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Ariane Web: Conseil d'État 406638, lecture du 18 juillet 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:406638.20180718
Decision n° 406638
Conseil d'État

N° 406638
ECLI:FR:CECHR:2018:406638.20180718
Publié au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
Mme Ophélie Champeaux, rapporteur
M. Yohann Bénard, rapporteur public
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats


Lecture du mercredi 18 juillet 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A...B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge de l'obligation de payer la somme de 303 738,33 euros ayant fait l'objet d'une mise en demeure en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 9 juin 2009. Par un jugement no 1102776 du 22 mai 2014, le tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 14BX02213 du 8 novembre 2016, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. B... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 janvier et 6 avril 2017 et le 18 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code des procédures civiles d'exécution ;
- la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 ;
- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Yohann Bénard, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de M. B....



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société SA Nov'Ingénieurie et sa filiale, la société SA Novy Planification Différée, ont fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités ont été mis en recouvrement par deux avis du 27 novembre 2001. A la suite de l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 14 mai 2002, qui a confirmé le jugement du tribunal de commerce de Niort du 27 décembre 2001 ayant placé les sociétés en liquidation judiciaire, le comptable des finances publiques chargé du recouvrement des créances fiscales irrécouvrables a assigné, le 15 novembre 2002, M. B..., président directeur général des deux sociétés redevables, devant le tribunal de grande instance de Niort aux fins de le voir déclaré solidairement responsable du paiement des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités dues par les sociétés. Par jugement du 7 avril 2003, le tribunal de grande instance de Niort a fait droit à la demande de l'administration. La cour d'appel de Poitiers, par arrêt du 9 juin 2009 notifié le 26 juin à M. B..., a rejeté l'appel formé par ce dernier contre ce jugement, et a confirmé sa condamnation au paiement solidaire de la somme de 432 589,33 euros. Poursuivant l'exécution de cet arrêt, le comptable public a notifié à M. B... une première mise en demeure de payer valant commandement de payer le 7 juillet 2009 et a procédé à plusieurs mesures de recouvrement forcé, permettant l'exécution de l'obligation de payer à hauteur de 60 702,09 euros. Par décision du 25 octobre 2011, l'administration fiscale a constaté l'irrégularité d'une seconde mise en demeure, notifiée le 22 juin 2011, procédé à la mainlevée de deux procédures de saisies de parts sociales et confirmé la régularité de la première mise en demeure de payer et le montant de la créance fiscale restant à recouvrer, soit la somme de 372 097,24 euros. M. B... se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 8 novembre 2016 qui a rejeté l'appel qu'il a formé contre le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 22 mai 2014 rejetant sa demande de décharge de l'obligation de payer cette créance.

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il concerne l'existence d'un titre exécutoire permettant le recouvrement de la somme en litige :

2. Devant la cour, M. B... soulevait plusieurs moyens tirés de ce que la notification du jugement du tribunal de grande instance de Niort du 7 avril 2003 et celle de l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 9 juin 2009 étaient entachées d'irrégularité. En revanche, contrairement à ce qu'il soutient en cassation, le requérant ne contestait pas que le jugement du 7 avril 2003, à défaut de constater une créance liquide et exigible, ait pu constituer un titre exécutoire propre à fonder légalement les poursuites. En jugeant que le jugement déclarant M. B... solidairement responsable du paiement des impositions et pénalités dues par la société, et confirmé en appel, constituait un titre exécutoire permettant au comptable public d'engager des actes de poursuite, la cour a, par suite, suffisamment motivé son arrêt.

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il concerne la prescription de l'action en recouvrement :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsqu'un dirigeant d'une société, d'une personne morale ou de tout autre groupement, est responsable des manoeuvres frauduleuses ou de l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société, la personne morale ou le groupement, ce dirigeant peut, s'il n'est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d'une autre disposition, être déclaré solidairement responsable du paiement de ces impositions et pénalités par le président du tribunal de grande instance ". La décision juridictionnelle déclarant, sur le fondement de ces dispositions, qu'une personne est tenue au paiement solidaire de l'impôt fraudé constitue un titre exécutoire à l'encontre de cette dernière et interrompt la prescription de l'action en recouvrement de l'impôt tant à l'égard du débiteur principal de l'impôt qu'à l'égard de la personne déclarée solidairement tenue au paiement de cet impôt. Dans ces conditions, en jugeant que le jugement du 7 avril 2003 par lequel le tribunal de grande instance de Niort avait condamné M. B... au paiement solidaire des impositions dues par les sociétés SA Nov'Ingénieurie et SA Novy Planification Différée, intervenu avant l'expiration du délai de prescription de l'action en recouvrement des impositions mises à la charge de ces dernières par avis du 27 novembre 2001, avait interrompu la prescription de l'action en recouvrement des impositions à l'égard de M. B..., la cour n'a pas commis d'erreur de droit. En jugeant que cette interruption du délai de prescription avait produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance, ainsi que le précise désormais l'article 2242 du code civil, soit, en l'espèce, jusqu'à l'intervention de l'arrêt du 9 juin 2009 de la cour d'appel de Poitiers, sans qu'il ne résulte d'aucun texte ni d'aucun principe que le caractère continu de cet effet interruptif serait subordonné à l'absence de la faculté, pour le créancier, de prendre des mesures conservatoires, la cour n'a pas davantage commis d'erreur de droit, ni entaché son arrêt d'une contradiction de motifs.

4. M. B... n'est pas fondé à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, du paragraphe 153 de la documentation administrative référencée C-12-6221, à jour le 30 octobre 1999, relative à la suspension des délais de l'action en recouvrement, dès lors que cette documentation ne comporte aucune interprétation des dispositions du livre des procédures fiscales et du code civil sur lesquelles est fondée l'interruption de la prescription en litige.

5. En second lieu, aux termes de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Les comptables du Trésor qui n'ont fait aucune poursuite contre un contribuable retardataire pendant quatre années consécutives, à partir du jour de la mise en recouvrement du rôle perdent leur recours et sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable. / Le délai de quatre ans mentionné au premier alinéa, par lequel se prescrit l'action en vue du recouvrement, est interrompu par tous actes comportant reconnaissance de la part des contribuables et par tous autres actes interruptifs de la prescription ". Aux termes de l'article L. 275 du même livre, alors en vigueur : " La notification d'un avis de mise en recouvrement interrompt la prescription courant contre l'administration et y substitue la prescription quadriennale (...) / Le délai de quatre ans mentionné au premier alinéa est interrompu dans les conditions indiquées à l'article L. 274. " Aux termes de l'article 3-1 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile et désormais codifié à l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution, applicable à la date de l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers : " L'exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l'article 3 ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long ". Le 1° de l'article 3 de la même loi, désormais codifié à l'article L. 111-3 du code des procédures civiles d'exécution, mentionne : " Les décisions des juridictions de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif lorsqu'elles ont force exécutoire (...) ". Il résulte de ces dispositions que lorsque le comptable public poursuit le recouvrement d'une imposition en exécution de la décision d'une juridiction de l'ordre judiciaire ayant force exécutoire, un nouveau délai de dix ans lui est ouvert, qui se substitue au délai quadriennal prévu pour l'exécution du titre fiscal délivré par l'administration. En l'espèce, un nouveau délai de prescription de dix ans a, dès lors, commencé à courir le 9 juin 2009, date de l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers. Ce délai n'était pas expiré le 7 juillet 2009, date de la mise en demeure contestée. Ce motif, qui est d'ordre public et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif retenu par l'arrêt attaqué, dont il justifie le dispositif.

6. M. B... ne peut utilement se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, du paragraphe 10 de la documentation administrative référencée 12 C-1-98, à jour le 31 mars 1998, qui prévoyait que les créances résultant d'une décision de justice constatant une solidarité au paiement de l'impôt se prescrivent par quatre ans, dès lors que les mises en demeure en litige lui ont été, en tout état de cause, notifiées dans le délai de quatre ans.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. B... doit être rejeté. Par suite, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. B... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A...B... et au ministre de l'action et des comptes publics.


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