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Ariane Web: Conseil d'État 426365, lecture du 9 mai 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:426365.20190509

Décision n° 426365
9 mai 2019
Conseil d'État

N° 426365
ECLI:FR:CECHR:2019:426365.20190509
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Florian Roussel, rapporteur
SCP SEVAUX, MATHONNET ; LE PRADO, avocats


Lecture du jeudi 9 mai 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE




Vu la procédure suivante :

Par un jugement n° 18008727 du 13 décembre 2018, le tribunal administratif de Montreuil, avant de statuer sur la demande de la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) tendant à l'annulation du titre exécutoire n° 608 émis à son encontre le 4 juillet 2018 par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) pour un montant de 145 314,75 euros et à la décharge de l'obligation de payer cette somme, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de surseoir à statuer et de transmettre pour avis le dossier de cette affaire au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :

1°) L'ONIAM qui a indemnisé, au titre de la solidarité nationale, une victime d'une contamination par le virus de l'hépatite C et qui entend, sur le fondement de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, être garanti par les assureurs des structures de transfusion sanguine, reprises par l'Etablissement français du sang, des sommes qu'il a versées, peut-il renoncer à une action directe contre les assureurs pour choisir de recouvrer sa créance par la voie du titre exécutoire ' Peut-il également, le cas échéant, cumuler cette dernière action avec l'émission d'un titre exécutoire '

2°) Quel ordre de juridiction est compétent pour connaitre d'une action formée par l'assureur d'un centre de transfusion sanguine contre un titre exécutoire émis par l'ONIAM sur ce fondement '

3°) En cas de compétence de la juridiction administrative, la compétence territoriale est-elle déterminée sur le fondement de l'article R. 312-1 du code de justice administrative ou de l'article R. 312-14 du même code ou sur un autre critère '

4°) En cas de compétence de la juridiction administrative, le juge doit-il mettre en cause dans la procédure les autres tiers payeurs susceptibles de disposer également d'une créance subrogatoire '

5°) En cas de compétence de la juridiction administrative, quelle prescription est applicable aux actions de l'ONIAM contre l'assureur du centre de transfusion sanguine '


L'ONIAM a présenté des mémoires, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 14 janvier et 5 mars 2019.

La SHAM a présenté un mémoire, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 25 janvier 2019.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des assurances ;

- le code de la santé publique ;

- l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 ;

- la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;

- la loi n° 92-1476 du 31 décembre 1992 ;

- la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 ;

- la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 ;

- la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 ;

- l'ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Florian Roussel, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public ;
- La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Le Prado, avocat de la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 avril 2019, présentée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 avril 2019, présentée par la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) ;
REND L'AVIS SUIVANT


1. L'article 67 de la loi du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009 a chargé l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) d'indemniser les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang. Le I de cet article 67 a inséré au code de la santé publique un article L. 1221-14 déterminant la procédure d'indemnisation des victimes par l'office. Le IV du même article a, par ailleurs, prévu que l'office se substitue à l'Etablissement français du sang dans les contentieux en cours à la date d'entrée en vigueur de cet article au titre des préjudices mentionnés à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable.

2. Aux termes de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l'article 72 de la loi du 17 décembre 2012 : " Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite B ou C ou le virus T-lymphotropique humain causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang réalisée sur les territoires auxquels s'applique le présent chapitre sont indemnisées au titre de la solidarité nationale par l'office mentionné à l'article L. 1142-22 dans les conditions prévues à la seconde phrase du troisième alinéa de l'article L. 3122-1, aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 3122-2, au premier alinéa de l'article L. 3122-3 et à l'article L. 3122-4, à l'exception de la seconde phrase du premier alinéa./ (...) La transaction à caractère définitif ou la décision juridictionnelle rendue sur l'action en justice prévue au précédent alinéa vaut désistement de toute action juridictionnelle en cours et rend irrecevable toute autre action juridictionnelle visant à la réparation des mêmes préjudices./ La transaction intervenue entre l'office et la victime, ou ses ayants droit, en application du présent article est opposable à l'assureur, sans que celui-ci puisse mettre en oeuvre la clause de direction du procès éventuellement contenue dans les contrats d'assurance applicables, ou, le cas échéant, au responsable des dommages, sauf le droit pour ceux-ci de contester devant le juge le principe de la responsabilité ou le montant des sommes réclamées. L'office et l'Etablissement français du sang peuvent en outre obtenir le remboursement des frais d'expertise. Quelle que soit la décision du juge, le montant des indemnités allouées à la victime ou à ses ayants droit leur reste acquis./ Lorsque l'office a indemnisé une victime, il peut directement demander à être garanti des sommes qu'il a versées par les assureurs des structures reprises par l'Etablissement français du sang en vertu du B de l'article 18 de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire de produits destinés à l'homme, de l'article 60 de la loi de finances rectificative pour 2000 (n° 2000-1353 du 30 décembre 2000) et de l'article 14 de l'ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine, que le dommage subi par la victime soit ou non imputable à une faute./ L'office et les tiers payeurs ne peuvent exercer d'action subrogatoire contre l'Etablissement français du sang, venu aux droits et obligations des structures mentionnées à l'avant-dernier alinéa, si l'établissement de transfusion sanguine n'est pas assuré, si sa couverture d'assurance est épuisée ou encore dans le cas où le délai de validité de sa couverture est expiré. / (...) ".

3. Aux termes de l'article 15 de l'ordonnance du 1er septembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine : " Les demandes tendant à l'indemnisation des dommages résultant de la fourniture de produits sanguins labiles ou de médicaments dérivés du sang élaborés par les personnes morales de droit public mentionnées à l'article 14 de la présente ordonnance ou par des organismes dont les droits et obligations ont été transférés à l'Etablissement français du sang en vertu d'une convention conclue en application de l'article 18 de la loi du 1er juillet 1998 visée ci-dessus ou dans les conditions fixées au I de l'article 60 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2000 visée ci-dessus relèvent de la compétence des juridictions administratives quelle que soit la date à laquelle est intervenu le fait générateur des dommages dont il est demandé réparation. Les juridictions judiciaires saisies antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente ordonnance de demandes pour lesquelles elles étaient compétentes le demeurent après cette entrée en vigueur".

Sur la possibilité pour l'ONIAM d'émettre un titre exécutoire :

4. Il résulte des dispositions de l'article R. 1142-53 du code de la santé publique, qui rendent applicable à l'ONIAM les dispositions des titres Ier et III du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, que l'ONIAM peut émettre un titre exécutoire en vue du recouvrement de toute créance dont le fondement se trouve dans les dispositions d'une loi, d'un règlement ou d'une décision de justice, ou dans les obligations contractuelles ou quasi-délictuelles du débiteur. Les dispositions de l'article L. 1221-14 de ce code ne font pas obstacle à ce que l'ONIAM émette un tel titre à l'encontre des assureurs des structures reprises par l'Etablissement français du sang aux fins de recouvrer les sommes versées à la victime, aux droits de laquelle il est subrogé.

5. Lorsqu'il cherche à recouvrer les sommes versées aux victimes de contamination transfusionnelle en application de la transaction conclue avec ces dernières, l'ONIAM peut ainsi soit émettre un tel titre exécutoire soit saisir la juridiction compétente d'une requête à cette fin. Toutefois, l'office n'est pas recevable à saisir le juge d'une requête tendant à la condamnation du débiteur au remboursement de l'indemnité versée à la victime lorsqu'il a, préalablement à cette saisine, émis un titre exécutoire en vue de recouvrer la somme en litige. Réciproquement, il ne peut légalement émettre un titre exécutoire en vue du recouvrement forcé de sa créance s'il a déjà saisi le juge ou s'il le saisit concomitamment à l'émission du titre.

6. Les débiteurs disposent de la possibilité d'introduire contre un tel titre exécutoire, devant la juridiction compétente, un recours qui présente un caractère suspensif, en application d'un principe général du droit auquel le décret du 7 novembre 2012 ne saurait avoir dérogé.

Sur l'ordre de juridiction compétent pour connaître d'un litige relatif à la garantie prévue par la loi :

7. L'ordre de juridiction compétent pour connaître de l'action en garantie ouverte à l'ONIAM par l'article L. 1221-14 du code de la santé publique doit être déterminé en fonction de la nature du contrat d'assurance conclu entre l'assureur, contre lequel cette action est dirigée, et la structure de transfusion sanguine reprise par l'Etablissement français du sang. Si ce contrat est de droit privé, la juridiction judiciaire est compétente pour connaître d'une telle action. S'il présente le caractère d'un contrat administratif, par application de l'article 2 de la loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier et de l'article 29 du code des marchés publics, l'action en garantie de l'ONIAM doit être portée devant la juridiction administrative.

8. En prévoyant, à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, la possibilité pour l'ONIAM de former une action en garantie contre les assureurs des structures de transfusion sanguine reprises par l'Etablissement français du sang pour récupérer les sommes qu'il a versées aux victimes, le législateur a entendu conférer à la juridiction compétente pour connaître de cette action en garantie plénitude de juridiction pour statuer sur l'ensemble des questions qui s'y rapportent, y compris celles qui ont trait à la responsabilité de l'assuré dans la survenue du dommage, sans qu'y fassent obstacle les dispositions de l'article 15 de l'ordonnance du 1er septembre 2005 citées au point 3.

9. La juridiction compétente pour connaître de l'action en garantie formée par l'ONIAM sur le fondement de ces dispositions l'est également pour connaître de l'opposition formée par l'assureur contre le titre exécutoire émis par l'office, lorsque celui-ci a choisi cette voie pour procéder au recouvrement de sa créance.

Sur le tribunal administratif territorialement compétent :

10. Lorsque l'ONIAM a émis un titre exécutoire en vue du recouvrement de la somme versée à la victime en application de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, le recours de l'assureur de la structure de transfusion sanguine reprise par l'Etablissement français du sang tendant à la décharge de la somme ainsi mise à sa charge invite le juge administratif à se prononcer sur la responsabilité de la structure de transfusion sanguine reprise par l'Etablissement français du sang à l'égard de la victime aux droits de laquelle l'ONIAM est subrogé, ainsi que sur le montant de son préjudice. Par suite, il résulte de l'article R. 312-14 du code de justice administrative que le tribunal administratif territorialement compétent pour connaître d'une telle demande est celui dans le ressort duquel se trouve le lieu où s'est produit où le fait générateur du dommage subi par la victime.

Sur l'information et la mise en cause des tiers payeurs :

11. Lorsqu'il a versé une indemnité à la victime d'une contamination transfusionnelle en application de l'article L. 1221-14, il appartient à l'ONIAM, s'il a connaissance du versement à cette victime de prestations énumérées à l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, d'informer les tiers payeurs concernés afin de leur permettre de faire valoir leurs droits auprès de la structure de transfusion sanguine reprise par l'Etablissement français du sang ou de son assureur. Il incombe également à l'office d'informer les tiers payeurs, le cas échéant, de l'émission d'un titre exécutoire à l'encontre du débiteur de l'indemnité ainsi que des décisions de justice rendues sur le recours formé par le débiteur contre ce titre.

12. En revanche, il ne résulte ni de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ni d'aucune autre disposition législative ou réglementaire que les tiers payeurs ayant servi des prestations à la victime en raison de l'accident devraient être appelés en la cause lorsque le débiteur saisit le juge administratif d'une opposition au titre exécutoire.

Sur le délai de prescription applicable :

13. Aux termes de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique : " Les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé publics ou privés à l'occasion d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins et les demandes d'indemnisation formées devant l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales en application du II de l'article L. 1142-1 et des articles L. 1142-24-9, L. 1221-14, L. 3111-9, L. 3122-1 et L. 3131-4 se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage ".

14. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 114-1 du code des assurances : " Toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance ".

15. Il résulte de la combinaison des dispositions rappelées aux points 1 et 2 que, s'agissant des litiges en cours au 1er juin 2010, l'ONIAM est substitué à l'Etablissement français du sang à l'égard tant des victimes que des tiers payeurs, ces derniers ne pouvant toutefois engager une action subrogatoire à l'égard de l'office que si l'établissement de transfusion sanguine à l'origine du dommage était assuré et si sa couverture d'assurance n'est pas épuisée ou venue à expiration. S'agissant des litiges engagés après le 1er juin 2010, d'une part, l'ONIAM est tenu d'indemniser la victime au titre de la solidarité nationale, d'autre part, l'office et les tiers payeurs peuvent engager une action subrogatoire contre l'Etablissement français du sang, après avoir indemnisé la victime, à la condition que l'établissement de transfusion sanguine à l'origine du dommage ait été assuré et que sa couverture d'assurance ne soit pas épuisée ou venue à expiration.

16. Lorsque l'ONIAM exerce contre les assureurs des structures reprises par l'Etablissement français du sang l'action directe prévue par le IV de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008, dans le cadre de litiges en cours au 1er juin 2010, il agit en lieu et place de l'Etablissement français du sang, venant lui-même aux droits de ces structures assurées. Dès lors, dans ces procédures, l'office dispose des mêmes droits que les structures assurées et son action se trouve soumise à la prescription biennale prévue par l'article L. 114-1 du code des assurances.

17. Lorsqu'il exerce contre les assureurs des structures reprises par l'Etablissement français du sang l'action directe prévue par le septième alinéa de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, pour des litiges engagés après le 1er juin 2010, l'ONIAM est subrogé dans les droits de la victime qu'il a indemnisée au titre de la solidarité nationale. Une telle action est, par suite, soumise au délai de prescription applicable à l'action de la victime, à savoir le délai de dix ans prévu à l'article L. 1142-28 du code de la santé publique.



Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Montreuil, à la Société hospitalière d'assurances mutuelles, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la ministre des solidarités et de la santé.

Il sera publié au Journal officiel de la République française.



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