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Ariane Web: Conseil d'État 423698, lecture du 22 novembre 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:423698.20191122

Décision n° 423698
22 novembre 2019
Conseil d'État

N° 423698
ECLI:FR:CECHR:2019:423698.20191122
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Vincent Uher, rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du vendredi 22 novembre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société anonyme d'économie mixte (SAEM) de gestion du Port Vauban a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge de la retenue à la source et des pénalités correspondantes qui lui ont été réclamées au titre des années 2009 à 2011, ainsi que de lui accorder le bénéfice du sursis de paiement des sommes correspondantes. Par un jugement n° 1404532 du 19 janvier 2017, ce tribunal a rejeté cette demande de décharge et prononcé un non-lieu sur les conclusions à fin de sursis de paiement.

Par un arrêt n°s 17MA01252, 18MA02485 du 26 juin 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a, d'une part, dit qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 18MA02485 à fin de sursis à exécution de ce jugement et, d'autre part, rejeté l'appel formé sous le n° 17MA01252 par la société de gestion du Port Vauban contre le même jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 août et 28 novembre 2018 et 4 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société de gestion du Port Vauban demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 2 de cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment ses articles 56 et 57 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 76-1234 du 29 décembre 1976 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, notamment son article 23-5 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Uher, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société de gestion du Port Vauban ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune d'Antibes a consenti à la société International Yacht Club (IYCA), qui a la nature d'une société immobilière de copropriété régie par les dispositions de l'article 1655 ter du code général des impôts, le droit de gérer et d'entretenir les ouvrages du port de plaisance Vauban et un droit de jouissance de dix-neuf postes à quai conçus et réalisés pour recevoir des yachts de grande dimension, situés sur le quai dit " des milliardaires ". La société de gestion du Port Vauban assure l'exploitation et la gestion de ce port en vertu d'un contrat de concession conclu avec la commune d'Antibes le 29 décembre 1987. Conformément au règlement de police du port, la société de gestion du Port Vauban assure le service public portuaire en affectant les postes à quai inoccupés à des usagers de passage moyennant le versement d'une redevance. L'administration a considéré, dans une proposition de rectification du 30 septembre 2012, que les sommes versées par la société de gestion du Port Vauban à dix-neuf sociétés étrangères, actionnaires de la société IYCA, en contrepartie de l'occupation temporaire de leurs postes à quai, devaient être soumises à la retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts. Par un jugement du 19 janvier 2017, le tribunal administratif de Nice a rejeté la demande de la société de gestion du Port Vauban tendant à la décharge de la retenue à .la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts Par un arrêt du 26 juin 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a dit n'y avoir lieu à statuer sur la requête de la société tendant au sursis à exécution de ce jugement et a rejeté son appel. La société de gestion du Port Vauban se pourvoit en cassation contre l'article 2 de cet arrêt rejetant le surplus de ses conclusions.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. En premier lieu, en jugeant, après avoir relevé que le redevable légal de la retenue à .la source prévue par l'article 182 B du code général des impôts était la personne qui verse les rémunérations visées par ce texte, c'est-à-dire en l'espèce la société de gestion du Port Vauban, qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait à l'administration d'informer les bénéficiaires des sommes versées de la rectification procédant de cette retenue à la source, alors même que l'administration aurait connaissance de ces bénéficiaires pour avoir contrôlé tant la situation fiscale de la société IYCA que celle de ses actionnaires, la cour administrative d'appel de Marseille n'a méconnu ni les règles de la procédure fiscale garantissant le caractère contradictoire de la procédure de rectification, ni, en tout état de cause, un principe de loyauté

3. En deuxième lieu, en estimant, par adoption des motifs des premiers juges, que la proposition de rectification adressée le 30 septembre 2012 à la société requérante, qui mentionnait notamment l'activité à l'origine des sommes litigieuses et les dispositions légales applicables, était suffisamment motivée et permettait ainsi à la société de présenter utilement ses observations, la cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

4. En troisième lieu, la société requérante ne peut utilement contester le bien-fondé de l'arrêt qu'elle attaque en invoquant, pour la première fois devant le juge de cassation, le moyen tiré de ce que la proposition de rectification ne répondait pas aux exigences de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales.

Sur le bien-fondé des impositions litigieuses :

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les associés de la société IYCA exerçaient, par l'entremise de la société de gestion du Port Vauban, une activité de sous-amodiation des postes de mouillage dont la première était amodiataire en vertu du contrat conclu avec la commune d'Antibes et dont elle leur attribuait la jouissance. Les revenus tirés de cette activité de sous-location d'immeubles nus, qui avaient la nature de bénéfices non commerciaux, étaient imposables entre les mains des associés de cette société immobilière de copropriété.

6. Aux termes de l'article 182 B du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige : " I. Donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : / a. Les sommes versées en rémunération d'une activité déployée en France dans l'exercice de l'une des professions mentionnées à l'article 92 (...) ". Aux termes du 1 de l'article 92 du même code, codifié sous un VI intitulé " Bénéfices des professions non commerciales " de la 1ère sous-section de la section II du chapitre premier de la première partie de son livre premier : " Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. "

7. Il résulte de la combinaison de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires préalables à l'adoption de la loi du 29 décembre 1976 modifiant les règles de territorialité et les conditions d'imposition des Français à l'étranger ainsi que des autres personnes non domiciliées en France dont est issu l'article 182 B précité, que la retenue à la source instituée par cet article s'applique, en vertu de son a, aux sommes versées en rémunération de toute activité déployée en France dont les bénéfices entrent dans le champ de l'article 92 du code général des impôts, qu'il s'agisse des bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants ou de ceux de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus.

8. En premier lieu, en jugeant que la société de gestion du Port Vauban était redevable de la retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts à raison des sommes qu'elle versait aux associés de la société IYCA en rémunération de leur activité de sous-location d'anneaux d'amarrage, laquelle, contrairement à ce que soutient la requérante, présentait le caractère d'une profession mentionnée à l'article 92 du même code au sens du a de l'article 182 B, la cour n'a ni commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

9. En deuxième lieu, si la cour, dont l'arrêt est suffisamment motivé sur ce point, s'est référée au c de l'article 182 B du code général des impôts, cette erreur de plume est demeurée sans incidence sur le raisonnement qu'elle a suivi. Aussi, le moyen tiré de ce qu'elle aurait commis une erreur de droit en se méprenant sur la qualité du débiteur des retenues litigieuses ne peut qu'être écarté.


10. En troisième lieu, les moyens tirés de ce que les dispositions de l'article 182 B du code général des impôts feraient peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive en méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques découlant de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et institueraient une présomption irréfragable de fraude contraire à l'article 16 de cette même Déclaration ne peuvent être utilement soulevés qu'à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée dans les formes prescrites par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et l'article R. 771-13 du code de justice administrative. Faute d'être soulevés à l'appui d'une telle question présentée par mémoire distinct, ces moyens ne peuvent qu'être écartés.


11. En quatrième lieu, en jugeant qu'il résultait de l'article 182 B du code général des impôts que la prise en charge par le débiteur du montant de la retenue à la source, sans qu'il en demande le remboursement à son bénéficiaire, constitue un supplément de rémunération qui doit être intégré dans le calcul de cette même retenue à la source, la cour n'a pas commis d'erreur de droit. Si la société de gestion du Port Vauban fait valoir, pour la première fois devant le juge de cassation, que la société IYCA s'était engagée, postérieurement au fait générateur des retenues à la source litigieuses, à la garantir du montant mis à sa charge à ce titre, cette circonstance est, en tout état de cause, sans incidence sur la règle de droit applicable pour le calcul de la retenue à la source.

12. Il résulte en outre des dispositions de l'article 182 B du code général des impôts que la retenue à la source qu'il prévoit à son a est assise sur la totalité des sommes correspondant à la rémunération de l'activité déployée en France par les personnes et sociétés qui n'y ont pas d'installation professionnelle permanente à raison de l'exercice de l'une des professions ou activités mentionnées à l'article 92 du même code, sans que puissent être déduites de ces sommes les charges exposées par elles à raison de cet exercice.

13. En cinquième lieu, en jugeant que l'administration avait pu calculer la retenue à la source sur les loyers encaissés par la société de gestion du Port Vauban sans déduire de frais professionnels et notamment les frais de gestion prélevés par cette société en rémunération de son entremise, la cour n'a pas méconnu la portée des dispositions de l'article 182 B du code général des impôts.

14. Toutefois, en dernier lieu, aux termes de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation. (...) ". L'article 57 du même traité précise : " Au sens des traités, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes. / Les services comprennent notamment : / a) des activités de caractère industriel, / b) des activités de caractère commercial, / c) des activités artisanales, / d) les activités des professions libérales. / Sans préjudice des dispositions du chapitre relatif au droit d'établissement, le prestataire peut, pour l'exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans l'État membre où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que cet État impose à ses propres ressortissants. "

15. Ces stipulations, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, s'opposent à une législation nationale qui exclut que le débiteur de la rémunération versée à un prestataire de services non résident, déduise, lorsqu'il procède à la retenue à la source de l'impôt, les frais professionnels que ce prestataire lui a communiqués et qui sont directement liés à ses activités dans l'Etat membre où est effectuée la prestation, alors qu'un prestataire de services résident de cet Etat ne serait soumis à l'impôt que sur ses revenus nets, c'est-à-dire sur ceux obtenus après déduction des frais professionnels

16. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a jugé que la société de gestion du Port Vauban ne pouvait pas se prévaloir des stipulations précitées des articles 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, dès lors que les retenues à la source ne concernaient pas des prestations de services susceptibles de donner lieu à déduction de frais professionnels. En jugeant ainsi que les bénéficiaires des sommes litigieuses, lesquelles rémunéraient des prestations de services au sens des stipulations de l'article 57 de ce traité, ne pouvaient utilement se prévaloir de ces dernières pour demander au débiteur de ces sommes de déduire de la base de la retenue à la source les frais professionnels supportés au titre de l'activité de sous-amodiation des anneaux portuaires exercée en France, la cour a méconnu la portée de ces stipulations.

17. Il résulte de tout ce qui précède que la société de gestion du Port Vauban est seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a statué sur ses conclusions relatives aux retenues à la source appliquées sur les sommes versées à des sociétés ressortissantes d'un État membre de l'Union européenne et établies dans un tel Etat membre et pouvant de ce fait se prévaloir du principe de libre prestation de services découlant des articles 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

18. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société de gestion du Port Vauban au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 26 juin 2018 est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions de la société de gestion du Port Vauban relatives aux retenues à la source appliquées sur les sommes versées à des sociétés ressortissantes d'un État membre de l'Union européenne et établies dans un tel Etat membre.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : Le surplus du pourvoi est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme d'économie mixte de gestion du Port Vauban et au ministre de l'action et des comptes publics.


Voir aussi