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Ariane Web: Conseil d'État 421101, lecture du 29 mai 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:421101.20190529

Décision n° 421101
29 mai 2019
Conseil d'État

N° 421101
ECLI:FR:CECHR:2019:421101.20190529
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
Mme Cécile Isidoro, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO, avocats


Lecture du mercredi 29 mai 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

La cour d'appel d'Amiens a sursis à statuer sur le recours dont elle était saisie et a saisi le tribunal administratif de Lille de l'appréciation de légalité de la dernière phrase du dernier alinéa des articles 6 et 7 des arrêtés des 26 septembre 2007 et 29 septembre 2008 par lesquels le préfet du Pas-de-Calais a actualisé les minima et maxima des valeurs locatives des biens loués à usage d'exploitation agricole.

Par un jugement n° 1703021 du 9 mai 2018, le tribunal administratif de Lille a déclaré que les dispositions de la dernière phrase du dernier alinéa des articles 6 et 7 des arrêtés des 26 septembre 2007 et 29 septembre 2008 sont entachées d'illégalité.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 31 mai et 19 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de déclarer que les dispositions des articles 6 et 7 des arrêtés des 26 septembre 2007 et 29 septembre 2008 ne sont pas entachées d'illégalité ;

3°) de mettre à la charge de Mme C...la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code rural ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Isidoro, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. A...;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme C... a loué à M.A..., par un bail prenant effet à compter du 1er octobre 1980, des terres agricoles supportant une maison d'habitation et des bâtiments d'exploitation. Lors du renouvellement du bail en 2007, un litige est né entre les parties sur les modalités de fixation du loyer de la maison d'habitation et des bâtiments d'exploitation. Par un jugement du 12 juin 2012, le tribunal paritaire des baux ruraux de Béthune a réévalué, après expertise, le montant du fermage dû à Mme C...par M.A.... Par un arrêt rendu le 13 décembre 2012, la cour d'appel de Douai a partiellement infirmé le jugement en réévaluant les fermages des deux bâtiments pour tenir compte des améliorations apportées par le preneur aux bâtiments d'exploitation et d'habitation. Par une décision du 3 juin 2014, la Cour de cassation a annulé cet arrêt dans la mesure où il a fixé le loyer du bail renouvelé correspondant aux bâtiments d'exploitation et de la maison d'habitation en prenant en considération les améliorations apportées par le preneur au cours du bail précédent au motif qu'en statuant ainsi, la cour d'appel de Douai avait violé l'arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 26 septembre 2007 actualisant les minima et les maxima des valeurs locatives des biens loués à usage d'exploitation agricole et a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel d'Amiens. Par un arrêt rendu le 30 mars 2017, la cour d'appel d'Amiens a sursis à statuer et renvoyé au tribunal administratif de Lille la question préjudicielle de la légalité des articles 6 et 7 des arrêtés des 26 septembre 2007 et 29 septembre 2008 par lesquels le préfet du Pas-de-Calais a actualisé les minima et les maxima des valeurs locatives des biens loués à usage d'exploitation agricole. Par un jugement du 9 mai 2018, le tribunal administratif de Lille a déclaré que la dernière phrase du dernier alinéa des articles 6 et 7 des arrêtés était illégale. M. A...demande l'annulation de ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 411-11 du code rural, dans sa rédaction applicable à la date de signature de l'arrêté préfectoral du 26 septembre 2007 : " Le prix de chaque fermage est établi en fonction, notamment, de la durée du bail, compte tenu d'une éventuelle clause de reprise en cours de bail, de l'état et de l'importance des bâtiments d'habitation et d'exploitation, de la qualité des sols ainsi que de la structure parcellaire du bien loué et, le cas échéant, de l'obligation faite au preneur de mettre en oeuvre des pratiques culturales respectueuses de l'environnement en application de l'article L. 411-27. Ce prix est constitué, d'une part, du loyer des bâtiments d'habitation et, d'autre part, du loyer des bâtiments d'exploitation et des terres nues. / Le loyer des bâtiments d'habitation est fixé en monnaie entre des maxima et des minima qui sont arrêtés par l'autorité administrative sur la base de références calculées d'après les modalités définies par décret en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de l'article L. 411-50 du code rural : " A défaut de congé, le bail est renouvelé pour une durée de neuf ans. Sauf conventions contraires, les clauses et conditions du nouveau bail sont celles du bail précédent ; toutefois, à défaut d'accord entre les parties, le tribunal paritaire fixe le prix et statue sur les clauses et conditions contestées du nouveau bail ; le prix est établi conformément aux articles L. 411-11 à L. 411-16 ". Aux termes de l'article L. 411-56 du même code : " Le renouvellement du bail a pour effet de reporter à l'époque de la sortie du fonds l'exercice par le preneur du droit à l'indemnité prévue à la section IX du présent chapitre ". Enfin, aux termes de l'article L. 411-69 du même code : " Le preneur qui a, par son travail ou par ses investissements, apporté des améliorations au fonds loué a droit, à l'expiration du bail, à une indemnité due par le bailleur, quelle que soit la cause qui a mis fin au bail (...) ".

3. Aux termes du dernier alinéa de l'article 6 de l'arrêté du 26 septembre 2007 du préfet du Pas-de-Calais, pris en application des articles L.411-11 et R. 411-1 du code rural : " BATIMENTS D'HABITATION / (...) Lorsque des améliorations auront été réalisées dans les normes par le preneur avec l'accord du bailleur, ce dernier indemnisera le preneur selon les règles d'amortissement convenues entre les parties. A défaut d'indemnisation, ces améliorations ne pourront être prises en considération dans le prix du bail ". Aux termes du dernier alinéa de l'article 7 du même arrêté : " BATIMENTS D'EXPLOITATION (...) Lorsque des améliorations auront été réalisées dans les normes par le preneur avec l'accord du bailleur, ce dernier indemnisera le preneur selon les tables d'amortissement définies dans l'arrêté préfectoral du 27 janvier 1978 pris pour le calcul des indemnités dues aux preneurs à l'expiration de leurs baux en raison des travaux d'amélioration foncière. A défaut d'indemnisation, ces améliorations ne pourront être prises en considération dans le prix du bail ". L'arrêté du préfet du 29 septembre 2008 reprend les mêmes dispositions.

4. Il résulte des dispositions précitées des articles L 411-50 et L 411-56 du code rural que le renouvellement d'un bail rural a pour effet de reporter à la sortie du fonds l'indemnisation du preneur pour les améliorations qu'il a apportées aux biens loués et que les conditions du bail renouvelé sont en principe celles du bail précédent. En conséquence, les améliorations apportées par le preneur ne peuvent en principe être prises en considération pour le calcul du loyer à l'occasion du renouvellement du bail. Par suite, M. A...est fondé à soutenir que le tribunal administratif de Lille a commis une erreur de droit en jugeant illégale la dernière phrase du dernier alinéa des articles 6 et 7 des deux arrêtés du préfet du Pas-de-Calais au motif qu'aucune disposition du code rural ne conditionnerait la prise en compte des améliorations apportées au fonds loué au versement par le bailleur de l'indemnité prévue par l'article L. 411-69 du code rural. Le jugement du 9 mai 2018 doit, dès lors, être annulé.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. Ainsi qu'il a été dit au point 4, la dernière phrase du dernier alinéa des articles 6 et 7 des deux arrêtés ne méconnaît pas les dispositions précitées du code rural. Dès lors, l'exception d'illégalité soulevée par Mme C...devant la cour d'appel d'Amiens n'est pas fondée.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme C... le versement de la somme de 3 000 euros que demande M. A...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 9 mai 2018 est annulé.
Article 2 : Il est déclaré que l'exception d'illégalité soulevée par Mme C...devant la cour d'appel d'Amiens n'est pas fondée.
Article 3 : Mme C...versera à M. A...la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B...A..., au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, à Mme C... et au président de la cour d'appel d'Amiens.


Voir aussi