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Ariane Web: Conseil d'État 381902, lecture du 27 mars 2015, ECLI:FR:Code Inconnu:2015:381902.20150327

Décision n° 381902
27 mars 2015
Conseil d'État

N° 381902
ECLI:FR:CESSR:2015:381902.20150327
Inédit au recueil Lebon
6ème / 1ère SSR
Mme Sophie Roussel, rapporteur
Mme Suzanne von Coester, rapporteur public
SCP MONOD - COLIN - STOCLET, avocats


Lecture du vendredi 27 mars 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 27 juin 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. B...A..., demeurant ... ; M. A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 18 juin 2014 par lequel le Président de la République l'a nommé, dans l'intérêt du service, avocat général près la cour d'appel de Grenoble ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie Roussel, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de M. A...;



1. Considérant que M. B...A..., qui était précédemment procureur de la République près le tribunal de grande instance de Saint-Denis de La Réunion, a, dans l'intérêt du service, été nommé avocat général près la cour d'appel de Grenoble par un décret du Président de la République du 18 juin 2014 ; que l'intéressé demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret ;

2. Considérant, en premier lieu, que, d'une part, le fait de confier à un magistrat hors-hiérarchie un nouvel emploi qui figure, comme l'emploi qu'il occupait précédemment, au nombre des emplois hors-hiérarchie énumérés à l'article 3 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, ne constitue pas une rétrogradation au sens des dispositions de l'ordonnance du 22 décembre 1958 relatives à la discipline des magistrats ; que, d'autre part, il ressort des pièces du dossier que la mutation contestée de M. A...comme avocat général près la cour d'appel de Grenoble a été motivée par le souci de rétablir un fonctionnement serein du parquet du tribunal de grande instance de Saint-Denis de La Réunion, alors que des difficultés relationnelles marquées troublaient le fonctionnement du service et qu'était constaté un climat persistant de défiance entre les magistrats du parquet, portant atteinte en outre, dans la mesure où la presse locale en a fait état, à l'image de l'institution judiciaire ; que, si le procureur général près la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion avait auparavant fait usage des pouvoirs qu'il tient de l'article 44 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature en prononçant à l'encontre de M. A...un avertissement le 5 mai 2014, il ne ressort pas des pièces du dossier que la mutation attaquée, motivée par l'objectif de rétablissement du bon fonctionnement du parquet du tribunal de grande instance de Saint-Denis, aurait revêtu, comme il est soutenu, le caractère d'une sanction disciplinaire déguisée ;

3. Considérant, en deuxième lieu, que si un magistrat ne bénéficiant pas de l'inamovibilité peut être muté d'office dans l'intérêt du service, une telle décision ne peut être prise sans communication préalable de son dossier à l'intéressé ; qu'il ressort des pièces du dossier que possibilité a été donnée à M. A...de consulter son dossier à l'issue de l'entretien du 7 mai 2014 à la direction des services judiciaires ; qu'en outre, M. A...a bénéficié d'un accès électronique à celui-ci à compter du vendredi 23 mai 2014 à partir de 20 heures, soit cinq jours avant son audition par la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature ; que, par suite, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette communication aurait eu lieu dans des conditions irrégulières ;

4. Considérant, en troisième lieu, que si l'article 38 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 énonce que : " Les magistrats du parquet placés hors hiérarchie sont nommés par décret du Président de la République après avis du Conseil supérieur de la magistrature ", ces dispositions ne dérogent pas à celles de son article 28, selon lesquelles les décrets portant nomination de magistrats du parquet sont pris sur proposition du garde des sceaux, ministre de la justice ; que M. A...n'est, par suite, pas fondé à soutenir que la nomination qu'il attaque ne pouvait intervenir sur proposition du garde des sceaux ;

5. Considérant, en quatrième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que le moyen tiré de ce que la proposition de nomination n'aurait pas été adressée aux syndicats et organisations professionnelles représentatifs de magistrats, en méconnaissance des dispositions combinées des articles 27-1 et 37-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, manque en fait et ne peut, dès lors, qu'être écarté ;

6. Considérant, en dernier lieu, que les missions d'information réalisées par les membres du Conseil supérieur de la magistrature auprès de la Cour de cassation, des cours d'appel, des tribunaux et de l'Ecole nationale de la magistrature, prévues par l'article 20 de la loi organique du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, visent à permettre aux membres du Conseil de mieux connaître la situation des tribunaux judiciaires et d'informer les magistrats sur le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature ; que, contrairement à ce qui est soutenu, la circonstance que l'un des membres de la formation du Conseil supérieur de la magistrature ayant rendu un avis sur la proposition de nomination contestée ait participé à une mission d'information à la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion ne saurait conduire, par elle-même, à regarder l'avis du Conseil supérieur de la magistrature comme ayant été rendu en méconnaissance du principe d'impartialité rappelé à l'article 10-2 de la loi organique du 5 février 1994 ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à demander l'annulation du décret qu'il attaque ; que sa requête doit être rejetée, y compris les conclusions qu'il a présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B...A..., au Premier ministre et à la garde des sceaux, ministre de la justice.