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Ariane Web: Conseil d'État 434115, lecture du 9 juin 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:434115.20200609

Décision n° 434115
9 juin 2020
Conseil d'État

N° 434115
ECLI:FR:CECHR:2020:434115.20200609
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Laurent Domingo, rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du mardi 9 juin 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La commune de Saint-Pierre a demandé au juge des référés du tribunal administratif de La Réunion d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, l'expulsion du domaine public portuaire de Mme A... B... à raison de l'occupation irrégulière de l'emplacement E6 par son bateau " La Désirade ", sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, le cas échéant, avec le concours de la force publique. Par une ordonnance n° 1900279 du 16 août 2019, le juge des référés a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 et 17 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Saint-Pierre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code des transports ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Domingo, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la commune de Saint-Pierre ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un arrêté n° 157/2017, le maire de la commune de Saint-Pierre a autorisé en 2017 Mme B... à occuper l'emplacement E 6 du port de la commune, pour son bateau " La Désirade ". Cette autorisation, accordée sans limitation de durée, a été tacitement renouvelée au titre de l'année 2018. Par une décision du 11 octobre 2018 prise en application de l'article 5 de l'arrêté d'autorisation relatif à sa reconduction, le maire de la commune n'a pas renouvelé cette autorisation à compter de sa prochaine échéance, soit à compter du 1er janvier 2019, et a demandé à Mme B... de libérer son emplacement à cette date. Cette dernière n'ayant pas évacué les lieux après cette date, la commune de Saint-Pierre a demandé au juge des référés du tribunal administratif de La Réunion d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, l'expulsion du domaine public portuaire de Mme B..., sous astreinte de 100 euros par jour de retard. La commune de Saint-Pierre se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 16 août 2019 par laquelle le juge des référés a rejeté sa demande.

2. Aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative ". Lorsque le juge des référés est saisi, sur le fondement de ces dispositions, d'une demande d'expulsion d'un occupant du domaine public, il lui appartient de rechercher si, au jour où il statue, cette demande présente un caractère d'urgence et ne se heurte à aucune contestation sérieuse. S'agissant de cette dernière condition, dans le cas où la demande d'expulsion fait suite à la décision du gestionnaire du domaine de retirer ou de refuser de renouveler le titre dont bénéficiait l'occupant et où, alors que cette décision exécutoire n'est pas devenue définitive, l'occupant en conteste devant lui la validité, le juge des référés doit rechercher si, compte tenu tant de la nature que du bien-fondé des moyens ainsi soulevés à l'encontre de cette décision, la demande d'expulsion doit être regardée comme se heurtant à une contestation sérieuse.

3. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; (...) 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 (...) ".

4. La décision par laquelle l'autorité gestionnaire du domaine public rejette une demande de délivrance d'une autorisation unilatérale d'occupation du domaine public constitue un refus d'autorisation au sens du 7° de l'article L. 211-2 précité du code des relations entre le public et l'administration et doit par suite être motivée en application de ces dispositions. En revanche, la décision par laquelle l'autorité gestionnaire du domaine public met fin à une autorisation unilatérale d'occupation du domaine public, délivrée à titre précaire et révocable, notamment la décision de ne pas renouveler, à la prochaine échéance, une autorisation tacitement renouvelable constitue une abrogation de cette autorisation. Les dispositions précitées du 4° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration n'imposent pas qu'une telle décision soit motivée, sauf dans le cas particulier où elle devrait être regardée comme ayant créé des droits au profit de son bénéficiaire.

5. Pour juger que la demande de la commune de Saint-Pierre tendant à l'expulsion du domaine public portuaire de Mme B... se heurtait à une contestation sérieuse, le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion s'est fondé sur la circonstance que la décision du 11 octobre 2018 du maire de la commune de ne pas renouveler l'autorisation d'occupation du domaine public portuaire au 1er janvier 2019, qu'il a regardée comme un refus d'autorisation, n'était pas motivée. En statuant ainsi, alors que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, cette décision procédait à l'abrogation d'une autorisation d'occupation domaniale non créatrice de droits et n'avait donc pas à être motivée, le juge des référés a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que la commune de Saint-Pierre est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. Il résulte de l'instruction que Mme B..., qui utilise son bateau comme logement, ne dispose plus, depuis le 1er janvier 2019, d'une autorisation d'occuper un emplacement dans le port de plaisance de Saint-Pierre et que le maintien de son bateau dans le port fait obstacle à l'accès des usagers au service public portuaire, dans un contexte marqué par un nombre important de plaisanciers en attente de l'obtention d'une autorisation. Dans ces conditions, tant l'urgence que l'utilité de la mesure d'expulsion demandée par la commune de Saint-Pierre sont justifiées, sans que Mme B... ne puisse utilement soutenir que cette demande se heurte à une contestation sérieuse au motif que la décision de ne pas renouveler son autorisation ne serait pas motivée, ni qu'une telle demande porterait atteinte à son droit à un logement.

9. Dès lors, il y a lieu d'enjoindre à Mme B... de libérer sans délai l'emplacement E6 du port de plaisance de la commune de Saint-Pierre. Il y a lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 15 juillet 2020.

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... la somme que la commune de Saint-Pierre demande au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions et celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Saint-Pierre qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance n° 1900279 du 16 août 2019 du juge des référés du tribunal administratif de La Réunion est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à Mme B... de libérer sans délai l'emplacement E6 du port de plaisance de la commune de Saint-Pierre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 15 juillet 2020.
Article 3 : Les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 par la commune de Saint-Pierre devant le Conseil d'Etat et par Mme B... devant le tribunal administratif de la Réunion sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Saint-Pierre et à Mme A... B....