Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 433621, lecture du 19 août 2019, ECLI:FR:CEORD:2019:433621.20190819

Décision n° 433621
19 août 2019
Conseil d'État

N° 433621
ECLI:FR:CEORD:2019:433621.20190819
Inédit au recueil Lebon



Lecture du lundi 19 août 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. E... B... et Mme A... D..., épouse B..., ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Pau, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet des Pyrénées-Atlantiques de poursuivre leur prise en charge au titre de l'hébergement d'urgence au-delà du 13 août 2019. Par une ordonnance n° 1901811 du 9 août 2019, le juge des référés a rejeté leur demande.

Par une requête, enregistrée le 16 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... et Mme B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) de les admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler cette ordonnance ;

3°) d'enjoindre au préfet des Pyrénées-Atlantiques de leur attribuer un hébergement d'urgence approprié à la composition de leur famille ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.



Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors qu'ils sont sans ressources et vivent actuellement dans la rue ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à leur liberté fondamentale d'accès à un hébergement d'urgence ;
- l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur de droit en ce qu'ils n'avaient pas à démontrer qu'il existe des circonstances exceptionnelles pour leur attribuer un hébergement d'urgence dès lors que la demande de titre de séjour de Mme B... est en cours d'examen ;
- le juge des référés du tribunal administratif de Pau a dénaturé les pièces du dossier en considérant que la production des pièces du préfet caractérisaient le défaut de carence de l'Etat ;
- l'ordonnance est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'ils ne disposent pas de ressources, ont deux enfants mineurs à charge, vivent dans la rue et ont des problèmes de santé.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut rejeter une requête par une ordonnance motivée, sans instruction contradictoire ni audience publique, lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée. A cet égard, il appartient au juge d'appel de prendre en considération les éléments recueillis par le juge du premier degré dans le cadre de la procédure écrite et orale qu'il a diligentée.

2. L'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que, dans chaque département, est mis en place, sous l'autorité du préfet, " un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse ". L'article L. 345-2-2 de ce code dispose que : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 121-7 du même code : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) ".

3. Il appartient aux autorités de l'Etat de mettre en oeuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique et sociale. Une carence caractérisée des autorités de l'Etat dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier, dans chaque cas, les diligences accomplies par l'administration, en tenant compte des moyens dont elle dispose, ainsi que de l'âge, de l'état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée. Les ressortissants étrangers qui font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou dont la demande d'asile a été définitivement rejetée, qui doivent quitter le territoire en vertu des dispositions de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'ayant pas vocation à bénéficier du dispositif d'hébergement d'urgence, une carence constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ne saurait être caractérisée, à l'issue de la période strictement nécessaire à la mise en oeuvre de leur départ volontaire, qu'en cas de circonstances exceptionnelles. Constitue une telle circonstance, en particulier lorsque, notamment du fait de leur très jeune âge, une solution adéquate ne pourrait être trouvée dans leur prise en charge hors de leur milieu de vie habituel par le service de l'aide sociale à l'enfance, l'existence d'un risque grave pour la santé ou la sécurité d'enfants mineurs, dont l'intérêt supérieur doit être une considération primordiale dans les décisions les concernant.

4. Il résulte de l'instruction menée par le juge des référés du tribunal administratif de Pau que M. B... et son épouse, ressortissants russes, parents de deux enfants respectivement nés le 24 septembre 2008 et le 3 mai 2013 en Russie, sont entrés en France le 20 janvier 2015. Ils ont été hébergés et pris en charge par l'Etat avec leurs enfants durant l'instruction de leur demande d'asile, au titre du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile, jusqu'au rejet définitif de leur demande d'asile intervenu le 22 mai 2017. Ils ont ensuite bénéficié d'un hébergement d'urgence financé par l'Etat. Par une décision du 30 juillet 2019, le préfet des Pyrénées-Atlantiques a mis fin à cette prise en charge à compter du 13 août 2019. Il résulte également de l'instruction menée par le juge des référés du tribunal administratif de Pau que, pour faire face à l'insuffisance des places disponibles compte tenu de l'augmentation du nombre des demandes, l'Etat a recouru dans le département des
Pyrénées-Atlantiques de façon importante à l'hébergement hôtelier, sans pour autant parvenir à répondre à l'ensemble des besoins les plus urgents.

5. M. B... et Mme B... n'apportent en appel aucun élément de nature à infirmer l'appréciation portée par le juge des référés du tribunal administratif de Pau quant à l'absence, pour les motifs qu'il a retenus et qu'il y a lieu d'adopter, d'une circonstance exceptionnelle susceptible de caractériser une carence de l'Etat constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale telle que mentionnée au point 3. En particulier, ni les symptômes dépressifs dont souffre Mme B... ni la circonstance que, à la suite de l'annulation pour vice de forme du refus de sa demande de titre de séjour en qualité de personne malade, sa demande soit à nouveau pendante devant l'autorité administrative, ne sont de nature à caractériser une telle atteinte.

6. Par suite, il est manifeste que l'appel de M. B... et Mme B... ne peut être accueilli. Il y a lieu de rejeter leur requête selon la procédure prévue par l'article
L. 522-3 du code de justice administrative, y compris les conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du même code et 37 de la loi du 10 juillet 1991.



O R D O N N E :
------------------
Article 1er : La requête de M. B... et Mme B... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. E... B... et Mme A... D..., épouse B....