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Ariane Web: Conseil d'État 357189, lecture du 7 décembre 2015, ECLI:FR:Code Inconnu:2015:357189.20151207

Décision n° 357189
7 décembre 2015
Conseil d'État

N° 357189
ECLI:FR:CESSR:2015:357189.20151207
Publié au recueil Lebon
3ème / 8ème / 9ème / 10ème SSR
M. Mathieu Herondart, rapporteur
M. Benoît Bohnert, rapporteur public
BALAT, avocats


Lecture du lundi 7 décembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société anonyme Crédit Industriel et Commercial a demandé au tribunal administratif de Montreuil la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2002 et 2003 en sa qualité de société mère du groupe auquel appartenait la société Crédit Industriel d'Alsace-Lorraine. Par un jugement no 0905910 du 27 mai 2010, le tribunal administratif a prononcé la décharge de ces impositions.

Par un arrêt n° 10VE03240 du 13 décembre 2011, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé contre ce jugement par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat.

Par un pourvoi, enregistré le 28 février 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention signée le 5 octobre 1989 entre la France et l'Italie en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Mathieu Herondart, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Balat, avocat de la société Crédit Industriel et Commercial (CIC) ;



1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Crédit Industriel d'Alsace-Lorraine a réalisé pendant de courtes périodes, en 2002 et 2003, des opérations d'emprunt de titres d'une société italienne auprès d'une banque située au Royaume-Uni ; que, conformément à la convention de prêt, la société Crédit Industriel d'Alsace-Lorraine a encaissé les dividendes servis sur ces titres par la société italienne, diminués de la retenue à la source acquittée sur ces dividendes en Italie, puis a reversé immédiatement à la banque britannique une somme correspondant au montant brut de ces dividendes et a ultérieurement acquitté les intérêts courus sur la durée du prêt ; que la société Crédit Industriel d'Alsace-Lorraine a imputé sur le montant de l'impôt sur les sociétés afférent aux exercices clos en 2002 et 2003 des crédits d'impôts correspondant au montant des retenues à la source acquittées en Italie sur les dividendes ainsi encaissés pendant la période d'emprunt des titres ; qu'à l'issue d'une vérification de la comptabilité de cette société, l'administration a remis en cause cette imputation ; que le ministre chargé du budget se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 13 décembre 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son appel formé contre le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 27 mai 2010 accordant à la société Crédit Industriel et Commercial, société-mère du groupe fiscal auquel appartenait la société Crédit Industriel d'Alsace-Lorraine, la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés mises à sa charge à l'issue de cette vérification de comptabilité ;

2. Considérant, d'une part, qu'aux termes du 1 de l'article 220 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " a) Sur justifications, la retenue à la source à laquelle ont donné ouverture les revenus des capitaux mobiliers, visés aux articles 108 à 119, 238 septies B et 1678 bis, perçus par la société ou la personne morale est imputée sur le montant de l'impôt à sa charge en vertu du présent chapitre. / Toutefois, la déduction à opérer de ce chef ne peut excéder la fraction de ce dernier impôt correspondant au montant desdits revenus. / b) En ce qui concerne les revenus de source étrangère visés aux articles 120 à 123, l'imputation est limitée au montant du crédit correspondant à l'impôt retenu à la source à l'étranger ou à la décote en tenant lieu, tel qu'il est prévu par les conventions internationales (...) " ; qu'aux termes de l'article 10 de la convention conclue le 5 octobre 1989 entre la France et l'Italie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales : " 1. Les dividendes payés par une société qui est un résident d'un Etat à un résident de l'autre Etat sont imposables dans cet autre Etat. / 2. Toutefois, ces dividendes sont aussi imposables dans l'Etat dont la société qui paie les dividendes est un résident, et selon la législation de cet Etat, mais si la personne qui reçoit les dividendes en est le bénéficiaire effectif, l'impôt ainsi établi ne peut excéder : / a) 5 p. cent du montant brut des dividendes si le bénéficiaire effectif est une société passible de l'impôt sur les sociétés qui a détenu directement ou indirectement, pendant une période d'au moins 12 mois précédant la date de la décision de distribution des dividendes, au moins 10 p. cent du capital de la société qui paie les dividendes ; / b) 15 p. cent du montant brut des dividendes dans tous les autres cas (...) " ; qu'aux termes des stipulations de l'article 24 de la même convention, relatives à l'élimination de la double imposition dans le cas de la France : " 1. La double imposition est évitée de la manière suivante : (...) a) Les bénéfices et autres revenus positifs qui proviennent d'Italie et qui y sont imposables conformément aux dispositions de la convention, sont également imposables en France lorsqu'ils reviennent à un résident de France. L'impôt italien n'est pas déductible pour le calcul du revenu imposable en France. Mais le bénéficiaire a droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français dans la base duquel ces revenus sont compris. Ce crédit d'impôt est égal : / pour les revenus visés aux articles 10, 11, 12, 16 et 17 (...) au montant de l'impôt payé en Italie, conformément aux dispositions de ces articles. Il ne peut toutefois excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus " ;

3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes du premier alinéa du 1 de l'article 209 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminées d'après les règles fixées par les articles 34 à 45, 53 A à 57, 237 ter A et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale " ; qu'aux termes de l'article 39 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges (...) " ; qu'aux termes de l'article 122 du même code : " (...) le revenu est déterminé par la valeur brute en euros des produits encaissés d'après le cours du change au jour des paiements, sans autre déduction que celle des impôts établis dans le pays d'origine et dont le paiement incombe au propriétaire " ;

4. Considérant que les termes " bénéfices ", " revenus " et " autres revenus positifs " mentionnés à l'article 24 de la convention fiscale franco-italienne ne sont pas autrement définis par cette convention en ce qui concerne les dividendes et doivent, dès lors, être interprétés selon le principe énoncé au paragraphe 2 de l'article 3 de cette convention, aux termes duquel : " Pour l'application de la convention par un Etat toute expression qui n'y est pas définie a le sens que lui attribue le droit de cet Etat concernant les impôts auxquels s'applique la convention, à moins que le contexte n'exige une interprétation différente " ; qu'en l'absence d'élément exigeant une interprétation différente, les " bénéfices ", " revenus " et " autres revenus positifs " auxquels fait référence l'article 24 de la convention fiscale franco-italienne sont ceux déterminés selon les règles fixées par le code général des impôts ;

5. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées du b) du 1 de l'article 220 du code général des impôts, qui définissent le régime applicable aux revenus de source étrangère auxquels cette disposition fait référence, que l'imputation sur l'impôt dû en France de la retenue à la source acquittée à l'étranger à raison des revenus est limitée au montant du crédit d'impôt correspondant à cette retenue à la source tel qu'il est prévu par les conventions internationales ; qu'il résulte des stipulations précitées de l'article 24 de la convention fiscale franco-italienne que, lorsqu'une société soumise à l'impôt en France perçoit des dividendes d'une société italienne soumis à une retenue à la source en Italie, elle est imposable en France sur ces dividendes pour leur montant brut, mais a droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt sur les sociétés ; que, conformément à ces stipulations, ce crédit d'impôt ne peut excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus ; qu'en l'absence de toute stipulation contraire dans la convention fiscale conclue entre la France et l'Italie, ce montant maximal doit être déterminé en appliquant aux dividendes qui ont fait l'objet de la retenue à la source en Italie, pour leur montant brut, l'ensemble des dispositions du code général des impôts relatives à l'impôt sur les sociétés ; que c'est donc sans erreur de droit que la cour a jugé qu'il y a lieu, en application des dispositions de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code, de déduire du montant brut de ces dividendes, pour déterminer le montant maximal du crédit d'impôt susceptible d'être imputé sur l'impôt français, l'ensemble des charges justifiées directement liées à l'acquisition, à la conservation ou à la cession des titres ayant donné lieu à la perception des dividendes, et n'ayant pas pour contrepartie un accroissement de l'actif, sauf exclusion par des dispositions spécifiques ;

6. Considérant, en revanche, que l'article 122 du code général des impôts, en prévoyant que le revenu de valeurs mobilières émises hors de France est déterminé par la valeur brute des produits encaissés sans autre déduction que celle des impôts établis dans le pays d'origine et dont le paiement incombe au bénéficiaire, détermine le revenu à prendre en compte au titre des produits de l'exercice, au sens de l'article 38 du même code, ainsi que le précise d'ailleurs l'article 136 de l'annexe II à ce code, mais ne saurait faire obstacle à l'application des règles fixées par l'article 39 du même code régissant la déduction des charges pour la détermination de l'impôt sur les sociétés et, par suite, pour le calcul du montant maximal du crédit d'impôt imputable au titre des retenues à la source acquittées sur les dividendes de source étrangère perçus par une société soumise à l'impôt en France ; que, par suite, en jugeant que cet article faisait obstacle, pour ce calcul, à la déduction de la rémunération que le bénéficiaire du crédit d'impôt verse, en vertu d'une convention, au prêteur étranger de ces titres, la cour a commis une erreur de droit ; que, dès lors, son arrêt doit être annulé ;

7. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;




D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 13 décembre 2011 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Crédit Industriel et Commercial au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre des finances et des comptes publics et à la société Crédit Industriel et Commercial.


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