Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 423238, lecture du 23 janvier 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:423238.20200123

Décision n° 423238
23 janvier 2020
Conseil d'État

N° 423238
ECLI:FR:CECHR:2020:423238.20200123
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Alexandre Koutchouk, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER ; SCP COLIN-STOCLET, avocats


Lecture du jeudi 23 janvier 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu 1°, sous le n° 423238, la procédure suivante :

La société par actions simplifiée (SAS) Distribution Sanitaire Chauffage a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires de taxe sur les surfaces commerciales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2010 pour son établissement situé à Charleville-Mézières (Ardennes) et au titre des années 2010 à 2012 pour son établissement situé à Reims (Marne). Par un jugement n° 1600182 du 18 mai 2017, ce tribunal a rejeté ses demandes.

Par un arrêt n° 17NC01554 du 14 juin 2018, la cour administrative d'appel de Nancy a, d'une part, transmis au Conseil d'État, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 30 juin 2017 au greffe de cette cour, présenté par la société Distribution Sanitaire Chauffage contre ce jugement en tant qu'il concerne les années 2011 et 2012 et, d'autre part, rejeté l'appel formé par la société contre ce jugement en tant qu'il concerne l'année 2010.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 14 août et 14 novembre 2018 et les 22 mai et 12 décembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Distribution Sanitaire Chauffage demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il se prononce sur les impositions établies au titre de l'année 2010 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu, 2° sous le n° 423242, la procédure suivante :

La société par actions simplifiée (SAS) Distribution Sanitaire Chauffage a demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires de taxe sur les surfaces commerciales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2010 pour son établissement situé à Nancy (Meurthe-et-Moselle). Par un jugement n° 1600244 du 4 mai 2017, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17NC01557 du 14 juin 2018, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la société Distribution Sanitaire Chauffage contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 août et 14 novembre 2018 et les 22 mai et 12 décembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Distribution Sanitaire Chauffage demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 ;
- le décret n° 95-85 du 26 janvier 1995 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Koutchouk, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Distribution Sanitaire Chauffage ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 janvier 2020, présentée par la société Distribution Sanitaire Chauffage ;


Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois de la société Distribution Sanitaire Chauffage présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que la société par actions simplifiée (SAS) Distribution Sanitaire Chauffage exploite à Nancy (Meurthe-et-Moselle), Reims (Marne) et Charleville-Mézières (Ardennes) des établissements de vente de matériels dans les domaines des sanitaires, du chauffage, de la plomberie et de la climatisation. A l'issue d'une vérification de comptabilité, portant notamment sur la taxe sur les surfaces commerciales, l'administration fiscale a estimé que la société requérante avait appliqué à tort la réduction de 30 % du taux de la taxe prévue par le A de l'article 3 du décret du 26 janvier 1995 relatif à la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat et l'a assujettie à des cotisations supplémentaires de taxe sur les surfaces commerciales procédant de la remise en cause du bénéfice de cette réduction. La société Distribution Sanitaire Chauffage se pourvoit en cassation, sous le n° 423238, contre l'arrêt du 14 juin 2018 de la cour administrative d'appel de Nancy rejetant l'appel qu'elle a formé contre le jugement du 18 mai 2017 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne rejetant sa demande de décharge des cotisations supplémentaires de taxe sur les surfaces commerciales à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2010 à raison de ses établissements situés à Reims et à Charleville-Mézières et, sous le n° 423242, contre l'arrêt du 14 juin 2018 de la cour administrative d'appel de Nancy rejetant l'appel qu'elle a formé contre le jugement du 4 mai 2017 du tribunal administratif de Nancy rejetant sa demande de décharge de la cotisation supplémentaire de taxe sur les surfaces commerciales à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2010 à raison de son établissement situé à Nancy.

3. Aux termes de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : " Il est institué une taxe sur les surfaces commerciales assise sur la surface de vente des magasins de commerce de détail, dès lors qu'elle dépasse quatre cents mètres carrés des établissements ouverts à partir du 1er janvier 1960 quelle que soit la forme juridique de l'entreprise qui les exploite. (...) / Un décret prévoira, par rapport au taux ci-dessus, des réductions pour les professions dont l'exercice requiert des superficies de vente anormalement élevées (...) ". Aux termes de l'article 3 du décret du 26 janvier 1995 relatif à la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat : " A. La réduction de taux prévue troisième alinéa de l'article 3 (2°) de la loi du 13 juillet 1972 susvisée en faveur des professions dont l'exercice requiert des superficies de vente anormalement élevées est fixée à 30 p. 100 en ce qui concerne la vente exclusive des marchandises énumérées ci-après: / - meubles meublants ; / (...) - matériaux de construction (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions qu'en subordonnant, par le A de l'article 3 du décret du 26 janvier 1995, le bénéfice de la réduction de taux, fixée à 30 %, à la condition que les surfaces concernées soient exclusivement affectées à une activité de vente des marchandises qu'il énumère, le pouvoir réglementaire s'est borné à déterminer le champ d'application de la mesure de réduction de taux prévue par le législateur en faveur des professions dont l'exercice requiert des superficies de vente anormalement élevées, sans excéder les compétences qu'il tenait des dispositions législatives précitées ni les méconnaître. Par suite, la cour administrative d'appel de Nancy a entaché son arrêt d'erreur de droit en se fondant, avant de rejeter les demandes de la société requérante tendant au bénéfice de cette réduction, sur ce que le pouvoir réglementaire avait illégalement restreint le champ d'application de la loi du 13 juillet 1972 en posant au A de l'article 3 du décret du 26 janvier 1995 une condition d'exclusivité qu'elle ne prévoyait pas.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que la société Distribution Sanitaire Chauffage est fondée à demander l'annulation de l'arrêt n°17NC01554 du 14 juin 2018 de la cour administrative d'appel de Nancy en tant qu'il statue sur les impositions dues au titre de l'année 2010 et de l'arrêt n°17NC01557 du même jour de cette même cour.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler les affaires au fond dans cette mesure en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur le principe de l'assujettissement à la taxe sur les surfaces commerciales :

7. En premier lieu, il résulte de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 que les surfaces de vente des magasins de commerce de détail prises en compte pour l'assujettissement à la taxe sur les surfaces commerciales ne doivent pas nécessairement être situées dans des établissements réalisant exclusivement des ventes au détail et que sont assujettis à la taxe, à concurrence du chiffre d'affaires relatif à la surface de commerce de détail, les établissements de commerce de détail pratiquant également le commerce en gros ou d'autres activités. Il en résulte également que le chiffre d'affaires à prendre en compte pour le calcul de la taxe sur les surfaces commerciales est celui qui est réalisé par les surfaces de ventes au détail, en l'état, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que l'acheteur est un particulier ou un professionnel de sorte que les ventes au détail, en l'état, à des professionnels, tant pour leurs besoins propres que lorsqu'ils incorporent les produits qu'ils ont ainsi achetés dans les produits qu'ils vendent ou les prestations qu'ils fournissent, doivent être prises en compte pour la détermination du chiffre d'affaires, à la différence des ventes à des professionnels revendant en l'état, l'activité de ces derniers relevant alors d'une activité de grossiste ou d'intermédiaire. La société requérante n'est ainsi pas fondée à soutenir, dès lors qu'il est constant que l'activité qu'elle exerce sur les surfaces de vente des établissements en litige n'est pas limitée à la vente en gros, qu'elle ne pourrait être assujettie à la taxe sur les surfaces commerciales à raison de ces surfaces au seul motif que sa clientèle serait presque exclusivement composée de professionnels qui achètent des produits pour les besoins de leur activité et que le montant de ses ventes aux particuliers se limiterait à 3 % de son chiffre d'affaires.

8. En deuxième lieu, la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L.80A du livre des procédures fiscales, des commentaires administratifs relatifs au champ d'application de la taxe sur les surfaces commerciales publiés le 2 octobre 2013 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts sous la référence BOI-TFP-TSC, qui sont postérieurs à la date à laquelle elle a souscrit ses déclarations de taxe sur les surfaces commerciales au titre de l'année 2010 en litige.

Sur l'application de la réduction de taux de 30 % :

9. En premier lieu, et ainsi qu'il a été dit au point 4, en subordonnant, par le A de l'article 3 du décret du 26 janvier 1995, le bénéfice de la réduction de taux, fixée à 30 %, à la condition que les surfaces concernées soient exclusivement affectées à une activité de vente des marchandises qu'il énumère, le pouvoir réglementaire s'est borné à déterminer le champ d'application de la mesure de réduction de taux prévue par l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 en faveur des professions dont l'exercice requiert des superficies de vente anormalement élevées, sans excéder les compétences qu'il tenait de ces dispositions législatives ni les méconnaître.

10. En deuxième lieu, en adoptant les dispositions précitées, le législateur a entendu instituer une réduction de taux en faveur des professions dont l'exercice requiert des superficies de vente anormalement élevées et a confié au pouvoir réglementaire le soin de déterminer le champ d'application et le montant de cette réduction. En prévoyant que les établissements redevables de la taxe sur les surfaces commerciales bénéficieraient de la réduction de taux prévue par la loi à raison des surfaces qu'ils affectent à titre exclusif à une activité consistant à vendre des marchandises mentionnées dans une liste qu'il a définie, le pouvoir réglementaire a fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but fixé par le législateur sans créer, entre les établissements exerçant une telle activité de vente à titre exclusif et ceux l'exerçant seulement à titre principal, une différence de traitement qui ne serait pas en rapport direct avec l'objet de la loi du 13 juillet 1972. La société requérante n'est donc pas fondée à soutenir que les dispositions du A de l'article 3 du décret du 26 janvier 1995, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige, méconnaîtrait les principes constitutionnels d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques.

11. En troisième lieu, si la société Distribution Sanitaire Chauffage soutient qu'elle affecte une partie, qu'elle évalue à 71% dans chacun des cas, des surfaces de vente de ses établissements de Charleville-Mézières, de Reims et de Nancy à la vente de meubles meublants et de matériaux de construction, il résulte de ses écritures qu'à supposer que ces surfaces soient distinctes de celles sur lesquelles elle vend, au sein des mêmes magasins, d'autres articles, tels que des articles de quincaillerie, d'outillage, de décoration, d'électricité, de plomberie, de droguerie ainsi que du carrelage, les articles qui y sont vendus, notamment des appareils et équipements sanitaires, des appareils et équipements de chauffage, de climatisation et de production d'eau chaude, des chaudières et des accessoires à ces appareils ou équipements n'ont, pour la plupart, la nature ni de meubles meublants, ni de matériaux de construction.

12. Enfin, si la société requérante se prévaut d'une décision de rescrit n° 2012/34 du 15 mai 2012, publiée par l'administration fiscale et reprise au paragraphe 325 des commentaires administratifs publiés le 2 octobre 2013 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts sous la référence BOI-TFP-TSC, cette décision de rescrit est relative à la vente d'accessoires et de pièces détachées par les concessionnaires automobiles. Par suite, elle n'est pas fondée à s'en prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

13. Il résulte de ce qui précède que la société Distribution Sanitaire Chauffage n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et le tribunal administratif de Nancy ont rejeté ses demandes en décharge des rappels de taxe sur les surfaces commerciales au titre de l'année 2010.

14. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'article 2 de l'arrêt n° 17NC01554 de la cour administrative d'appel de Nancy du 14 juin 2018 est annulé.
Article 2 : L'arrêt n° 17NC01557 de la cour administrative d'appel de Nancy du 14 juin 2018 est annulé.
Article 3 : Les requêtes présentées par la société Distribution Sanitaire Chauffage devant la cour administrative d'appel de Nancy contre, d'une part, le jugement n°1600244 du 4 mai 2017 du tribunal administratif de Nancy et, d'autre part, le jugement n°1600182 du 18 mai 2017 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en tant qu'il a statué sur les impositions dues au titre de l'année 2010 sont rejetées.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société Distribution Sanitaire Chauffage est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Distribution Sanitaire Chauffage et au ministre de l'action et des comptes publics.


Voir aussi