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Ariane Web: Conseil d'État 426096, lecture du 8 avril 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:426096.20190408

Décision n° 426096
8 avril 2019
Conseil d'État

N° 426096
ECLI:FR:CECHR:2019:426096.20190408
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Jean-Yves Ollier, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP DE NERVO, POUPET ; SCP DELVOLVE ET TRICHET ; SCP MONOD, COLIN, STOCLET, avocats


Lecture du lundi 8 avril 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société par actions simplifiée (SAS) Réunicable a demandé au juge du référé précontractuel du tribunal administratif de La Réunion, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre toute décision se rapportant à la procédure de mise en concurrence du marché global de performances portant sur la conception, la réalisation, l'exploitation et la maintenance d'une infrastructure de communications à très haut débit lancée par la région Réunion et, d'autre part, d'annuler l'ensemble des décisions se rapportant à la passation de ce marché. Par une ordonnance n° 1800910 du 23 novembre 2018, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de La Réunion a annulé la procédure de passation de ce marché.

Procédure devant le Conseil d'Etat

1° Sous le n° 426096, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 7 et 21 décembre 2018 et les 25 janvier et 26 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Orange, agissant en son nom personnel et en sa qualité de mandataire du groupement momentané d'entreprises Orange/Sogetrel/Capcom, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, de rejeter la requête de la SAS Réunicable ;

3°) de mettre à la charge de la société Réunicable la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 426914, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 8 et 23 janvier et le 21 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Réunion demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au titre de la procédure de référé, de rejeter la requête de la société Réunicable ;

3°) de mettre à la charge de la société Réunicable la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des postes et des communications électroniques ;
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Yves Ollier, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Nervo, Poupet, avocat de la société Orange, à la SCP Delvolvé et Trichet, avocat de la société Réunicable et à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de la région Réunion.






Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois de la société Orange et de la région Réunion sont dirigés contre la même décision. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public (...) ". Aux termes du I de l'article L. 551-2 de ce code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations (...) ".

3. Aux termes par ailleurs de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales : " Pour l'établissement et l'exploitation d'un réseau, les collectivités territoriales et leurs groupements, dans le cas où la compétence leur a été préalablement transférée, peuvent, deux mois après la publication de leur projet dans un journal d'annonces légales et sa transmission à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, établir et exploiter sur leur territoire des infrastructures et des réseaux de communications électroniques, au sens des 3° et 15° de l'article L. 32 du code des postes et des communications électroniques. Le cas échéant, ils peuvent acquérir des droits d'usage à cette fin ou acheter des infrastructures ou des réseaux existants. Ils peuvent mettre de telles infrastructures ou réseaux à la disposition d'opérateurs ou d'utilisateurs de réseaux indépendants ".

4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu'en application de ces dispositions du code général des collectivités territoriales, la région Réunion a lancé une procédure concurrentielle avec négociation, en faisant application de l'article 34 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et des articles 71 à 73 de son décret d'application du 25 mars 2016, en vue de la conclusion d'un marché public global de performance ayant pour objet la conception, la réalisation, la maintenance et l'exploitation technique d'une infrastructure de communications électroniques à très haut débit sur le territoire de l'Ile de La Réunion. Le groupement Orange a été déclaré attributaire du marché par la commission d'appel d'offres réunie le 9 octobre 2018 et la société Réunicable a été informée du rejet de son offre par une lettre du 17 octobre 2018. Par une ordonnance du 23 novembre 2018, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de La Réunion, saisi par la société Réunicable sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a annulé la procédure de passation de ce marché.



Sur le pourvoi de la région Réunion :

5. La société Orange justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'ordonnance attaquée. Ainsi, son intervention à l'appui du pourvoi de la région Réunion est recevable.

6. D'une part, aux termes de l'article 32 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, qui constitue la section 3 " allotissement " du chapitre Ier du titre II de la première partie de cette ordonnance : " I. - Sous réserve des marchés publics globaux mentionnés à la section 4, les marchés publics autres que les marchés publics de défense ou de sécurité sont passés en lots séparés, sauf si leur objet ne permet pas l'identification de prestations distinctes. A cette fin, les acheteurs déterminent le nombre, la taille et l'objet des lots. / Les acheteurs peuvent toutefois décider de ne pas allotir un marché public s'ils ne sont pas en mesure d'assurer par eux mêmes les missions d'organisation, de pilotage et de coordination ou si la dévolution en lots séparés est de nature à restreindre la concurrence ou risque de rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l'exécution des prestations. (...) / II. - Lorsqu'un acheteur décide de ne pas allotir un marché public, il motive son choix en énonçant les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de sa décision ".

7. D'autre part, la section 4 " marchés publics globaux " du chapitre Ier du titre II de la première partie de cette même ordonnance comprend trois sous-sections, relatives respectivement aux marchés de conception-réalisation, aux marchés publics globaux de performance et aux marchés publics globaux sectoriels. L'article 33 fixe les conditions dans lesquelles les acheteurs peuvent conclure des marchés de conception-réalisation. L'article 34 dispose que : " Nonobstant les dispositions de l'article 33, les acheteurs peuvent conclure des marchés publics globaux de performance qui associent l'exploitation ou la maintenance à la réalisation ou à la conception-réalisation de prestations afin de remplir des objectifs chiffrés de performance définis notamment en termes de niveau d'activité, de qualité de service, d'efficacité énergétique ou d'incidence écologique. Ces marchés publics comportent des engagements de performance mesurables ". Aux termes de l'article 35, " Sans préjudice des dispositions législatives spéciales et nonobstant les dispositions des articles 33 et 34 ", les acheteurs peuvent confier à un opérateur économique une mission globale portant sur l'un des objets énumérés aux 1° à 9°.

8. Il résulte de la combinaison des dispositions citées aux points précédents que l'obligation d'allotissement énoncée par l'article 32 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 ne s'applique pas aux marchés qui entrent dans l'une des trois catégories mentionnées à la section 4. Par suite, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de La Réunion a commis une erreur de droit en jugeant que les marchés publics globaux de performance étaient soumis à une obligation d'allotissement et en annulant, pour ce motif, la procédure de passation du marché litigieux faute pour celui-ci d'avoir été alloti. La région Réunion est dès lors fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée.

Sur la demande de la société Réunicable devant le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de La Réunion :

Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint avant-dire droit à la région Réunion de communiquer l'intégralité du rapport d'analyse des offres :

10. Aux termes du II de l'article 99 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics : " Pour les marchés publics passés selon une procédure formalisée, l'acheteur, dès qu'il décide de rejeter une candidature ou une offre, notifie à chaque candidat ou soumissionnaire concerné le rejet de sa candidature ou de son offre en lui indiquant les motifs de ce rejet. / Lorsque cette notification intervient après l'attribution du marché public, elle précise, en outre, le nom de l'attributaire et les motifs qui ont conduit au choix de son offre. Elle mentionne également la date à compter de laquelle l'acheteur est susceptible de signer le marché public dans le respect des dispositions du I de l'article 101. / A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : / 1° Lorsque les négociations ou le dialogue ne sont pas encore achevés, les informations relatives au déroulement et à l'avancement des négociations ou du dialogue ; / 2° Lorsque le marché public a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue ".

11. Il résulte de l'instruction que par un courrier en date du 17 octobre 2018, la région Réunion a informé la société Réunicable de ce que son offre était rejetée, en lui indiquant les motifs du rejet de son offre ainsi que le nom de l'attributaire, les notes attribuées aux deux sociétés sur chacun des critères et les motifs qui ont conduit au choix de l'offre de l'attributaire. Dans son mémoire en défense la région Réunion a communiqué également les notes obtenues par les sociétés sur chacun des sous-critères. Dans ces conditions la société Réunicable, qui n'a au demeurant pas demandé à la région, comme il lui était loisible de le faire après notification du rejet de son offre dès lors que son offre n'avait pas été écartée comme irrégulière, inacceptable ou inappropriée, de lui communiquer les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue, était à même de contester utilement les motifs du rejet de son offre devant le juge du référé précontractuel. Ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la région Réunion de lui communiquer le rapport d'analyse des offres ne peuvent en tout état de cause qu'être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la procédure :
En ce qui concerne l'insuffisance de motivation de la décision de rejet de l'offre :

12. Ainsi qu'il a été dit au point 11, il résulte de l'instruction que par un courrier du 17 octobre 2018 la région Réunion a informé la société Réunicable du rejet de son offre et de ce que le marché avait été attribué au groupement Orange. Cette lettre indiquait également les notes obtenues par ces deux candidats sur chacun des critères, ainsi que les motifs détaillés qui justifient pour chacun des critères et sous-critères les notes attribuées aux deux sociétés. Par suite, la société Réunicable, qui n'a au demeurant pas saisi la région Réunion d'une demande de communication des caractéristiques et des avantages de l'offre retenue, n'est pas fondée à soutenir que les dispositions de l'article 99 du décret du 25 mars 2016 ont été méconnues.

En ce qui concerne la méconnaissance de l'article 34 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 :

13. En premier lieu, les dispositions de l'article 34 de l'ordonnance du 23 juillet 2015, citées au point 7, si elles permettent d'associer dans un marché global de performance l'exploitation ou la maintenance à la réalisation ou à la conception-réalisation de prestations, n'imposent pas qu'un tel marché porte sur l'intégralité de l'exploitation des équipements réalisés. Ainsi, il est loisible à l'acheteur d'inclure dans un tel marché des prestations d'exploitation technique et de maintenance de ces équipements, sans les étendre à leur exploitation commerciale et en limitant en ce domaine le rôle de l'attributaire à une mission d'assistance à la commercialisation. Par suite, la société Réunicable n'est pas fondée à soutenir que la région a méconnu les dispositions de l'article 34 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 en décidant d'avoir recours, pour l'exploitation commerciale du réseau, à une régie dotée de la personnalité juridique et de l'autonomie financière et en ne confiant en conséquence à son prestataire que des prestations d'assistance à l'exploitation commerciale du réseau.

14. En second lieu, les dispositions de l'article 34 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 prévoient que les marchés publics globaux de performances comportent des engagements de performance mesurables. Le I de l'article 92 du décret du 25 mars 2016 dispose par ailleurs que : " Le marché public global de performance fait obligatoirement apparaître, de manière séparée, les prix respectifs de la réalisation et de l'exploitation ou de la maintenance. La rémunération des prestations d'exploitation ou de maintenance doit être liée à l'atteinte des engagements de performances mesurables fixées par le marché public pour toute sa durée. / Pour attribuer le marché public global de performance, l'acheteur se fonde sur une pluralité de critères parmi lesquels figurent le critère du coût global ainsi qu'un ou plusieurs critères relatifs aux objectifs de performance prévus à l'article 34 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée et définis en fonction de l'objet du marché public ". Contrairement à ce qui est soutenu, il ne résulte pas de ces dispositions que dans le cadre d'un marché global de performance l'acheteur ne pourrait demander aux candidats que des engagements de performances exclusivement liés aux missions qui leur sont confiées dans leur totalité, et non également des engagements liés à des actions de tiers, dès lors que ces performances dépendent en partie des prestations fournies dans le cadre du marché. Au cas d'espèce il ne résulte pas de l'instruction que les résultats de la commercialisation des lignes ne seraient pas en partie liés aux prestations d'assistance à l'exploitation commerciale du réseau fournies par le titulaire. Le moyen tiré de ce que l'article 11.1 du programme de l'opération valant cahier des clauses techniques particulières (CCTP), qui prévoit un engagement de performance se rapportant à la " dynamique commerciale ", mesuré par un " taux de locaux commercialisés ", méconnaîtrait les dispositions de l'article 34 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 et du I de l'article 92 du décret du 25 mars 2016, doit par suite être écarté.

En ce qui concerne l'insuffisante définition des besoins :

15. L'article 30 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 dispose que : " La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ". Aux termes de l'article 77 du décret du 25 mars 2016 : " Les acheteurs peuvent passer un marché public comportant une tranche ferme et une ou plusieurs tranches optionnelles. Le marché public définit la consistance, le prix ou ses modalités de détermination et les modalités d'exécution des prestations de chaque tranche. / Les prestations de la tranche ferme doivent constituer un ensemble cohérent ; il en est de même des prestations de chaque tranche optionnelle compte tenu des prestations de toutes les tranches antérieures. / L'exécution de chaque tranche optionnelle est subordonnée à une décision de l'acheteur, notifiée au titulaire dans les conditions fixées par le marché public. Lorsqu'une tranche optionnelle est affermie avec retard ou n'est pas affermie, le titulaire peut bénéficier, si le marché public le prévoit et dans les conditions qu'il définit, d'une indemnité d'attente ou de dédit ".

16. Il résulte de l'instruction que le marché litigieux est composé d'une tranche ferme, portant sur la conception, la réalisation et l'exploitation d'une infrastructure de communications électroniques à très haut débit sur le territoire de six communes, et de dix-sept tranches optionnelles, correspondant chacune aux mêmes prestations sur le territoire d'une commune. Cette décomposition reflète les choix d'investissement de la région en fonction des intentions d'investissement des opérateurs privés, aucun opérateur privé n'ayant manifesté d'intention de déploiement d'un réseau de communications électroniques à très haut débit sur le territoire des six communes incluses dans la tranche ferme, à la différence des dix-sept autres communes, qui ont donné lieu en 2015 à des manifestations d'intention, recensées en 2016 dans le schéma directeur territorial d'aménagement numérique prévu à l'article L. 1425-2 du code général des collectivités territoriales, et à la signature de conventions de programmation et de suivi des déploiements entre chacun des opérateurs concernés, les collectivités territoriales et l'Etat. Ces conventions comprennent les engagements de chaque opérateur en matière de déploiement du réseau, notamment l'identification des différentes zones de déploiement au sein de chaque commune et un calendrier de déploiement dans chacune de ces zones, et de clauses relatives au suivi de leur mise en oeuvre et aux modalités de constat de la défaillance de l'une des parties. L'article 1.3.2 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) stipule que les tranches optionnelles " seront affermies en fonction du renoncement des opérateurs privés ou du constat de la défaillance de ces derniers au plus tard 12 mois avant la fin du marché. (...) ". L'article 2.3 du règlement de la consultation dispose que : " L'attention des candidats est attirée sur le fait que les missions de conception, réalisation, exploitation (comprenant la maintenance) de chaque tranche optionnelle peuvent ne pas concerner la totalité du territoire d'une commune. Chaque tranche optionnelle, une fois affermie, donnera lieu à l'émission de bons de commande dans les conditions prévues au CCAP ". L'article 1.3.5.3 du CCAP précise ces conditions.

17. Ainsi, les conditions d'affermissement de chaque tranche optionnelle et la détermination de la consistance des tranches sont définies de manière précise par les documents de la consultation. En outre, la seule circonstance que cet affermissement soit dépendant du comportement d'opérateurs privés, dont fait partie la société Réunicable, et du constat de leur défaillance selon des modalités définies dans des conventions auxquelles elle est au demeurant partie, qui est inhérente au principe même de tranches dont la mise en oeuvre vise à répondre à une carence éventuelle de l'initiative privée, ne saurait caractériser une méconnaissance des dispositions précitées de l'article 30 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 et de l'article 77 du décret du 25 mars 2016. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 30 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 et de l'article 77 du décret 25 mars 2016 doit être écarté.




En ce qui concerne l'absence d'allotissement :

18. Ainsi qu'il a été dit au point 8, les dispositions de l'article 32 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relatives à l'obligation d'allotissement ne sont pas applicables aux marchés globaux de performance. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le marché litigieux a méconnu cette obligation ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la méconnaissance alléguée du droit des communications électroniques :

19. Il résulte de l'instruction que dans la lettre notifiant à la société Réunicable le rejet de son offre et explicitant les éléments de la notation de l'offre de cette société, la région Réunion a notamment indiqué que, pour la notation du deuxième critère de jugement des offres, relatif à la valeur technique, son offre a, pour le volet " Etudes ", été jugée globalement satisfaisante pour le sous-critère " Principes d'ingénierie ", hormis quelques faiblesses tenant notamment au choix de déployer deux points de mutualisation (PM), ou sous-répartiteurs optiques (SRO) de très petite taille. La région Réunion n'a pas, en relevant que le choix de déployer deux points de mutualisation de très petite taille sur des segments longs était susceptible de soulever des difficultés pour le financement du déploiement par les partenaires, estimé que cette circonstance affectait la régularité de l'offre de la société Réunicable. Le moyen tiré de ce que la région aurait, en portant une telle appréciation, méconnu les dispositions de l'article L. 34-8 du code des postes et des communications électroniques et de la décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) du 14 décembre 2010 précisant les modalités de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique sur l'ensemble du territoire à l'exception des zones très denses est par suite inopérant, dès lors qu'il n'appartient pas au juge du référé précontractuel de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou sur les mérites respectifs des différentes offres. La société Réunicable n'établit pas davantage en quoi le fait de ne pas exiger la production des justificatifs des caractéristiques des SRO constituerait un manquement à une obligation de publicité et de mise en concurrence.

En ce qui concerne la méconnaissance du règlement de consultation :

20. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'article 7.2 du CCTP stipule que le dossier d'avant-projet comporte un volet administratif intégrant l'ensemble des projets de conventionnement nécessaires au déploiement du réseau. Ces projets de conventionnement sont notamment liés à l'accès à des infrastructures relevant d'autres opérateurs. Par suite, la société Réunicable n'est pas fondée à soutenir que la région Réunion aurait méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence en relevant, à l'appui de la notation du sous-critère " Méthodologie " du volet " Etudes " de la valeur technique, que l'offre ne comportait pas l'ensemble des projets de conventionnement correspondant aux infrastructures que le candidat indiquait envisager d'utiliser.

21. En second lieu, il résulte de l'instruction que, pour la notation du sous-critère " Méthodologie " du volet " Travaux " du critère de la valeur technique de l'offre, la société Réunicable a obtenu l'appréciation " satisfaisant ", alors que le dossier de l'attributaire a été jugé " très satisfaisant ". La notification du rejet de l'offre indique à cet égard que le niveau de détail attendu sur les opérations complexes de collecte n'est pas atteint, les travaux complexes étant seulement évoqués et les différentes techniques et méthodologies associées n'étant pas présentées. S'il ajoute que de plus le candidat n'a pas chiffré et ne propose pas de moins-value sur son offre en cas de faisabilité avérée du passage de la collecte de Cilaos en haute tension, la proposition financière relative à cette opération étant estimée sur la base d'une réalisation en génie civil neuf, cette mention, qui revêt un caractère superfétatoire, ne saurait être regardée comme une méconnaissance des critères de jugement des offres tenant à ce que la région aurait porté une appréciation financière sur son offre dans le cadre de l'évaluation de sa valeur technique.

En ce qui concerne l'illégalité des spécifications techniques du marché :

22. Aux termes de l'article 6 du décret du 25 mars 2016 : " I. - Les spécifications techniques définissent les caractéristiques requises des travaux, des services ou des fournitures qui font l'objet du marché public. / Ces caractéristiques peuvent également se référer au processus ou à la méthode spécifique de production ou de fourniture des travaux, des produits ou des services demandés ou à un processus propre à un autre stade de leur cycle de vie même lorsque ces facteurs ne font pas partie de leur contenu matériel, à condition qu'ils soient liés à l'objet du marché public et proportionnés à sa valeur et à ses objectifs. (...) II. - Les spécifications techniques sont formulées : / 1° Soit par référence à des normes ou à d'autres documents équivalents accessibles aux candidats, choisis dans l'ordre de préférence suivant et accompagnés de la mention " ou équivalent " : / 2° Soit en termes de performances ou d'exigences fonctionnelles. Celles-ci sont suffisamment précises pour permettre aux candidats de connaître exactement l'objet du marché public et à l'acheteur d'attribuer le marché public. Elles peuvent inclure des caractéristiques environnementales ou sociales ; / 3° Soit en combinant le 1° et le 2°. " L'article 8 du même décret dispose par ailleurs que " Les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d'un mode ou procédé de fabrication particulier ou d'une provenance ou origine déterminée, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type, dès lors qu'une telle mention ou référence aurait pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits. Toutefois, une telle mention ou référence est possible si elle est justifiée par l'objet du marché ou, à titre exceptionnel, dans le cas où une description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché n'est pas possible sans elle et à la condition qu'elle soit accompagnée des termes : " ou équivalent ". Il y a lieu, pour l'application de ces dispositions, d'examiner si la spécification technique a ou non pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques puis, dans l'hypothèse seulement d'une telle atteinte à la concurrence, si cette spécification est justifiée par l'objet du marché ou, si tel n'est pas le cas, si une description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché n'est pas possible sans elle.

23. Il résulte de l'instruction que l'article 7.1.3 du CCTP stipule que les données du système d'information géographique figurant dans les études d'avant-projet seront transmises dans la dernière version connue du modèle conceptuel de données GRACE THD. Ce modèle est un ensemble de spécifications relatives au format des données et à l'organisation des documents relatifs aux infrastructures d'accueil, aux infrastructures optiques et aux données d'exploitation, développé par les collectivités territoriales à des fins d'harmonisation du déploiement des réseaux d'initiative publique. Il est accessible, avec les sources et la documentation associée, sous licence libre et mis en oeuvre avec des logiciels libres et dans le cadre d'un développement ouvert. Dans ces conditions, l'exigence de recourir à ce modèle conceptuel de données, justifiée par l'objet du marché, n'est pas susceptible de favoriser ou d'éliminer un opérateur économique. La société Réunicable n'est par suite pas fondée à soutenir qu'elle méconnait les dispositions précitées des articles 6 et 8 du décret du 25 mars 2016.

En ce qui concerne l'absence de constitution d'un jury :

24. Aux termes du III de l'article 92 du décret du 25 mars 2016 : " Les marchés publics globaux de performance qui répondent à un besoin dont la valeur estimée est égale ou supérieure aux seuils de procédure formalisée et qui comprennent la réalisation de travaux relevant de la loi du 12 juillet 1985 susvisée sont passés selon les modalités fixées au II de l'article 91 ". Le II de l'article 91 de ce décret dispose que : " Lorsque la valeur estimée du besoin est égale ou supérieure aux seuils de procédure formalisée, les acheteurs mentionnés à l'article 1er de la loi du 12 juillet 1985 susvisée passent des marchés publics de conception-réalisation selon les procédures et dans les conditions mentionnées aux articles 25 ou 26 sous réserve des dispositions qui suivent : / 1° Un jury est désigné par l'acheteur. Il est composé exclusivement de personnes indépendantes des candidats. Lorsqu'une qualification professionnelle particulière est exigée pour participer à la procédure, au moins un tiers des membres du jury doit posséder cette qualification ou une qualification équivalente. / Le jury dresse un procès-verbal d'examen des candidatures et formule un avis motivé sur la liste des candidats à retenir. L'acheteur arrête la liste des candidats admis à réaliser des prestations. / Les candidats admis exécutent des prestations sur lesquelles se prononce le jury, après les avoir entendus. Ces prestations comportent au moins un avant-projet sommaire pour un ouvrage de bâtiment ou, pour un ouvrage d'infrastructure, un avant-projet accompagné de la définition des performances techniques de l'ouvrage. / Le jury dresse un procès-verbal d'examen des prestations et d'audition des candidats et formule un avis motivé. / L'acheteur peut demander des clarifications ou des précisions concernant les offres, dans le cadre d'une procédure d'appel d'offres, et les offres finales, dans le cadre des autres procédures. Ces précisions, clarifications ou compléments ne peuvent avoir pour effet de modifier des éléments fondamentaux de l'offre ou des caractéristiques essentielles du marché public. / Le marché public est attribué au vu de l'avis du jury. / 2° La désignation d'un jury est facultative dans les cas suivants : / a) Pour les marchés publics de conception-réalisation passés par les pouvoirs adjudicateurs dans les hypothèses énumérées aux a à c du 1° du II de l'article 90 ; / (...) ". L'article 90 du même décret vise notamment, au c) du 1° du II, les " marché[s] public[s] de maîtrise d'oeuvre relatif[s] à des ouvrages d'infrastructures ".

25. Il résulte de la combinaison de ces dispositions et des renvois successifs qu'elles opèrent qu'alors même que les dispositions du 2° du II de l'article 91 et du 1° du II de l'article 90 ne mentionnent respectivement que les marchés publics de conception-réalisation et les marchés publics de maîtrise d'oeuvre, le III de l'article 92 en étend l'application aux marchés globaux de performance, et que les pouvoirs adjudicateurs passant un tel marché, lorsqu'il est relatif à des ouvrages d'infrastructures, sont dispensés de l'obligation de constituer un jury pour l'attribution du marché. Le marché litigieux, qui a pour objet la conception, la réalisation et l'exploitation d'une infrastructure de communications électroniques à très haut débit, relève de cette dérogation. Par suite, la société Réunicable n'est pas fondée à soutenir que la région Réunion a méconnu les dispositions du III de l'article 92 du décret du 25 mars 2016 en ne désignant pas un jury et en faisant examiner les offres par la commission d'appel d'offres de la collectivité.

26. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par la région Réunion, que la société Réunicable n'est pas fondée à demander l'annulation de la procédure de passation du marché litigieux.

Sur le pourvoi de la société Orange :

27. La région Réunion justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'ordonnance attaquée. Ainsi, son intervention à l'appui du pourvoi de la société Orange est recevable.

28. En raison de l'annulation prononcée par la présente décision, le pourvoi de la société Orange contre l'ordonnance du juge du référé précontractuel du tribunal administratif de La Réunion, qui doit être regardé comme une tierce opposition faute pour la société Orange d'avoir été mise en cause par le juge des référés, a perdu son objet. Il appartient dès lors au Conseil d'Etat de constater qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce pourvoi.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

29. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Réunicable la somme de 4 000 euros à verser à la région Réunion, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la région Réunion qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. S'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Orange au titre de ces dispositions.


D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions de la société Orange et de la région Réunion sont admises.
Article 2 : L'ordonnance du 23 novembre 2018 du juge des référés du tribunal administratif de La Réunion est annulée.
Article 3 : La demande de la société Réunicable devant le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion est rejetée.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi de la société Orange.
Article 5 : La société Réunicable versera à la région Réunion une somme de 4 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Les conclusions présentées par la société Réunicable et par la société Orange au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la région Réunion, à la société Orange et à la société Réunicable.


Voir aussi