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Ariane Web: Conseil d'État 405269, lecture du 14 décembre 2016, ECLI:FR:CEORD:2016:405269.20161214

Décision n° 405269
14 décembre 2016
Conseil d'État

N° 405269
ECLI:FR:CEORD:2016:405269.20161214
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés


Lecture du mercredi 14 décembre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 22 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...B...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 14 novembre 2016 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, a fixé les modalités des opérations de tirage au sort prévues à l'article 53 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire.



Le requérant soutient que :

- la condition d'urgence est remplie, dès lors que l'arrêté attaqué porte une atteinte grave et immédiate aux intérêts des diplômés notaires candidats à une nomination aux nouveaux offices de notaire créés ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué qui prévoit que les tirages au sort seront effectués dans le secret, en la seule présence d'un représentant du Conseil supérieur du notariat, instance hostile à la réforme et sans qu'aucun représentant des diplômés notaires candidats ne soit présent ; que l'arrêté ne permet pas de garantir la régularité des opérations de tirage au sort.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 décembre 2016, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par le requérant tendant à établir un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté ne sont pas fondés.



Vu les autres pièces du dossier ;



Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B...et, d'autre part, le garde des sceaux, ministre de la justice ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du mardi 6 décembre 2016 à 14 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- M.B... ;
- les représentants du garde des sceaux, ministre de la justice ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction ;


Vu le nouveau mémoire présenté par le garde des sceaux, ministre de la justice, enregistré le 8 décembre 2016 ;

Vu les observations, présentées par M .B..., enregistrées le 9 décembre 2016 ;

Vu :
- la loi du 25 ventôse an XI ;
- l'ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 ;
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;
- le décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 ;
- le code de justice administrative.



1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques : " I.- les notaires (...) peuvent librement s'installer dans les zones où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de service. / Ces zones sont déterminées par une carte établie conjointement par les ministres de la justice et de l'économie, sur proposition de l'Autorité de la concurrence en application de l'article L. 462-4-1 du code de commerce.../(...) cette carte est assortie de recommandations sur le rythme d'installation compatible avec une augmentation progressive du nombre de professionnels de la zone concernée (...)/ II.- dans les zones mentionnées au I, lorsque le demandeur remplit les conditions de nationalité, d'aptitude, d'honorabilité, d'expérience et d'assurance, requises pour être nommé en qualité de notaire (...) le ministre de la justice le nomme titulaire de l'office de notaire (...) créé. Un décret précise les conditions d'application du présent alinéa. " ; que le décret du 5 juillet 1973 dans sa rédaction issue du décret du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministériels a, pour l'application de ces dispositions, prévu dans son article 52 que les demandes sont enregistrées par téléprocédure sur le site internet du ministère de la justice et sont horodatées ; que l'article 53 du même décret précise que : " (...) le garde des sceaux, ministre de la justice, nomme les demandeurs au regard des recommandations dont est assortie la carte et suivant l'ordre d'enregistrement de leur demande. / Toutefois, lorsque le nombre des demandes de création d'office enregistrées dans les vingt-quatre heures suivant la date d'ouverture du dépôt des demandes (...) est supérieure, pour une même zone, aux recommandations, l'ordre de ces demandes est déterminé par un tirage au sort, en présence d'un représentant du Conseil supérieur du Notariat dans les conditions prévues par un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. " ; que par un arrêté du 14 novembre 2016, le garde des sceaux, ministre de la justice a fixé les modalités des opérations de tirage au sort prévues par le décret ; que M. B...a contesté cet arrêté dont il demande la suspension par la présente requête ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et des précisions apportées au cours de l'audience, que le nombre de candidatures déposées par téléprocédure est extrêmement élevé et que, pour la quasi-totalité des zones où, en vertu des dispositions de l'article 52 de la loi du 6 août 2015, s'applique le principe de libre installation, il excède le nombre résultant des recommandations dont est assortie la carte ; que, par suite, le recours à la procédure de tirage au sort pour désigner les titulaires des nouveaux offices sera quasiment systématique ; qu'en outre, dans certaines zones où il est prévu de créer un nombre important d'offices de notaires, le nombre de candidatures est supérieur à plusieurs centaines ;

4. Considérant que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce ;

5. Considérant que les opérations de tirage au sort ont débuté le 7 décembre 2016 ; que, compte tenu de la nature des missions des notaires et des modalités d'exercice de leur profession, l'éventuelle remise en cause, après plusieurs mois de fonctionnement, de la légalité de la création de plusieurs offices notariaux et de la désignation de leur titulaire qui pourrait découler de l'illégalité de l'arrêté litigieux serait de nature à porter gravement atteinte à l'intérêt général ; que, dès lors, la condition d'urgence, qui n'est d'ailleurs pas contestée par le ministre de la justice, garde des sceaux, est remplie ;

6. Considérant que l'arrêté du 14 novembre 2016 prévoit que chaque candidature est retranscrite de manière anonyme sur un bulletin destiné au tirage au sort ; que le tirage au sort a lieu dans les locaux du ministère de la justice, qu'il est effectué manuellement par un magistrat en poste à la direction des affaires civiles et du sceau en présence d'un représentant du Conseil supérieur du notariat et précédé d'un décompte des bulletins effectué dans les mêmes conditions ; qu'il est dressé procès-verbal des opérations par un agent du ministère ; que le ministre a produit à la suite de l'audience trois fiches techniques relatives aux modalités d'anonymisation des candidatures et au procès-verbal ; que toutefois il ne ressort ni de l'arrêté ni des fiches produites que le ministre aurait prévu des règles permettant de s'assurer de la régularité de la procédure tout au long du déroulement de celle-ci, depuis l'enregistrement de la candidature, jusqu'à la publication des noms des personnes devenues titulaires d'un office notarial dans la zone en cause ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la régularité de la procédure n'est pas assurée est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...est fondé à demander la suspension de l'exécution de l'arrêté contesté ; qu'il a lieu de suspendre l'exécution de l'arrêté du 14 novembre 2016 jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur les conclusions formées par M. B...tendant à l'annulation de cet arrêté ;



O R D O N N E :
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Article 1er : L'exécution de l'arrêté du 14 novembre 2016 fixant les modalités des opérations de tirages au sort prévues à l'article 53 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire est suspendue jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur les conclusions formées par M. B...tendant à l'annulation de cet arrêté.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A...B...et au garde des sceaux, ministre de la justice.