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Ariane Web: Conseil d'État 396954, lecture du 25 octobre 2017, ECLI:FR:Code Inconnu:2017:396954.20171025

Décision n° 396954
25 octobre 2017
Conseil d'État

N° 396954
ECLI:FR:CESSR:2017:396954.20171025
Publié au recueil Lebon
3ème - 8ème - 9ème - 10ème SSR
M. Vincent Villette, rapporteur
M. Edouard Crépey, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO, avocats


Lecture du mercredi 25 octobre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :
M. A...E..., M. B...E...et G...C...E...-F..., venant en qualité d'ayants droit à la succession de M. D...E..., ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits et pénalités, du rappel de prélèvement d'un tiers prévu à l'article 244 bis A du code général des impôts mis à la charge de M. D...E...à raison de la plus-value réalisée le 10 novembre 2005 à l'occasion de la cession d'un ensemble immobilier situé à Veyrier-du-Lac, en Haute Savoie, ou, à titre subsidiaire, la réduction, en droits et pénalités, de ce rappel à raison de l'application d'un taux de prélèvement de 16 %. Par un jugement n° 1201904 du 22 février 2013, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à ces conclusions subsidiaires et rejeté le surplus de la demande.
Par un arrêt n° 13VE01281 du 17 décembre 2015, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par MM. E...et G...E...-F... contre ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de leur demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 février 2016, 11 mai 2016 et 1er février 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...E..., M. B...E...et G...C...E...-F... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. A...E..., de M. B...E...et de G...C...E...- F...;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. D... E..., alors résident fiscal français, s'est engagé, par un acte sous seing privé conclu le 30 décembre 2003, à acquérir un ensemble immobilier situé à Veyrier-du-Lac, en Haute Savoie. L'intéressé a, par ailleurs, créé, le même jour, au Luxembourg, la SARL Partinverd, société holding dont il est devenu le gérant et associé à 99,99 %. Cette société avait alors exclusivement pour objet social la prise de participations dans d'autres entreprises luxembourgeoises ou étrangères, la gestion et la mise en valeur de ces participations, ainsi que l'assistance à ses filiales. Par avenants à l'acte de vente des 28 et 31 janvier 2004, M. E... a été autorisé, pour la réalisation de l'acquisition immobilière stipulée, à se faire substituer une société de son choix. La société holding luxembourgeoise Partinverd, substituée à M. E..., a acquis l'ensemble immobilier le 30 juillet 2004, au prix de 2 908 836 euros. Après modification apportée, le 6 octobre 2004, à son objet social, élargi à l'achat, la gestion, la mise en valeur et la vente d'immeubles, la société luxembourgeoise Partinverd a, par acte du 10 novembre 2005, vendu l'ensemble immobilier, pour un prix de 4 900 000 euros, à la SARL Le Chapître, société créée en France le 29 mars 2005, exerçant l'activité de marchand de biens et ayant pour gérante et unique associée l'ancienne épouse de M.E.... La plus-value réalisée à l'occasion de cette cession par la société luxembourgeoise Partinverd a bénéficié, dès lors que cette dernière n'exploitait aucun établissement stable sur le territoire, d'une non-imposition totale en France, en vertu de l'article 4 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958, dans sa rédaction alors en vigueur. A la suite d'un contrôle, l'administration fiscale, relevant que M. E..., fiscalement domicilié ...depuis le 30 juin 2004, aurait été soumis, s'il avait lui-même réalisé cette opération immobilière, au prélèvement fiscal d'un tiers sur la plus-value y afférente, prévu à l'article 244 bis A du code général des impôts, a estimé que, par la substitution artificielle de la société luxembourgeoise Partinverd, l'intéressé n'avait eu d'autre but que de faire échapper la plus-value à toute imposition en France. En conséquence, suivant la procédure spéciale de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, l'administration fiscale a écarté l'interposition de la société luxembourgeoise Partinverd comme ne lui étant pas opposable puis assujetti M. E...au prélèvement prévu à l'article 244 bis A du code général des impôts. M. A...E..., M. B... E...etG... C... E...-F..., venant en qualité d'ayants droit à la succession de leur père défunt, ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de ce rappel de prélèvement ou, à titre subsidiaire, la réduction du taux de celui-ci de 33,33 % à 16 %, par application des stipulations de l'article 15 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966. Par un jugement du 22 février 2013, le tribunal administratif de Montreuil n'a fait droit qu'à ces conclusions subsidiaires. Les requérants se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 17 décembre 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté leur appel contre ce jugement, en tant qu'il a rejeté le surplus de leur demande.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors en vigueur : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses (...) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus (...). L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. Si elle s'est abstenue de prendre l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit (...), il lui appartient d'apporter la preuve du bien-fondé du redressement ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use de la faculté qu'elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. Il en va ainsi lorsque la norme dont le contribuable recherche le bénéfice procède d'une convention fiscale bilatérale ayant pour objet la répartition du pouvoir d'imposer en vue d'éliminer les doubles impositions et que cette convention ne prévoit pas explicitement l'hypothèse de fraude à la loi.

3. En second lieu, aux termes de l'article 4 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958, dans sa rédaction alors en vigueur, antérieure à l'avenant du 24 novembre 2006 : " Les revenus des entreprises industrielles, minières, commerciales ou financières ne sont imposables que dans l'Etat sur le territoire duquel se trouve un établissement stable ". En vertu de ces stipulations, la plus-value réalisée, à l'occasion de la vente d'un bien immobilier situé sur le territoire français, par une entreprise industrielle et commerciale luxembourgeoise n'exploitant aucun établissement stable en France n'était pas imposable en France.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, ainsi qu'il a été rappelé au point 1, que l'interposition de la société luxembourgeoise Partinverd, substituée à M.E..., qui avait initialement signé la promesse d'achat en son nom propre, n'était justifiée par aucun motif économique, organisationnel ou financier et que cette société n'a jamais développé aucune autre activité immobilière en dépit du changement, d'ailleurs postérieur à l'acquisition litigieuse, de son objet social. Dans ces conditions, en jugeant que l'interposition de la société luxembourgeoise Partinverd dans l'opération immobilière litigieuse était artificielle et qu'elle n'avait eu d'autre but que de faire échapper la plus-value de cession à toute imposition en France, la cour administrative d'appel de Versailles n'a entaché son arrêt ni de dénaturation, ni d'inexacte qualification juridique des faits.

5. Les Etats parties à la convention fiscale franco-luxembourgeoise ne sauraient être regardés comme ayant entendu, pour répartir le pouvoir d'imposer, appliquer ses stipulations à des situations procédant de montages artificiels dépourvus de toute substance économique. Il suit de là qu'en jugeant que l'opération litigieuse était contraire aux objectifs poursuivis par les deux Etats signataires, la cour n'a entaché son arrêt d'aucune erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 5 que la cour n'a pas entaché son arrêt d'inexacte qualification juridique en jugeant que l'opération litigieuse était constitutive d'un abus de droit.

7. Les requérants ne sont donc pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de MM. E...et G...E...-F... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A...E..., à M. B... E..., à G...C...E...-F... et au ministre de l'action et des comptes publics.


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