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Ariane Web: Conseil d'État 426321, lecture du 9 mai 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:426321.20190509

Décision n° 426321
9 mai 2019
Conseil d'État

N° 426321
ECLI:FR:Code Inconnu:2019:426321.20190509
Publié au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Florian Roussel, rapporteur
LE PRADO ; SCP SEVAUX, MATHONNET, avocats


Lecture du jeudi 9 mai 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE




Vu la procédure suivante :

Par un jugement n° 1807850 du 13 décembre 2018, le tribunal administratif de Montreuil, avant de statuer sur la demande de la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) tendant à l'annulation du titre exécutoire n° 236 émis à son encontre le 16 mai 2018 par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) pour un montant de 253 419,04 euros et à la décharge de l'obligation de payer cette somme, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de surseoir à statuer et de transmettre pour avis le dossier de cette affaire au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :

1°) L'ONIAM, lorsqu'il est subrogé dans les droits de la victime sur le fondement de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, peut-il émettre un titre exécutoire à l'encontre de l'hôpital public ou de son assureur à concurrence des sommes qu'il a versées à la victime '

2°) En cas de réponse positive à la première question :

2.1. L'ONIAM, agissant sur le fondement de l'article L. 1142-15, peut-il concomitamment émettre un titre exécutoire et exercer un recours subrogatoire devant le juge de la responsabilité '

2.2. La compétence territoriale du tribunal administratif est-elle déterminée sur le fondement de l'article R. 312-1 du code de justice administrative ou sur le fondement de l'article R. 312-14 du même code ' L'introduction d'un autre recours en responsabilité introduit antérieurement ou en cours d'instance par l'ONIAM sur le fondement de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, si elle est admise, a-t-elle une incidence sur cette compétence territoriale '

2.3. Le juge doit-il, dans le contentieux de l'opposition au titre exécutoire, mettre en cause les autres tiers payeurs susceptibles de disposer également d'une créance subrogatoire '

2.4. L'ONIAM peut-il présenter des conclusions reconventionnelles tendant au versement de la somme de 15% de l'indemnité prévue par les dispositions précitées '

L'ONIAM a présenté un mémoire, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 14 janvier 2019.

La SHAM a présenté un mémoire, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 25 janvier 2019.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des assurances ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 ;

- la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;

- la loi n° 92-1476 du 31 décembre 1992 ;

- la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Florian Roussel, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public ;
- La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Le Prado, avocat de la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 avril 2019, présentée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 avril 2019, présentée par la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) ;
REND L'AVIS SUIVANT


1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1142-14 du code de la santé publique : " Lorsque la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales estime qu'un dommage relevant du premier alinéa de l'article L. 1142-8 engage la responsabilité d'un professionnel de santé, d'un établissement de santé, d'un service de santé ou d'un organisme mentionné à l'article L. 1142-1 ou d'un producteur d'un produit de santé mentionné à l'article L. 1142-2, l'assureur qui garantit la responsabilité civile ou administrative de la personne considérée comme responsable par la commission adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l'avis, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis dans la limite des plafonds de garantie des contrats d'assurance ". Aux termes de l'article L. 1142-15 du même code : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré ou la couverture d'assurance prévue à l'article L. 1142-2 est épuisée ou expirée, l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur. / (...) / L'acceptation de l'offre de l'office vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil. La transaction est portée à la connaissance du responsable et, le cas échéant, de son assureur ou du fonds institué à l'article L. 426-1 du code des assurances. / L'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ou le fonds institué à l'article L. 426-1 du même code. Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise. / En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue. / Lorsque l'office transige avec la victime, ou ses ayants droit, en application du présent article, cette transaction est opposable à l'assureur ou, le cas échéant, au fonds institué au même article L. 426-1 du code des assurances ou au responsable des dommages sauf le droit pour ceux-ci de contester devant le juge le principe de la responsabilité ou le montant des sommes réclamées. Quelle que soit la décision du juge, le montant des indemnités allouées à la victime lui reste acquis ".

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1142-22 du code de la santé publique : " L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est un établissement public à caractère administratif de l'Etat, placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé. Il est chargé de l'indemnisation au titre de la solidarité nationale, dans les conditions définies au II de l'article L. 1142-1, à l'article L. 1142-1-1 et à l'article L. 1142-17, des dommages occasionnés par la survenue d'un accident médical, d'une affection iatrogène ou d'une infection nosocomiale ainsi que des indemnisations qui lui incombent, le cas échéant, en application des articles L. 1142-15, L. 1142-18, L. 1142-24-7 et L. 1142-24-16 ". Aux termes de l'article L. 1142-23 de ce code : " L'office est soumis à un régime administratif, budgétaire, financier et comptable défini par décret. / (...) / Les recettes de l'office sont constituées par : (...) 4° Le produit des recours subrogatoires mentionnés aux articles L. 1221-14, L. 1142-15, L. 1142-17, L. 1142-24-7, L. 1142-24-16, L. 1142-24-17, L. 3131-4, L. 3111-9 et L. 3122-4 ; (...) ". Aux termes de l'article R. 1142-53 de ce code, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) " est soumis aux dispositions des titres Ier et III du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ".

3. Aux termes de l'article 98 de la loi du 31 décembre 1992 de finances rectificative pour 1992 : " Constituent des titres exécutoires les arrêtés, états, rôles, avis de mise en recouvrement, titres de perception ou de recettes que l'Etat, les collectivités territoriales ou les établissements publics dotés d'un comptable public délivrent pour le recouvrement des recettes de toute nature qu'ils sont habilités à recevoir ". Aux termes de l'article 28 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, qui figure dans le titre Ier de ce décret : " L'ordre de recouvrer fonde l'action de recouvrement. Il a force exécutoire dans les conditions prévues par l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales. / Le comptable public muni d'un titre exécutoire peut poursuivre l'exécution forcée de la créance correspondante auprès du redevable, dans les conditions propres à chaque mesure d'exécution. / Le cas échéant, il peut également poursuivre l'exécution forcée de la créance sur la base de l'un ou l'autre des titres exécutoires énumérés par l'article L. 111-3 du code des procédures civiles d'exécution ". Aux termes de l'article 192 de ce décret, inséré dans son titre III : " Tout ordre de recouvrer donne lieu à une phase de recouvrement amiable. En cas d'échec du recouvrement amiable, il appartient à l'agent comptable de décider l'engagement d'une procédure de recouvrement contentieux. / L'exécution forcée par l'agent comptable peut, à tout moment, être suspendue sur ordre écrit de l'ordonnateur ".

Sur la possibilité pour l'ONIAM d'émettre un titre exécutoire :

4. Il résulte des dispositions précitées de l'article R. 1142-53 du code de la santé publique que l'ONIAM peut émettre un titre exécutoire en vue du recouvrement de toute créance dont le fondement se trouve dans les dispositions d'une loi, d'un règlement ou d'une décision de justice, ou dans les obligations contractuelles ou quasi-délictuelles du débiteur. Les dispositions de l'article L. 1142-15 de ce code ne font pas obstacle à ce que l'ONIAM émette un tel titre à l'encontre de la personne responsable du dommage, de son assureur ou du fonds institué à l'article L. 426-1 du code des assurances afin de recouvrer les sommes versées à la victime, aux droits de laquelle il est subrogé.

5. En revanche, il résulte des dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique que la pénalité prévue à cet article en cas de silence ou de refus de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, ne peut être prononcée que par le juge. L'ONIAM ne peut donc, en l'état des dispositions applicables, émettre un titre exécutoire en vue du recouvrement de cette pénalité et doit, s'il entend qu'elle soit infligée, saisir la juridiction compétente d'une demande tendant au prononcé de la pénalité contre, selon le cas, l'assureur ou le responsable des dommages.

Sur l'articulation du recours au titre exécutoire et de la saisine du juge administratif :

6. Lorsqu'il cherche à recouvrer les sommes versées aux victimes en application de la transaction conclue avec ces dernières, l'ONIAM peut soit émettre un titre exécutoire à l'encontre de la personne responsable du dommage, de son assureur ou du fonds institué à l'article L. 426-1 du code des assurances, soit saisir la juridiction compétente d'une requête à cette fin.

7. Toutefois, l'office n'est pas recevable à saisir le juge d'une requête tendant à la condamnation du débiteur au remboursement de l'indemnité versée à la victime lorsqu'il a, préalablement à cette saisine, émis un titre exécutoire en vue de recouvrer la somme en litige. Réciproquement, il ne peut légalement émettre un titre exécutoire en vue du recouvrement forcé de sa créance s'il a déjà saisi le juge ou s'il le saisit concomitamment à l'émission du titre.

8. Ces règles d'articulation ne trouvent à s'appliquer que lorsqu'est en cause la même créance de l'ONIAM sur le responsable du dommage ou son assureur. Lorsque l'office, après avoir indemnisé la victime, l'indemnise à nouveau en raison d'une aggravation de son état de santé, les créances nées de ces deux indemnisations successives sont distinctes et l'office n'est pas tenu, s'agissant de la deuxième créance, de suivre la même voie procédurale que celle qu'il a retenue pour la première créance.

Sur la contestation des états exécutoires :

9. Les débiteurs peuvent introduire contre un titre exécutoire, devant la juridiction compétente, un recours qui présente un caractère suspensif en application d'un principe général du droit auquel le décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ne saurait avoir dérogé.

10. Lorsque l'ONIAM a émis un titre exécutoire en vue du recouvrement de la somme versée à la victime en application de l'article L. 1142-15, le recours du débiteur tendant à la décharge de la somme ainsi mise à sa charge invite le juge administratif à se prononcer sur la responsabilité du débiteur à l'égard de la victime aux droits de laquelle l'office est subrogé, ainsi que sur le montant de son préjudice. Par suite, il résulte de l'article R. 312-14 du code de justice administrative que le tribunal administratif territorialement compétent pour connaître d'une telle demande est celui dans le ressort duquel se trouve le lieu où s'est produit le fait générateur du dommage subi par la victime.

11. Lorsque le débiteur a formé une opposition contre le titre exécutoire devant la juridiction compétente, l'ONIAM ne peut poursuivre le recouvrement de la pénalité prévue à l'article L.1142-15 du code de la santé publique qu'en présentant une demande reconventionnelle devant la juridiction saisie de cette opposition. Il n'est donc pas recevable, dans cette hypothèse, à saisir ultérieurement la juridiction d'une nouvelle requête tendant à la condamnation du débiteur au paiement de cette pénalité.

Sur l'information et la mise en cause des tiers payeurs :

12. Lorsqu'il a versé une indemnité à la victime en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, il appartient à l'ONIAM, s'il a connaissance du versement à cette victime de prestations mentionnées à l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la 'circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, d'informer les tiers payeurs concernés afin de leur permettre de faire valoir leurs droits auprès du tiers responsable, de son assureur ou du fonds institué à l'article L. 426-1 du code des assurances. Il incombe également à l'office d'informer les tiers payeurs, le cas échéant, de l'émission d'un titre exécutoire à l'encontre du débiteur de l'indemnité ainsi que des décisions de justice rendues sur le recours formé par le débiteur contre ce titre.

13. En revanche, il ne résulte ni de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ni d'aucune autre disposition législative ou réglementaire que les tiers payeurs ayant servi des prestations à la victime en raison de l'accident devraient être appelés en la cause lorsque le débiteur saisit le juge administratif d'une opposition au titre exécutoire.



Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Montreuil, à la Société hospitalière d'assurances mutuelles, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la ministre des solidarités et de la santé.

Il sera publié au Journal officiel de la République française.





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