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Ariane Web: Conseil d'État 415436, lecture du 27 décembre 2017, ECLI:FR:Code Inconnu:2017:415436.20171227

Décision n° 415436
27 décembre 2017
Conseil d'État

N° 415436
ECLI:FR:CECHR:2017:415436.20171227
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 6ème chambres réunies
Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public
SCP LESOURD, avocats


Lecture du mercredi 27 décembre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
- de suspendre la décision du 12 octobre 2017 par laquelle le président du conseil départemental de Seine-et-Marne a cessé d'exécuter la mesure de placement décidée par le juge des enfants du tribunal de grande instance de Meaux le 29 juin 2017 ;
- d'enjoindre au président du conseil départemental de Seine-et-Marne de lui proposer une solution d'hébergement comportant le logement dans une structure adaptée à sa situation et la prise en charge de ses besoins alimentaires quotidiens, dans un délai de 24 heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
- d'enjoindre au préfet de Seine-et-Marne, en cas de carence du département de Seine-et-Marne, de lui proposer une solution d'hébergement comportant le logement dans une structure adaptée à sa situation et la prise en charge de ses besoins alimentaires quotidiens et de mettre en place à son bénéfice une prise en charge éducative lui permettant d'accéder à un emploi ou une formation, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.

Par une ordonnance n° 1708056 du 20 octobre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a enjoint au président du conseil départemental de Seine-et-Marne de proposer à M. B...une solution d'hébergement, incluant le logement et la prise en charge des besoins alimentaires quotidiens de l'intéressé, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de son ordonnance, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 3, 17 et 20 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département de Seine-et-Marne demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B...devant le juge des référés du tribunal administratif de Melun ;

3°) de confirmer la décision du président de son conseil départemental du 12 octobre 2017 ;

4°) de mettre à la charge de M. B...la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code civil ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lesourd, avocat de M.B....



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. Il résulte de l'instruction que, selon ses déclarations, M. A...B..., de nationalité ivoirienne, né le 10 septembre 2001, est entré irrégulièrement en France en 2017, sans famille connue ni ressources en France. Par une décision du juge des enfants du tribunal de grande instance de Meaux du 29 juin 2017, il a été confié, en tant que mineur isolé, aux services de l'aide sociale à l'enfance du département de Seine-et-Marne, jusqu'au 29 juin 2018. Dans ce cadre, il a été pris en charge par l'association la Rose des vents, qui a assuré son hébergement en hôtel. A la suite d'incidents graves à l'encontre notamment d'une chef de service de cette association, le 28 septembre 2017, M.B..., de même que six autres jeunes pris en charge par l'association, a été placé en garde à vue du 4 au 6 octobre 2017. Un constat médical, établi sur réquisition judiciaire après examen de M. B...le 5 octobre par un médecin de l'unité médico-judiciaire du Grand hôpital de l'Est francilien, a conclu que l'âge physiologique de l'intéressé était supérieur à dix-huit ans, et probablement supérieur ou égal à dix-neuf ans. Par arrêté du 6 octobre 2017, le préfet de Seine-et-Marne a prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français, assortie d'une interdiction de retour sur le territoire français de trois ans. Le 12 octobre 2017, le président du conseil départemental, qui a demandé au juge des enfants les 3 et 16 octobre la mainlevée du placement, a décidé de mettre fin à la prise en charge de M.B.... Le 17 octobre 2017, M. B...a saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Melun qui, par une ordonnance du 20 octobre 2017, a enjoint au président du conseil départemental de Seine-et-Marne de lui proposer une solution d'hébergement, incluant le logement et la prise en charge de ses besoins alimentaires quotidiens. Le département de Seine-et-Marne relève appel de cette ordonnance.

3. L'article 375 du code civil dispose que : " Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public (...) ". Aux termes de l'article 375-3 du même code : " Si la protection de l'enfant l'exige, le juge des enfants peut décider de le confier : / (...) 3° A un service départemental de l'aide sociale à l'enfance (...) ". L'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / (...) 4° Pourvoir à l'ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation (...) ". L'article L. 222-5 du même code prévoit que : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) / 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l'article 375-3 du code civil (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions qu'il incombe aux autorités du département, le cas échéant dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants, de prendre en charge l'hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l'aide sociale à l'enfance. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu'un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il incombe au juge des référés d'apprécier, dans chaque cas, en tenant compte des moyens dont l'administration départementale dispose ainsi que de la situation du mineur intéressé, quelles sont les mesures qui peuvent être utilement ordonnées sur le fondement de l'article L. 521-2 et qui, compte tenu de l'urgence, peuvent revêtir toutes modalités provisoires de nature à faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale, dans l'attente d'un accueil du mineur dans un établissement ou un service autorisé, un lieu de vie et d'accueil ou une famille d'accueil si celui-ci n'est pas matériellement possible à très bref délai.

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. B...reste à ce jour confié au service de l'aide sociale à l'enfance du département de Seine-et-Marne par décision du juge des enfants, qui l'a regardé comme mineur et n'a pas prononcé la mainlevée de la mesure. En outre, par une ordonnance du 31 octobre 2017, le juge des tutelles du tribunal de grande instance de Meaux, estimant que l'intéressé est mineur, a ouvert à son égard une tutelle, qu'il a déférée au président du conseil départemental de Seine-et-Marne. Par suite, le département ne peut utilement se prévaloir des conclusions tirées de l'examen médical de l'intéressé quant à son âge physiologique vraisemblable, non plus que de la circonstance qu'une obligation de quitter le territoire français a été prise à son égard.

6. En second lieu, il résulte de l'instruction que, du fait de la décision de mettre fin à sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance, M.B..., qui n'a pas de famille en France et est dépourvu de ressources, s'est trouvé sans abri, dans une situation de très grandes précarité et vulnérabilité. Or, d'une part, si les faits auxquels M. B...a participé le 28 septembre 2017 justifient qu'il ne soit plus pris en charge par la structure à laquelle, jusque là, il avait été confié, ils ne font pas obstacle à toute forme de mise à l'abri permettant de prendre en charge ses besoins élémentaires en ce qui concerne l'hébergement et l'alimentation et l'intéressé n'a pas adopté depuis lors un comportement qui s'y opposerait. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction qu'aucune solution de ce type ne puisse être trouvée par le département de Seine-et-Marne, en dépit de l'augmentation du nombre de mineurs dont il a la charge.

7. Il résulte de ce qui précède que le département de Seine-et-Marne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Melun, jugeant que la demande était justifiée par l'urgence et que la décision du 12 octobre 2017 avait porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, lui a enjoint de proposer à M. B...une solution d'hébergement, incluant le logement et la prise en charge des besoins alimentaires quotidiens de l'intéressé.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M.B..., qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge du département une somme au titre des mêmes dispositions et de celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.


D E C I D E :
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Article 1er : La requête du département de Seine-et-Marne est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de M. B...présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au département de Seine-et-Marne et à M. A...B....


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