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Ariane Web: Conseil d'État 392578, lecture du 25 octobre 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:392578.20171025

Décision n° 392578
25 octobre 2017
Conseil d'État

N° 392578
ECLI:FR:CECHR:2017:392578.20171025
Publié au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
Mme Emmanuelle Petitdemange, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du mercredi 25 octobre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Le préfet du Pas-de-Calais a demandé au tribunal administratif de Lille de constater que les faits établis par le procès-verbal du 3 mars 2012 constituent une contravention de grande voirie prévue et réprimée par l'article L. 5334-5 du code des transports, par l'article R. 330-1 du code des ports maritimes et par l'article 8 du décret n° 2009-877 du 17 juillet 2009 et de condamner M. B...au paiement d'une amende de 8 000 euros. Par un jugement n° 1204432 du 19 septembre 20l3, le tribunal a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 14DA00251 du 11 juin 2015, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par M. B...contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 11 août et 12 novembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des ports maritimes;
- le code des transports ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Emmanuelle Petitdemange, auditeur,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M.B....



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 3 mars 2012, le navire appartenant à M. B...s'est amarré, sans autorisation, afin d'y charger de la glace, au lieudit " la Criée " du port de Boulogne-sur-Mer, réservé au débarquement de la pêche, alors qu'il avait été précisé à M. B...que cet emplacement était réservé en vue de l'arrivée ultérieure du navire " Ursa Minor ". M. B...n'a pas obtempéré à l'ordre qui lui avait été donné de faire mouvement et de libérer le poste. L'officier de port a alors dressé un procès-verbal de contravention de grande voirie daté du même jour, relatant ces faits et le préfet du Pas-de-Calais a poursuivi le contrevenant devant le tribunal administratif de Lille au titre de la contravention de grande voirie prévue et réprimée par les articles L. 5334-5, L. 5337-1 et L. 5337-5 du code des transports et R. 330-1 du code des ports maritimes. Par un jugement du 19 septembre 2013, le tribunal administratif de Lille a condamné M. B...au paiement d'une amende de 8 000 euros en application du 2° de l'article L. 5337-5 du code des transports. Il se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 11 juin 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a confirmé ce jugement.

2. Aux termes de l'article R. 711-2 du code de justice administrative applicable aux procédures d'appel en ce qui concerne les contraventions de grande voirie : " Toute partie est avertie, par une notification faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par la voie administrative mentionnée à l'article R. 611-4, du jour où l'affaire sera appelée à l'audience (...) ". Aux termes de l'article R.711-2-1 du code de justice administrative applicable à ces mêmes procédures : " Les parties ou leur mandataire inscrits dans l'application informatique mentionnée à l'article R. 414-1 peuvent être convoqués à l'audience par le moyen de cette application. Les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l'article R. 611-8-2 sont applicables ".

3. Aux termes de l'article R. 414-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsqu'elle est présentée par un avocat, un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public, la requête peut être adressée à la juridiction par voie électronique au moyen d'une application informatique dédiée accessible par le réseau internet. / Les caractéristiques techniques de cette application garantissent la fiabilité de l'identification des parties ou de leur mandataire, l'intégrité des documents adressés ainsi que la sécurité et la confidentialité des échanges entre les parties et la juridiction. Elles permettent également d'établir de manière certaine la date et l'heure de la mise à disposition d'un document ainsi que celles de sa première consultation par son destinataire. Un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, définit ces caractéristiques et les exigences techniques qui doivent être respectées par les utilisateurs de l'application ". Aux termes de l'article R. 611-8-2 de ce code, dans sa rédaction alors applicable : " Les avocats, les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, les administrations de l'Etat, les personnes morales de droit public et les organismes de droit privé chargés de la gestion d'un service public peuvent s'inscrire dans l'application informatique mentionnée à l'article R. 414-1, dans les conditions fixées par l'arrêté prévu à cet article. / Toute juridiction peut adresser par le moyen de cette application, à une partie ou à un mandataire ainsi inscrit, toutes les communications et notifications prévues par le présent livre pour tout dossier et l'inviter à produire ses mémoires et ses pièces par le même moyen (...) ".

4. Lorsqu'un arrêt mentionne que les parties ont été convoquées à l'audience, si l'une des parties soutient que tel n'a pas été le cas en ce qui la concerne et s'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle a été convoquée dans les conditions prévues par les dispositions précitées du code de justice administrative, ou qu'elle a été présente ou représentée à l'audience, l'arrêt doit être regardé comme rendu à la suite d'une procédure irrégulière.

5. Il ressort des pièces du dossier que, par avis avec accusé de réception du 27 avril 2015 adressé par la voie de l'application informatique Télérecours prévue par l'article R. 414-1 précité du code de justice administrative, les parties ont été averties que leur affaire serait appelée à l'audience du 28 mai 2015. Par un nouvel avis adressé aux parties selon les mêmes modalités le 21 mai 2015, ces dernières ont été averties de ce que l'affaire était reportée à une date ultérieure. Cet avis précisait : " Un avis d'audience vous sera adressé dès que la nouvelle date sera fixée ". L'audience de la cour s'est néanmoins tenue à la date initialement prévue, soit le 28 mai 2015, en l'absence de M. B...et de son conseil et sans que ce dernier n'ait reçu de nouvel avis d'audience. En s'abstenant d'adresser un nouvel avis d'audience aux parties, alors que le premier avis était privé de portée en raison du report d'audience annoncé, et alors même que l'arrêt porte la mention " Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience ", la cour a méconnu les exigences qui découlent des dispositions précitées de l'article R. 711-2 du code de justice administrative. Par suite, M. B...est fondé à soutenir que l'arrêt est intervenu à la suite d'une procédure irrégulière et, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, à en demander l'annulation.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. En premier lieu, aux termes du second alinéa de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : " Toute décision prise par l'une des autorités administratives mentionnées à l'article 1er comporte, outre la signature de son auteur, la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ". Un procès-verbal de contravention de grande voirie, qui traduit la décision de l'administration de constater l'atteinte au domaine public dont la protection est assurée par le régime des contraventions de grande voirie, est au nombre des décisions visées par ces dispositions. Il est ainsi soumis à l'obligation de comporter notamment la mention, en caractères lisibles, de la qualité de son auteur.

8. Il résulte de l'instruction que le procès-verbal de contravention de grande voirie du 3 mars 2012 comprend les prénom et nom, qualité et signature de l'agent verbalisateur, conformément aux dispositions de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000. La circonstance que le nom et le prénom d'un autre officier de port accompagnant celui qui a constaté l'infraction n'ont pas été mentionnés au procès-verbal est sans influence sur sa régularité dès lors que les dispositions précitées ne concernent que l'auteur de celui-ci.

9. En deuxième lieu, le procès-verbal indique que le 3 mars 2012 à 5 heures 20, le navire " Saint Jean Priez pour nous " a accosté sans autorisation au lieu-dit " La Criée " du port de Boulogne-sur-Mer, lequel est réservé au débarquement des bateaux de pêche, que ordre lui a été donné par l'officier de port à quai puis par l'officier de port de quart en vigie de libérer le poste pour le bateau de pêche " Ursa Minor " mais qu'il a refusé d'y obtempérer. Le moyen tiré de ce que le procès-verbal ne rapporte pas de manière suffisamment précise les circonstances de l'infraction doit, compte tenu de ces éléments, être écarté.

10. En troisième lieu, l'article L. 5334-5 du code des transports dispose que : " Dans les limites administratives du port maritime et à l'intérieur de la zone maritime et fluviale de régulation mentionnée à l'article L. 5331-1, tout capitaine, maître ou patron d'un navire, d'un bateau (...) est tenu d'obtempérer aux signaux réglementaires ou aux ordres donnés, par quelque moyen que ce soit, par les officiers de port, officiers de port adjoints ou surveillants de port concernant le mouvement de son navire, bateau ou engin ". L'article L. 5337-1 du même code dispose que : " Sans préjudice des sanctions pénales encourues, tout manquement aux dispositions (...) du présent chapitre (...), constitue une contravention de grande voirie réprimée dans les conditions prévues par les dispositions du présent chapitre ". L'article L. 5337-5 de ce code dispose que : " Le fait, pour un capitaine, maître ou patron (...) d'un bateau (...) de ne pas obtempérer aux signaux ou aux ordres conformément aux dispositions de l'article L. 5334-5 est passible d'une amende calculée comme suit : 1° Pour le navire, bateau ou autre engin flottant d'une longueur hors tout inférieure ou égale à 20 mètres : 500 euros ; 2° Pour le (...) bateau (...) d'une longueur hors tout supérieure à 20 mètres et inférieure ou égale à 100 mètres : 8 000 euros ; 3° Pour le navire, bateau ou autre engin flottant d'une longueur hors tout supérieure à 100 mètres : 20 000 euros ". Aux termes de l'article R. 330-1 du code des ports maritimes : " Tout capitaine, maître ou patron d'un bateau (...) doit, dans les limites d'un port maritime, obéir aux ordres donnés par les officiers de port, officiers de port adjoints, surveillants de port et auxiliaires de surveillance concernant les mesures de sécurité et de police destinées à assurer la protection et la conservation du domaine public des ports maritimes ".

11. D'une part, M. B...soutient que n'était pas établie l'interdiction d'accoster à cet endroit ou qu'il était nécessaire de demander une autorisation d'accoster et que le procès-verbal de contravention ne mentionne pas le fondement de cette interdiction ou de la nécessité d'une demande d'autorisation. Toutefois, il est indiqué dans ce procès-verbal que l'infraction constatée relève notamment des articles L. 5334-5 et L. 5337-5 du code des transports et de l'article R. 330-1 du code des ports maritimes et il résulte de ces dispositions que tout capitaine, maître ou patron d'un navire doit obtempérer aux ordres donnés par les officiers de port et que la méconnaissance de cette obligation est constitutive d'une contravention de grande voirie.

12. D'autre part, lorsqu'il retient la qualification de contravention de grande voirie s'agissant des faits qui lui sont soumis, le juge est tenu d'infliger une amende au contrevenant. Alors même que les dispositions précitées ne prévoient pas de modulation des amendes, le juge, qui est le seul à les prononcer, peut toutefois, dans le cadre de ce contentieux répressif, moduler leur montant dans la limite du plafond prévu par la loi et du plancher que constitue le montant de la sanction directement inférieure, pour tenir compte de la gravité de la faute commise, laquelle est appréciée au regard de la nature du manquement et de ses conséquences. Il en résulte, s'agissant du bateau de M. B...d'une longueur de 21 mètres, que l'amende que doit infliger le juge à l'intéressé à raison d'un manquement constitutif d'une contravention de grande voirie, est nécessairement comprise entre la somme de 8000 euros, maximum possible pour les bateaux d'une longueur supérieure à 20 mètres et inférieure ou égale à 100 mètres, et 500 euros, maximum possible pour les bateaux d'une longueur inférieure ou égale à 20 mètres.

13. Il résulte de l'instruction que M. B...s'est amarré, sans autorisation, à un emplacement du port de Boulogne-sur-Mer réservé à un autre bateau qui devait y débarquer le produit de sa pêche et qu'il a refusé d'obtempérer à l'ordre qui lui avait été donné de libérer le poste d'amarrage. Compte tenu de la gravité d'un tel manquement mais eu égard à la brièveté du stationnement irrégulier de ce bateau de 21 mètres, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de fixer à 4 000 euros l'amende infligée à M.B.... Par conséquent M.B..., dont les conclusions tendant au rejet de la demande du préfet du Pas-de-Calais conduisent nécessairement le juge à apprécier s'il convient de moduler le montant maximum de l'amende légalement fixée, est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a fixé à 8 000 euros le montant de l'amende au lieu de 4 000 euros.

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. B...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 11 juin 2015 est annulé.

Article 2 : L'amende de 8 000 euros à laquelle M. B...a été condamné est ramenée à 4 000 euros.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 19 septembre 2013 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel et les conclusions présentées devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.


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