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Ariane Web: Conseil d'État 437122, lecture du 10 mars 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:437122.20200310

Décision n° 437122
10 mars 2020
Conseil d'État

N° 437122
ECLI:FR:CECHR:2020:437122.20200310
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Bastien Lignereux, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public


Lecture du mardi 10 mars 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 décembre 2019 et 19 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société civile de placement à capital variable (SCPI) Primopierre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le paragraphe n° 110 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques - impôts (BOFiP-impôts) le 3 octobre 2018 sous la référence BOI-CF-INF-20-10-20 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son protocole additionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bastien Lignereux, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 210 E du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la date de l'adoption des commentaires administratifs dont la société Primopierre demande l'annulation : " I. - Les plus-values nettes dégagées lors de la cession d'un immeuble (...) par une personne morale soumise à l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun (...) à une société civile de placement immobilier dont les parts sociales ont été offertes au public (...) et ayant pour objet principal l'acquisition ou la construction d'immeubles en vue de la location, ou la détention directe ou indirecte de participations dans des personnes morales visées à l'article 8 et aux 1,2 et 3 de l'article 206 dont l'objet social est identique sont soumises à l'impôt sur les sociétés au taux visé au IV de l'article 219. / (...) II. - L'application des dispositions du premier alinéa du I est subordonnée à la condition que la société cessionnaire prenne l'engagement de conserver pendant cinq ans l'immeuble (...). / Le non-respect de ces conditions par la société cessionnaire entraîne l'application de l'amende prévue au I de l'article 1764. (...) ". Le premier alinéa du I de l'article 1764 du même code dispose que " La société cessionnaire qui ne respecte pas l'engagement mentionné au II de l'article 210 E est redevable d'une amende dont le montant est égal à 25 % de la valeur de cession de l'actif pour lequel l'engagement de conservation n'a pas été respecté ".

2. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires préalables à l'adoption de la loi du 30 décembre 2004 de finances pour 2005 dont est issu l'article 210 E du code général des impôts, qu'afin de favoriser le développement des sociétés foncières chargées d'assurer la gestion professionnelle d'un patrimoine immobilier, est octroyé aux entreprises qui leur cèdent un immeuble un avantage fiscal, sous la forme d'un taux réduit d'impôt sur les sociétés applicable à la plus-value résultant de cette cession, ayant pour contrepartie la conservation de celui-ci par la société cessionnaire pour une durée d'au moins cinq ans. Il résulte en outre de ces dispositions que le cessionnaire d'un immeuble qui ne respecte pas l'engagement de le conserver pendant cinq ans est redevable d'une amende égale au quart de la valeur à laquelle il l'a acquis.

3. En déterminant le montant de cette amende en fonction de la valeur à laquelle l'immeuble a été acquis par la société auteur du manquement, les dispositions de l'article 1764 du code général des impôts ont retenu une assiette en rapport avec l'infraction commise, tenant à la rupture de l'engagement de conservation de l'immeuble. Toutefois, en appliquant à cette valeur un taux de 25 %, alors que l'avantage fiscal dont bénéficient le cédant et le cas échéant, indirectement, le cessionnaire, s'élève seulement à la différence entre le taux réduit de 19 % et le taux normal de l'impôt sur les sociétés, appliquée à la plus-value imposable, les dispositions contestées ont retenu un montant d'amende disproportionné par rapport à la gravité du manquement qu'elle réprime et portent ainsi une atteinte disproportionnée, au regard de l'objectif poursuivi, au droit au respect des biens garanti par les stipulations de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de la requête, que la société Primopierre est fondée à demander l'annulation du paragraphe n° 110 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques - impôts le 3 octobre 2018 sous la référence BOI-CF-INF-20-10-20, qui réitère les dispositions du premier alinéa du I de l'article 1764 du code général des impôts.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le paragraphe n° 110 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques - impôts le 3 octobre 2018 sous la référence BOI-CF-INF-20-10-20 est annulé.
Article 2 : L'Etat versera à la société Primopierre une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société civile de placement immobilier Primopierre et au ministre de l'action et des comptes publics.


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