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Ariane Web: Conseil d'État 432453, lecture du 29 juin 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:432453.20200629

Décision n° 432453
29 juin 2020
Conseil d'État

N° 432453
ECLI:FR:CECHR:2020:432453.20200629
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Guillaume de LA TAILLE LOLAINVILLE, rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public
SCP ZRIBI, TEXIER ; SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du lundi 29 juin 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

L'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie Paris Ile-de-France (UMIH Paris IDF) a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 21 décembre 2015 de la maire de Paris portant fixation des tarifs applicables aux droits de voirie à compter du 1er janvier 2016, en premier lieu, en tant que par son article 1er, il relève les tarifs des droits de voirie de 1 %, en deuxième lieu, en tant que, par le C de l'annexe à laquelle renvoie son article 2, il fixe des droits de voirie additionnels pour l'installation dans les terrasses ouvertes de tout mode de chauffage ou de climatisation et d'écrans parallèles rigides, en troisième lieu, en tant que, par les prescriptions qui, dans cette même annexe, sont relatives aux étalages et aux terrasses, il dispose que ces droits de voirie additionnels sont appréciés annuellement, de façon forfaitaire et indivisible et, en quatrième et dernier lieu, en tant que, par ces mêmes prescriptions, et s'agissant de l'ensemble des étalages, terrasses ouvertes dans le tiers du trottoir ou contre-étalages et contre-terrasses excédant 20 mètres carrés, il majore le tarif de 5 % par tranche de 10 mètres carrés sans que la majoration totale ne puisse excéder 40 %. Par un jugement n° 1603127/4-1 du 9 mars 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 17PA01593 du 9 mai 2019, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par l'UMIH Paris IDF contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 juillet et 9 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'UMIH Paris IDF demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume de La Taille Lolainville, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Zribi et Texier, avocat de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie Paris Ile-de-France et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Ville de Paris ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, sur délégation du conseil de Paris et par un arrêté du 21 décembre 2015, la maire de Paris a révisé, avec effet au 1er janvier 2016, le règlement portant fixation des droits de voirie applicables pour chaque catégorie d'objets ou d'installations sur les voies publiques de la Ville de Paris. Recherchant l'annulation de certaines des dispositions de cet arrêté, l'UMIH Paris IDF a formé devant le tribunal administratif de Paris un recours pour excès de pouvoir qui, par un jugement du 9 mars 2017, a été rejeté. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 9 mai 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a également rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.

Sur le relèvement des tarifs à compter du 1er janvier 2016 et les majorations liées à l'importance de la surface concernée par certains types d'occupation :

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par l'article 1er de l'arrêté du 21 décembre 2015, la maire de Paris a prévu que les tarifs des droits de voirie, tels qu'ils avaient été fixés pour l'année 2015, seraient relevés, à compter du 1er janvier 2016, de 1 %. Il ressort également des pièces de ce dossier que, en annexe à l'article 2 de cet arrêté, et dans une rubrique intitulée " Prescriptions applicables aux étalages et terrasses ", au premier alinéa d'un ensemble de paragraphes introduits par le mot " Majorations ", il a été prévu que " L'ensemble des étalages, terrasses ouvertes dans le tiers du trottoir, ou contre-étalages, contre-terrasses (...) excédant 20 [mètres carrés], subit une majoration de tarif de 5 % (...). Cette majoration est de 10 % pour toute surface totale excédant 30 mètres carrés, 15 % pour toute surface excédant 40 mètres carrés, et ainsi de suite à raison de 5 % par 10 mètres carrés supplémentaires sans que la majoration totale puisse excéder 40 %. "

3. Selon l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques, nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous. L'article L. 2125-1 du même code prévoit qu'en principe, toute occupation ou utilisation du domaine public donne lieu au paiement d'une redevance, laquelle, aux termes l'article L. 2125-3, " tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation ".

4. Qu'elle détermine ou qu'elle révise le tarif d'une redevance d'occupation domaniale, l'autorité compétente doit tenir compte des avantages de toute nature -- que le titulaire de l'autorisation est susceptible de retirer de l'usage privatif du domaine public. Cette fixation ou cette révision du tarif ne saurait aboutir à ce que le montant de la redevance atteigne un niveau manifestement disproportionné au regard de ces avantages.

5. En premier lieu, pour juger légale la hausse de 1 % des tarifs des droits de voirie décidée par l'arrêté en litige à compter du 1er janvier 2016, la cour s'est bornée à relever que la Ville de Paris justifiait cette augmentation par la nécessité de répercuter, outre l'inflation, l'évolution des coûts administratifs de gestion, de vérification et de contrôle et que l'UMIH Paris IDF n'apportait aucun élément de nature à établir qu'une telle augmentation serait excessive et ne reflèterait pas le montant des avantages de toute nature procurés aux bénéficiaires des autorisations d'occupation du domaine public. En faisant ainsi porter son appréciation sur la seule augmentation des tarifs, sans contrôler le montant des tarifs qui résultait de cette augmentation et en retenant les motifs de bonne gestion du domaine public avancés par l'autorité municipale mentionnés ci-dessus, qui étaient sans rapport avec un avantage susceptible d'être procuré aux occupants du domaine, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit.

6. En second lieu, pour juger que les majorations de tarif applicables à l'occupation de certaines dépendances excédant 20 mètres carrés n'étaient pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation, la cour s'est bornée à relever qu'elles poursuivaient un objectif d'intérêt général consistant à freiner l'effet d'éviction du domaine public que subissent les piétons du fait des activités commerciales qui y sont exercées, sans rechercher si le tarif ainsi défini n'était pas manifestement disproportionné au regard des avantages de toute nature susceptibles d'être procurés aux occupants du domaine en cause. Dès lors, la cour administrative d'appel de Paris a également commis une erreur de droit sur ce point.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que l'UMIH Paris IDF est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il statue sur la légalité, d'une part, de l'article 1er de l'arrêté du 21 décembre 2015 relevant les tarifs applicables à compter du 1er janvier 2016, d'autre part, des dispositions prévoyant, en annexe à cet arrêté, des majorations en conséquence de l'importance de la surface concernée par certains types d'occupation.

Sur la détermination de l'assiette et du taux de droits de voirie additionnels :

8. Il ressort enfin des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, également en annexe à son article 2, l'arrêté du 21 décembre 2015 comporte des tableaux établissant la nomenclature des différents types de dispositifs assujettis et des tarifs correspondants. Le tableau C, intitulé " Etalages et terrasses ", détermine en particulier des droits de voirie additionnels - différents selon que l'installation occupe le tiers du trottoir, qu'elle s'étend au-delà ou qu'elle est située sur une voie piétonne - d'une part, pour l'installation de tout mode de chauffage ou de climatisation dans les terrasses ouvertes, qu'elles soient protégées ou non, d'autre part, pour l'installation d'écrans parallèles rigides protégeant une terrasse ouverte. Par ailleurs, dans la rubrique intitulée " Prescriptions applicables aux étalages et terrasses ", au huitième alinéa de l'ensemble de paragraphes qui est introduit par les mots " Droits annuels ", il est prévu que " Ces droits de voirie additionnels sont appréciés annuellement, de façon forfaitaire et indivisible. Ils s'appliquent quelles que soient les dates de pose ou de dépose des dispositifs et [de] leur temps de présence effectif au cours de l'exercice considéré. Il n'est procédé à aucun abattement mensuel ou calcul au " prorata temporis " lors de la première année d'installation ou dans les cas de cessation d'activité ou de démontage (...) ".

9. En premier lieu, la cour a estimé que les pièces produites par l'UMIH Paris IDF, faisant état de l'impossibilité d'identifier, en comptabilité analytique, la fraction de chiffre d'affaires résultant, pour l'exploitant d'une terrasse ouverte, de l'installation sur celle-ci d'un dispositif de chauffage ou de climatisation ainsi que d'écrans parallèles rigides, ne suffisaient pas à établir qu'il aurait été impossible d'évaluer des avantages procurés par ces équipements. En statuant ainsi, la cour s'est livrée à une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

10. En deuxième lieu, la cour a relevé que, pour justifier le tarif des droits de voirie additionnels contestés, la Ville de Paris avait fait valoir qu'une terrasse équipée de dispositifs de chauffage et de climatisation et d'écrans parallèles rigides était susceptible d'une exploitation tout au long de l'année et pendant toute la journée, contrairement à une terrasse non pourvue de tels aménagements, et qu'elle offrait ainsi aux consommateurs un surcroît de confort et permettait d'attirer une clientèle supplémentaire de fumeurs. En jugeant qu'il ressortait ainsi suffisamment des pièces du dossier, faute pour l'UMIH Paris IDF de produire des éléments en sens contraire, que les droits de voirie additionnels destinés à tenir compte de ces avantages commerciaux ne présentaient pas un caractère manifestement disproportionné, la cour n'a pas méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve.

11. En troisième et dernier lieu, la cour a jugé que, dès lors que le montant d'un tel forfait était susceptible de tenir compte du caractère saisonnier des avantages effectivement procurés par les installations concernées, la circonstance que les installations de chauffage et de climatisation et les écrans parallèles rigides sont seulement utilisés durant une partie de l'année ne faisait pas obstacle par principe à ce qu'ils donnent lieu à l'établissement d'une redevance forfaitaire, annuelle et indivisible. En statuant ainsi, par un arrêt suffisamment motivé, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

12. Il résulte de ce qui précède que l'UMIH Paris IDF n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt en tant qu'il statue sur la légalité de la détermination, par l'arrêté du 21 décembre 2015, de l'assiette et du taux de ces droits de voirie additionnels.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Ville de Paris le versement à l'UMIH Paris IDF de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'UMIH Paris IDF qui n'est pas, pour l'essentiel, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 9 mai 2019 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions tendant à l'annulation des dispositions de l'arrêté du 21 décembre 2015 de la maire de Paris fixant les droits de voirie applicables à compter du 1er janvier 2016 qui, d'une part, augmentant les tarifs de ces droits de 1 % et, d'autre part, prévoient des majorations à raison de l'importance de la surface concernée par certains types d'occupations.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation ainsi prononcée, à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : La Ville de Paris versera à l'UMIH Paris IDF la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la Ville de Paris sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie Paris Ile-de-France et à la Ville de Paris.