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Ariane Web: Conseil d'État 410859, lecture du 24 avril 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:410859.20190424

Décision n° 410859
24 avril 2019
Conseil d'État

N° 410859
ECLI:FR:CECHR:2019:410859.20190424
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
Mme Cécile Viton, rapporteur
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du mercredi 24 avril 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

L'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) " Résidence du Colombier " a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer la décharge de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2015 à raison de l'immeuble dont il est propriétaire à Thiviers (Dordogne). Par un jugement n° 1601151 du 30 mars 2017, le tribunal a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 mai et 24 août 2017 et le 28 septembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'EHPAD " Résidence du Colombier " demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Viton, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l'EHPAD " Résidence du Colombier " ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'EHPAD " Résidence du Colombier ", qui est un établissement public, a été assujetti au titre de l'année 2015 à une cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties dans les rôles de la commune de Thiviers (Dordogne) à raison de l'immeuble dont il est propriétaire et qui est affecté à l'exploitation d'un établissement accueillant des personnes âgées dépendantes. L'EHPAD se pourvoit en cassation contre le jugement du 30 mars 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions.

2. Aux termes de l'article 1382 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : " Sont exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties :/ 1° Les immeubles nationaux, les immeubles régionaux, les immeubles départementaux pour les taxes perçues par les communes et par le département auquel ils appartiennent et les immeubles communaux pour les taxes perçues par les départements et par la commune à laquelle ils appartiennent, lorsqu'ils sont affectés à un service public ou d'utilité générale et non productifs de revenus (...) / ; (...) cette exonération n'est pas applicable aux immeubles qui appartiennent à des établissements publics autres que les établissements publics de coopération intercommunale, les syndicats mixtes, les pôles métropolitains, les ententes interdépartementales, les établissements publics scientifiques, d'enseignement et d'assistance ainsi que les établissements visés aux articles 12 et 13 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, ni aux organismes de l'Etat, des départements ou des communes ayant un caractère industriel ou commercial ". Il résulte de ces dispositions que les établissements publics peuvent bénéficier de l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties à raison des immeubles dont ils sont propriétaires sous réserve, d'une part, que ces établissements relèvent de la liste mentionnée au douzième alinéa du 1° de l'article 1382 du code général des impôts précité, tels les établissements publics d'assistance, et, d'autre part, que les immeubles soient affectés à leur fonctionnement et ne produisent pas de revenus, même symboliques.

3. Constituent des établissements publics d'assistance au sens des dispositions du douzième alinéa du 1° de l'article 1382 du code général des impôts citées au point 2, les établissements publics d'hébergement pour personnes âgées dépendantes.

4. Il s'ensuit qu'en refusant à l'EHPAD " Résidence du Colombier " la qualité d'établissement public d'assistance au sens des dispositions du douzième alinéa du 1° de l'article 1382 du code général des impôts précité eu égard à la nature des missions confiées aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a commis une erreur de droit. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, l'EHPAD " Résidence du Colombier " est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

En ce qui concerne la loi fiscale

6. Si, ainsi qu'il a été dit au point 4, l'établissement public " Résidence du Colombier " revêt la qualité d'établissement public d'assistance au sens des dispositions du douzième alinéa du 1° de l'article 1382 du code général des impôts précité. il résulte de l'instruction qu'il perçoit, pour l'hébergement des personnes âgées qui lui sont confiées et les soins qui leur sont dispensés, non seulement des aides publiques mais aussi des financements privés. Dès lors que l'immeuble dans lequel est exercée son activité d'hébergement et de soins aux personnes âgées dépendantes est ainsi productif de revenus à raison des financements privés perçus, l'EHPAD " Résidence du Colombier " ne peut prétendre à l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties prévue au 1° de l'article 1382 du code général des impôts précité.

En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale

7. L'EHPAD " Résidence du Colombier " se prévaut, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de l'instruction administrative 6 C-1213 n° 3 reprise au paragraphe 40 des commentaires administratifs publiés le 12 septembre 2012 au bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-IF-TFB-10-50-10-30 qui prévoit, s'agissant de la condition d'absence de production de revenus à laquelle est subordonnée l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour les personnes publiques, qu' " il convient, à titre de règle pratique, d'assimiler à des propriétés improductives de revenus celles où s'exerce une activité susceptible d'être exonérée de la cotisation foncière des entreprises en application du 1° de l'article 1449 du CGI, c'est-à-dire revêtant un caractère essentiellement culturel, éducatif, sanitaire, social, sportif ou touristique ".

8. Cette instruction administrative comporte une interprétation formelle du texte fiscal dont l'EHPAD peut se prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales pour soutenir que l'immeuble dans lequel est exercée son activité d'hébergement et de soins aux personnes âgées dépendantes, qui revêt un caractère sanitaire et social, doit être assimilé à une propriété improductive de revenus pour l'application du 1° de l'article 1382 du code général des impôts précité.

9. Il résulte de tout ce qui précède que l'EHPAD " Résidence du Colombier " est fondé à demander à être déchargé de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2015.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à l'EHPAD " Résidence du Colombier " au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 30 mars 2017 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.

Article 2 : L'EHPAD " Résidence du Colombier " est déchargé de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2015.

Article 3 : L'Etat versera à l'EHPAD " Résidence du Colombier " la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Résidence du Colombier " et au ministre de l'action et des comptes publics.




Voir aussi