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Ariane Web: Conseil d'État 415959, lecture du 4 juin 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:415959.20190604

Décision n° 415959
4 juin 2019
Conseil d'État

N° 415959
ECLI:FR:CECHR:2019:415959.20190604
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Vincent Uher, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX, avocats


Lecture du mardi 4 juin 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2007 et des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1309259 du 4 mai 2015, ce tribunal a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 15VE02635 du 26 septembre 2017, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre des finances et des comptes publics contre ce jugement.

Par un pourvoi, enregistré le 24 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention du 9 septembre 1966 modifiée, conclue entre la France et la Suisse en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Uher, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de M. B...;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 mai 2019, présentée par M. B...;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B...s'est vu attribuer des options de souscription d'actions de la société anonyme Vinci, dont il était le président-directeur général. Il a quitté ses fonctions de directeur général en janvier 2006, puis celles de président du conseil d'administration en juin 2006. Il est devenu résident fiscal suisse à compter du 25 juin 2006. Au cours de l'année 2007, il a cédé les actions qu'il avait acquises par levée d'option, sans déclarer à l'administration fiscale française les gains de levée d'option dont étaient grevés ces titres. A la suite d'un examen de leur situation fiscale personnelle, l'administration a réintégré ces gains dans les revenus imposables de M. et Mme B...et a en conséquence assujettis ces derniers à une cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu au titre de l'année 2007. Par un jugement du 4 mai 2015, le tribunal administratif de Montreuil a accordé à M. et Mme B...la décharge de cette cotisation et des pénalités correspondantes. Le ministre de l'action et des comptes publics se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 26 septembre 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté le recours qu'il avait formé contre ce jugement.

2. Aux termes du I de l'article 80 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " L'avantage correspondant à la différence entre la valeur réelle de l'action à la date de levée d'une option accordée dans les conditions prévues aux articles L. 225-177 à L. 225-186 du code de commerce, et le prix de souscription ou d'achat de cette action constitue pour le bénéficiaire un complément de salaire imposable dans les conditions prévues au II de l'article 163 bis C ". L'article 163 bis C du même code, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige, dispose que " L'avantage défini à l'article 80 bis est imposé lors de la cession des titres, (...) si les actions acquises revêtent la forme nominative et demeurent... ". Il résulte de ces dispositions que, par dérogation aux dispositions de l'article 12 du code général des impôts en vertu duquel l'impôt est dû chaque année à raison des revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année, l'imposition du gain de levée d'option défini à l'article 80 bis, lequel est réalisé à la date de cette levée, est reportée, sous certaines conditions, et n'intervient qu'au titre de l'année de cession des titres acquis par levée d'option.

3. En vertu des dispositions combinées du d de l'article 164 B du code général des impôts et de l'article 4 A du même code, les revenus tirés d'activités professionnelles, salariées ou non, exercées en France sont imposables dans ce pays, que le domicile fiscal du contribuable y soit situé ou non. Il en résulte que les gains résultant de la levée d'options de souscription d'actions attribuées par une entreprise établie en France à ses salariés ou dirigeants sont, en application de la loi fiscale française, taxables en France.

4. Aux termes du 1 de l'article 17 de la convention fiscale conclue entre la France et la Suisse le 9 septembre 1966 dans sa rédaction applicable au litige : " (...) les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu'un résident d'un Etat contractant reçoit au titre d'un emploi salarié ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'emploi ne soit exercé dans l'autre Etat contractant. Si l'emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre Etat ". En vertu du 1 de l'article 23, les revenus non traités par les autres articles de cette convention ne sont imposables que dans l'Etat de résidence du contribuable. Ces stipulations doivent être comprises conformément au principe d'interprétation posé au 2 de l'article 3 aux termes duquel : " Pour l'application de la convention par un Etat contractant, tout terme ou expression qui n'y est pas défini a le sens que lui attribue le droit de cet Etat concernant les impôts auxquels s'applique la convention, à moins que le contexte n'exige une interprétation différente. Le sens attribué à un terme ou expression par le droit fiscal de cet Etat prévaut sur le sens attribué à ce terme ou expression par les autres branches du droit de cet Etat ".

5. Sauf stipulation contraire, pour l'application des conventions fiscales bilatérales conclues en vue de prévenir les doubles impositions, la résidence fiscale du contribuable prise en compte pour répartir entre les Etats contractants le droit d'imposer ses revenus s'apprécie à la date de réalisation de ceux-ci, quelles que soient leurs modalités de taxation en droit interne et, notamment, sans qu'ait d'incidence la circonstance que leur imposition soit reportée par la loi fiscale à une date ultérieure. Dans le cas d'un contribuable qui s'est vu attribuer des options de souscription ou d'achat d'actions, le gain de levée d'option, correspondant à la différence entre la valeur réelle de l'action à la date de levée d'option et le prix de souscription ou d'achat de cette action, est réalisé à la date de cette levée d'option.

6. Pour juger que les stipulations de la convention fiscale du 9 septembre 1966 conclue entre la France et la Suisse faisaient obstacle à la taxation en France des gains en litige en application des dispositions de droit interne rappelées aux points 2 et 3, la cour administrative d'appel de Versailles s'est fondée, d'une part, sur ce que M. B... était résident fiscal de Suisse à la date du fait générateur de l'imposition de ces revenus et, d'autre part, sur ce que ces derniers, à défaut d'entrer dans le champ d'application de l'article 17 de cette convention ou de son article 18, relatif aux tantièmes, jetons de présence et autres rétributions similaires, relevaient de son article 23.

S'agissant des options levées avant le 25 juin 2006 :

7. En statuant ainsi sans rechercher si M. B... était résident fiscal suisse aux dates auxquelles il avait réalisé les levées d'options avant le 25 juin 2006 et réalisé ainsi les gains en résultant, alors qu'il ressort au contraire des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'il était résident fiscal français aux dates auxquelles ces levées d'options ont été effectuées, de sorte qu'il ne pouvait se prévaloir, dans cette mesure, des stipulations de la convention fiscale franco-suisse pour faire obstacle à l'imposition des revenus correspondants en application du droit interne, la cour administrative d'appel a méconnu le champ d'application de la loi fiscale et ainsi entaché, sur ce premier point, son arrêt d'une erreur de droit.

S'agissant des options levées à compter du 25 juin 2006 :

8. La cour administrative d'appel de Versailles a jugé que le gain de levée d'options réalisé par M.B..., s'il constituait au sens de la loi fiscale française un complément de rémunération imposable dans la catégorie des traitements et salaires, attribué à raison des fonctions exercées au titre du mandat social qu'il détenait dans la société Vinci, ne pouvait être regardé comme une rémunération reçue au titre d'un emploi salarié au sens de l'article 17 de la convention précitée. En statuant ainsi, alors que, d'une part, le 2 de l'article 3 de cette convention stipule que, pour l'application de celle-ci, le sens attribué à un terme ou expression par le droit fiscal de l'Etat contractant prévaut sur le sens attribué à ce terme ou expression par les autres branches du droit de cet Etat et que, d'autre part, les rémunérations perçues par le président-directeur général d'une société anonyme au titre de son mandat social ont une nature salariale sur le plan fiscal, sans expliquer les raisons pour lesquelles de telles rémunérations salariales ne sauraient être regardées comme ayant été perçues au titre d'un emploi salarié pour l'application de l'article 17 de la convention, la cour a insuffisamment motivé son arrêt sur ce second point.

9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 26 septembre 2017 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : Les conclusions de M. B...présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera au ministre de l'action et des comptes publics et à M. A...B.indisponibles sans être données en location, suivant des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat, jusqu'à l'achèvement d'une période de quatre années à compter de la date d'attribution de l'option



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