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Ariane Web: Conseil d'État 387105, lecture du 20 mai 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:387105.20160520

Décision n° 387105
20 mai 2016
Conseil d'État

N° 387105
ECLI:FR:CECHR:2016:387105.20160520
Publié au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
Mme Angélique Delorme, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP SEVAUX, MATHONNET ; SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY, avocats


Lecture du vendredi 20 mai 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg :
- d'annuler, en premier lieu, l'arrêté du 12 décembre 2011 du président de la communauté urbaine de Strasbourg le suspendant de ses fonctions de directeur de la culture de cet établissement public, en deuxième lieu, la décision du 22 février 2012 de cette même autorité abandonnant les poursuites disciplinaires en cours et engageant contre lui une procédure licenciement pour insuffisance professionnelle et, en troisième lieu, l'arrêté du 6 juillet 2012 prononçant son licenciement pour insuffisance professionnelle ;
- d'enjoindre à la communauté urbaine de Strasbourg de retirer l'ensemble des décisions annulées de son dossier, de le réintégrer et de reconstituer ses droits à compter de son éviction ;
- de condamner la communauté urbaine de Strasbourg à lui verser la somme de 108 805,12 euros en réparation de ses pertes de salaires et la somme de 40 300 euros en réparation du préjudice résultant du caractère abusif de son licenciement.

Par un jugement n°s 1201836, 1204138 du 18 juin 2013, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 13NC01720 du 13 novembre 2014, la cour administrative d'appel de Nancy, faisant partiellement droit à l'appel de M.A..., a annulé ce jugement ainsi que les décisions litigieuses.

Par un pourvoi et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 janvier et 13 avril 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la communauté urbaine de Strasbourg demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt, en tant qu'il lui fait grief ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter intégralement l'appel de M. A... ;

3°) de mettre à la charge de M. A...la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Angélique Delorme, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de la communauté urbaine de Strasbourg et à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de M. B...A...;


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A...a été recruté, en qualité d'agent contractuel, par la communauté urbaine de Strasbourg en vue d'occuper, à compter du 1er janvier 2011, les fonctions de directeur de la culture ; que le président de cet établissement public a décidé par un arrêté du 12 décembre 2011 de le suspendre de ses fonctions, dans l'attente qu'il soit statué sur les poursuites disciplinaires engagées contre lui au motif que le comportement de l'intéressé avait donné lieu à des plaintes de la part de certains de ses collaborateurs ; que cette même autorité a décidé le 22 février 2012 de mettre fin aux poursuites disciplinaires engagées contre M. A...et de diligenter contre celui-ci une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle ; que, par un arrêté du 6 juillet 2012, le président du conseil de la communauté urbaine a licencié M. A...pour insuffisance professionnelle ; que M. A...a saisi le tribunal administratif de Strasbourg de conclusions tendant à l'annulation de ces décisions et à la réparation de son préjudice, cette demande ayant été rejetée par un jugement du 18 juin 2013 ; que, faisant partiellement droit à l'appel formé par M. A...contre ce jugement, la cour administrative d'appel de Nancy, par un arrêt du 13 novembre 2014, a annulé les arrêtés des 12 décembre 2011 et 6 juillet 2012 et rejeté pour irrecevabilité les conclusions indemnitaires formées par l'intéressé ; que la communauté urbaine de Strasbourg se pourvoit en cassation contre cet arrêt, en tant qu'il lui fait grief ;

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêt du 13 novembre 2014 en tant qu'il annule l'arrêté du 12 décembre 2011 suspendant M. A...de ses fonctions :

2. Considérant que la suspension d'un agent, lorsqu'elle est prononcée aux fins de préserver l'intérêt du service, est une mesure à caractère conservatoire qui peut être prise lorsque les faits imputés à l'intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la suspension de M. A...était motivée par le fait que l'intéressé tenait habituellement en présence d'agents placés sous son autorité des propos grossiers, déplacés et dévalorisants de nature à heurter gravement certains de ses collaborateurs ou collaboratrices ; que l'attitude ainsi manifestée par M. A...était corroborée par des témoignages écrits, circonstanciés et concordants, également versés au dossier soumis aux juges du fond ; que, par suite, en jugeant que les faits retenus à l'encontre de M. A...ne présentaient pas, à la date du 12 décembre 2011 à laquelle sa suspension a été prononcée par le président de la communauté urbaine de Strasbourg, un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité pour justifier cette mesure prise dans l'intérêt du service, la cour a inexactement qualifié les faits soumis à son appréciation ;

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêt du 13 novembre 2014 en tant qu'il annule la décision du 6 juillet 2012 prononçant le licenciement de M. A... pour insuffisance professionnelle :

4. Considérant que, pour faire droit aux conclusions d'annulation formées par M.A..., la cour s'est fondée sur les motifs tirés de ce que les insuffisances managériales reprochées à l'intéressé n'étaient pas établies, qu'il avait exercé des activités de service public en matière d'action culturelle pendant vingt-cinq ans et que ses qualités professionnelles avaient été certifiées tant par son ancien supérieur hiérarchique au sein des services de la ville de Lorient que par une élue chargée de la culture au sein du conseil général de Loire-Atlantique ; que la cour a en outre relevé que la communauté urbaine de Strasbourg ne contestait pas les compétences techniques de M. A...;

5. Considérant toutefois qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour licencier M. A...pour insuffisance professionnelle, le président de la communauté urbaine de Strasbourg s'est fondé sur son incapacité à développer des relations de travail adéquates avec ses équipes, cette insuffisante compétence managériale étant susceptible de compromettre le bon fonctionnement du service public ; qu'alors même que la communauté urbaine de Strasbourg ne contestait pas les connaissances techniques de l'intéressé en matière d'action culturelle, la fonction de directeur de la culture exercée par M.A..., de nature essentiellement managériale, ainsi que la mission de réorganisation et de rationalisation du service culturel qui lui était également confiée exigeaient des qualités professionnelles de gestion, de communication, de dialogue et de conduite du changement, ainsi d'ailleurs que sa fiche de poste le mentionnait ; que les carences ainsi relevées dans la manière de servir de M. A..., de nature à établir son incapacité à remplir les fonctions qui lui avaient été confiées par la communauté urbaine de Strasbourg, étaient corroborées par des témoignages versés au dossier soumis aux juges du fond ; que, par suite, en jugeant que la manière de servir de M. A... n'était pas de nature à justifier son licenciement pour insuffisance professionnelle, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ;

6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que les articles 2, 3, 4, 5 et 7 de l'arrêt attaqué doivent être annulés ;

7. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A...la somme qui est demandée par la communauté urbaine de Strasbourg au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce que la somme qui demandée au même titre par M. A...soit mise à la charge de la communauté urbaine de Strasbourg, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance ;


D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 2, 3, 4, 5 et 7 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 13 novembre 2014 sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nancy dans la mesure de cassation ainsi prononcée.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la communauté urbaine de Strasbourg ainsi que les conclusions de M. A...présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la communauté urbaine de Strasbourg et à M. B... A....