du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 3 que l'arrêté déclarant la vacance d'un office de greffier d'un tribunal de commerce présente un caractère réglementaire ; que, par suite, cet arrêté n'était soumis ni à une obligation de motivation en application des dispositions de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ni à l'exigence d'une procédure contradictoire en application des dispositions de l'article 24 la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ; que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, ni les dispositions de l'article R. 742-24 du code de commerce, ni l'exercice du droit de propriété, ni les stipulations de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'imposaient qu'une telle procédure fût mise en oeuvre ;

En ce qui concerne la légalité interne :

8. Considérant, en premier lieu, que si les dispositions de l'article 91 de la loi du 28 avril 1816 sur les finances prévoient que la faculté de présenter un successeur " n'aura pas lieu pour les titulaires destitués ", une telle circonstance ne fait pas obstacle, contrairement à ce que soutiennent les requérants, à ce que l'autorité administrative puisse légalement prononcer la vacance d'un office en application des dispositions précitées de l'article R. 742-24 du code de commerce ;

9. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions citées au point 1 ne subordonnent l'exercice du droit de présentation, en cas de décès ou de cessation de fonctions du greffier d'un tribunal de commerce, à aucun délai ; que l'échec d'une première présentation n'interdit pas aux titulaires de ce droit de présenter un nouveau successeur ; que, toutefois, l'autorité compétente peut, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, déclarer la vacance si l'office n'a pu être pourvu par l'exercice du droit de présentation dans un délai raisonnable ; qu'il lui appartient à cet effet, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de prendre en compte l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment les conditions de fonctionnement du tribunal, la possibilité d'organiser une suppléance, pendant une période qui doit cependant demeurer limitée, et les diligences effectuées par les titulaires du droit de présentation ; que, dans un tel cas, la circonstance que la déclaration de vacance intervienne alors qu'une nouvelle présentation d'un successeur a été faite peu avant ne l'entache pas d'illégalité ;

10. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la suite du décès en 2004 de M. Guy O... et de deux suppléances prononcées par le tribunal de grande instance de Nancy sur le fondement des dispositions de l'article 8 du décret du 20 mai 1955 relatif aux officiers publics ou ministériels et à certains auxiliaires de justice et de celles du décret du 29 février 1956 qui organisent la suppléance d'un office, M. G...B..., qui avait réussi en 2006 l'examen d'aptitude aux fonctions de greffier de commerce, a été nommé, par un jugement du 27 mars 2007, pour une durée d'un an à compter du 10 avril 2007, greffier suppléant ; que les titulaires du droit de présentation ont exercé leur droit au profit de M. G...B...le 28 août 2007 ; qu'ayant été informé que l'intéressé entendait déposer un nouveau dossier de nomination au greffe du tribunal de commerce de Nancy, au bénéfice d'une SELARL à constituer entre lui-même et une autre personne, le garde des sceaux, ministre de la justice a suspendu l'examen de sa demande de nomination ; que la prolongation de la suppléance a été prononcée pour un an par un jugement du tribunal de grande instance de Nancy du 17 mars 2008 ; qu'une mission de l'inspection générale des services judicaires a mis en lumière les difficultés sérieuses de fonctionnement du greffe du tribunal de commerce de Nancy ; que, par un nouveau jugement du 6 novembre 2008, le tribunal de grande instance de Nancy a fait droit à la demande de M. G... B...de désigner à ses côtés, pour exercer la suppléance, deux greffiers suppléants ; que par une décision du 16 juillet 2009, devenue définitive, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté la présentation de M. G...B..., au motif que ses capacités de gestion étaient insuffisantes au regard de la situation de l'office ; qu'à la date de la déclaration de vacance litigieuse, plus de cinq ans s'étaient ainsi écoulés depuis le décès de son titulaire ; que, compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, notamment de la très longue période durant laquelle l'office est demeuré sans titulaire, des dysfonctionnements que connaissait le tribunal de commerce de Nancy et de l'incapacité des titulaires du droit de présentation, en dépit des mesures prises par l'administration pour faciliter en l'espèce l'exercice de ce droit, à soumettre avec succès une candidature, le garde des sceaux, ministre de la justice a pu légalement déclarer la vacance de l'office, alors même qu'une nouvelle présentation d'un successeur lui avait été adressée un mois auparavant ;

11. Considérant, en troisième lieu, qu'en déclarant la vacance de l'office du greffe du tribunal de commerce de Nancy, le garde des sceaux, ministre de la justice, s'est borné, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, à tirer les conséquences de l'impossibilité de pourvoir l'office par l'exercice du droit de présentation au terme d'un délai raisonnable; que les intéressés ont droit à l'indemnité prévue par l'article R. 742-24 du code de commerce, dont le montant a été fixé à 1 400 000 euros en tenant compte de l'estimation réalisée par le bureau du conseil national des greffiers des tribunaux de commerce et des propositions faites par les titulaires du droit de présentation eux-mêmes ; que, contrairement à ce qui est soutenu, le montant de cette indemnité n'est entaché d'aucune erreur manifeste d'appréciation ;

12. Considérant, en quatrième lieu, que les moyens tirés de ce que la mesure litigieuse porterait une atteinte illégale et discriminatoire au droit de propriété des requérants constitutionnellement garanti et méconnaitrait les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ne peuvent, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, qu'être écartés ;

13. Considérant, en cinquième lieu, que le moyen tiré de la méconnaissance des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, anciennement articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne, qui se rapportent à l'interdiction des ententes anticoncurrentielles et des abus de position dominante est inopérant à l'appui d'une contestation de la décision déclarant la vacance d'un office de greffier de tribunal de commerce ;

14. Considérant, en dernier lieu, que le détournement de procédure allégué n'est pas établi ;

15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté qu'ils attaquent ;

16. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; que, contrairement à ce qui est soutenu par les requérants, la SELARL I...-C... -D... et autres sont recevables à présenter des conclusions au titre de ces dispositions ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à ce titre à la charge de M. G...B...et autres la somme de 1 000 euros, à verser à M.I..., la somme de 1 000 euros, à verser à M.C..., la somme de 500 euros, à verser à Mme A...et la somme de 500 euros, à verser à M. K...D..., ces deux dernières personnes venant aux droits de M. J... D...;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 18 février 2013 de la cour administrative d'appel de Nancy et le jugement du 22 mai 2012 du tribunal administratif de Nancy sont annulés.

Article 2 : La demande de M. G...B...et autres et leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : M. G...B...et autres verseront à M. I...la somme globale de 1 000 euros, à M. C...la somme globale de 1 000 euros, à Mme B...A...la somme globale de 500 euros et à M. K...D...la somme globale de 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. G...B...premier requérant dénommé, à la ministre de la justice, garde des sceaux et à la SELARL I...-C... -D..., premier défendeur dénommé. Les autres requérants seront informés de la présente décision par la SCP Delaporte-Briard-Trichet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d'Etat. Les autres défendeurs seront informés par Me Foussard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d'Etat.


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