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Ariane Web: Conseil d'État 434518, lecture du 4 novembre 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:434518.20201104

Décision n° 434518
4 novembre 2020
Conseil d'État

N° 434518
ECLI:FR:CECHR:2020:434518.20201104
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
Mme Yaël Treille, rapporteur
M. Frédéric Dieu, rapporteur public
SCP THOUIN-PALAT, BOUCARD ; SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL, avocats


Lecture du mercredi 4 novembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

La Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) a demandé à la cour administrative d'appel de Paris d'annuler pour excès de pouvoir l'article 2 de l'arrêté du 21 décembre 2017 par lequel la ministre du travail a fixé la liste des organisations professionnelles d'employeurs reconnues représentatives dans le secteur des entreprises du bâtiment employant jusqu'à dix salariés. Par un arrêt n° 18PA00682 du 12 juillet 2019, la cour a annulé l'article 2 de cet arrêté.

1° Sous le n° 434518, par un pourvoi, enregistré le 11 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre du travail demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.



2° Sous le n° 434574, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 septembre et 11 décembre 2019 et le 1er octobre 2020, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération française du bâtiment (FFB) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la requête de la CAPEB tendant à l'annulation de l'article 2 de l'arrêté de la ministre du travail du 21 décembre 2017 ;

3°) de mettre à la charge de la CAPEB la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 octobre 2020, présentée par la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Yaël Treille, auditeur,

- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de la société Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la Fédération française du bâtiment ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que sur la demande d'au moins une organisation professionnelle d'employeurs, la ministre du travail a pris, le 21 décembre 2017, un arrêté " fixant la liste des organisations professionnelles d'employeurs reconnues représentatives dans le secteur des entreprises du bâtiment employant jusqu'à dix salariés ". Son article 1er dresse la liste des organisations professionnelles d'employeurs représentatives dans le secteur des entreprises du bâtiment employant jusqu'à dix salariés, qu'il définit comme étant celui couvert par trois conventions collectives nationales : la convention collective nationale des ouvriers des entreprises employant jusqu'à dix salariés (n° 1596), la convention collective nationale des employés, techniciens, et agents de maîtrise du bâtiment (n° 2609) et la convention collective nationale des cadres du bâtiment (n° 2420). L'article 2 de cet arrêté précise, " pour l'opposition à l'extension des accords collectifs prévue au titre de l'article L. 2261-19 ", l'audience respective des deux organisations qualifiées de représentatives, soit 49,28% pour la Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment (CAPEB) et 50,72% pour la Fédération française du bâtiment (FFB). Par un arrêt du 12 juillet 2019, la cour administrative d'appel de Paris a, sur la requête de la CAPEB, annulé pour excès de pouvoir l'article 2 de cet arrêté. La ministre du travail et la Fédération française du bâtiment se pourvoient en cassation contre cet arrêt. Ces pourvois étant dirigés contre le même arrêt, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur l'intervention de la Fédération française du bâtiment :

2. La Fédération française du bâtiment justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'arrêt attaqué. Son intervention au soutien du pourvoi de la ministre du travail est donc recevable.

Sur les pourvois en cassation :

3. D'une part, aux termes de l'article L. 2151-1 du code du travail : " I. - La représentativité des organisations professionnelles d'employeurs est déterminée d'après les critères cumulatifs suivants : / 1° Le respect des valeurs républicaines ; / 2° L'indépendance ; / 3° La transparence financière ; / 4° Une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation. Cette ancienneté s'apprécie à compter de la date de dépôt légal des statuts ; / 5° L'influence, prioritairement caractérisée par l'activité et l'expérience ; / 6° L'audience, qui se mesure en fonction du nombre d'entreprises volontairement adhérentes ou de leurs salariés soumis au régime français de sécurité sociale et, selon les niveaux de négociation, en application du 3° des articles L. 2152-1 ou L. 2152-4 (...) ", l'article L. 2152-1 étant relatif à la représentativité dans les branches professionnelles et l'article L. 2152-4 à la représentativité au niveau national et interprofessionnel. Aux termes de l'article L. 2152-1 du code du travail : " Dans les branches professionnelles, sont représentatives les organisations professionnelles d'employeurs : / 1° Qui satisfont aux critères mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 2151-1 ; / 2° Qui disposent d'une implantation territoriale équilibrée au sein de la branche ; / 3° Dont les entreprises et les organisations adhérentes à jour de leur cotisation représentent soit au moins 8 % de l'ensemble des entreprises adhérant à des organisations professionnelles d'employeurs de la branche satisfaisant aux critères mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 2151-1 et ayant fait la déclaration de candidature prévue à l'article L. 2152-5, soit au moins 8 % des salariés de ces mêmes entreprises. Le nombre d'entreprises adhérant à ces organisations ainsi que le nombre de leurs salariés sont attestés, pour chacune d'elles, par un commissaire aux comptes, qui peut être celui de l'organisation, dans des conditions déterminées par voie réglementaire. La mesure de l'audience s'effectue tous les quatre ans (...) ". Aux termes de l'article L. 2152-5 de ce code : " Pour l'établissement de leur représentativité en application du présent chapitre, les organisations professionnelles d'employeurs se déclarent candidates dans des conditions déterminées par voie réglementaire. / Elles indiquent à cette occasion le nombre de leurs entreprises adhérentes et le nombre des salariés qu'elles emploient (...) ".

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 2121-2 du code du travail: " S'il y a lieu de déterminer la représentativité d'un syndicat ou d'une organisation professionnelle autre que ceux affiliés à l'une des organisations représentatives au niveau national, l'autorité administrative diligente une enquête. / L'organisation intéressée fournit les éléments d'appréciation dont elle dispose ". Aux termes de l'article L. 2152-6 du même code : " Après avis du Haut Conseil du dialogue social, le ministre chargé du travail arrête la liste des organisations professionnelles d'employeurs reconnues représentatives par branche professionnelle et des organisations professionnelles d'employeurs reconnues représentatives au niveau national et interprofessionnel (...) ".

5. Il résulte de l'ensemble des dispositions citées aux points 3 et 4 que, sans préjudice de l'application des règles d'appréciation de la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs propres aux accords interbranches ou aux accords de fusion de branches, le ministre chargé du travail est compétent pour, s'il y a lieu, arrêter, sous le contrôle du juge administratif, la liste des organisations professionnelles d'employeurs représentatives et leurs audiences respectives dans un périmètre utile pour une négociation en cours ou à venir, y compris lorsque celui-ci ne correspond pas à une " branche professionnelle " au sens de l'article L. 2152-6 du code du travail.

6. Par suite, en jugeant, par un moyen relevé d'office, que la ministre du travail n'était pas compétente pour édicter l'arrêté du 21 décembre 2017 fixant la liste des organisations professionnelles d'employeurs reconnues représentatives dans le secteur des entreprises du bâtiment employant jusqu'à dix salariés au seul motif que ce secteur, couvert par plusieurs conventions collectives nationales n'ayant pas fait l'objet, en application de l'article L. 2261-32 du code du travail, d'une fusion préalable de leurs champs d'application, ne serait pas une " branche professionnelle " au sens de l'article L. 2152-6 du code du travail, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit. La ministre du travail et la Fédération française du bâtiment sont donc fondées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leurs pourvois, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elles attaquent.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. En premier lieu, si la CAPEB soutient que l'arrêté litigieux, en lui attribuant, dans le secteur des entreprises du bâtiment employant jusqu'à dix salariés, une audience inférieure à 50 %, affecte son droit à signer, à ce niveau, des accords collectifs susceptibles d'être étendus et, dès lors, le libre exercice des droits que lui garantissent les 6ème et 8ème alinéas du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, cette circonstance n'est pas de nature à conférer à cet arrêté le caractère d'un acte restreignant l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituant une mesure de police, au sens des dispositions du 2° de l'article L. 211-1 du code des relations entre le public et l'administration. Ainsi, en tout état de cause, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait dû être motivé en application de ces dispositions du code des relations entre le public et l'administration doit être écarté.

9. En second lieu, aux termes de l'article R. 2152-1 du code du travail : " Pour l'application des articles L. 2152-1 et L. 2152-4, sont considérées comme adhérentes les entreprises, qu'elles emploient ou non du personnel salarié, dès lors qu'elles versent une cotisation, conformément aux règles fixées par une délibération de l'organe compétent de l'organisation professionnelle d'employeurs à laquelle elles adhèrent ou d'une structure territoriale statutaire de cette organisation, et selon des modalités assurant leur information quant à l'organisation destinataire de la cotisation. (...). Lorsqu'en application de l'alinéa précédent plusieurs établissements d'une entreprise adhèrent à une même organisation professionnelle d'employeurs ou à une même structure territoriale statutaire d'une organisation professionnelle d'employeurs, n'est prise en compte qu'une seule adhésion à cette organisation ou à cette structure au titre de cette entreprise (...) ". Aux termes du deuxième alinéa du 3° du I de l'article R. 2152-8 du code du travail : " ne sont pas prises en compte (...) les adhésions des organisations professionnelles d'employeurs ou de leurs structures territoriales statutaires aux structures territoriales statutaires de l'organisation candidate à l'établissement de sa représentativité ".

10. D'une part, le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité des dispositions citées au point précédent, en ce qu'elles seraient entachées d'incompétence négative, faute d'avoir institué un dispositif susceptible de prévenir les doubles comptages dans le calcul de l'audience des organisations professionnelles d'employeurs, ne peut qu'être écarté, dès lors que ces dispositions, comme leurs extraits cités au point 10 le montrent, prévoient au contraire des mesures pour prévenir d'éventuels doubles comptages dans le calcul de l'audience des organisations professionnelles d'employeurs.

11. D'autre part, si la CAPEB fait valoir que l'audience attribuée à la FFB serait entachée d'inexactitude en ce qu'elle reposerait sur des données comportant un double comptage de certaines entreprises adhérentes, il ne ressort pas des pièces du dossier, lesquelles comportent les attestations établies par les commissaires aux comptes conformément aux dispositions de l'article R. 2152-6 du code du travail, indiquant notamment, par département, le nombre d'entreprises adhérentes à la FFB, et alors que le ministre chargé du travail fait valoir, sans être contesté, avoir mis en oeuvre, au cas d'espèce, les dispositions du 3° du I de l'article R. 2152-8 du code du travail citées au point 9, que cette audience serait pour ce motif entachée d'inexactitude matérielle. Le moyen tiré de ce que l'audience attribuée à la FFB par l'article 2 de l'arrêté attaqué serait entachée d'inexactitude doit donc être écarté, sans qu'il soit besoin de procéder à la mesure d'instruction demandée. Il en va de même du moyen tiré de ce que, pour ce motif, l'article 2 de l'arrêté en litige méconnaîtrait le principe d'égalité entre organisations professionnelles d'employeurs.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la CAPEB n'est pas fondée à demander l'annulation de l'article 2 de l'arrêté du 21 décembre 2017 fixant la liste des organisations professionnelles d'employeurs reconnues représentatives dans le secteur des entreprises du bâtiment employant jusqu'à dix salariés. Par suite, sa requête ne peut qu'être rejetée, y compris en ce qu'elle comporte des conclusions présentées au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative. Il en va de même des conclusions qu'elle avait présentées au même titre en cassation.

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la Fédération française du bâtiment, en première instance comme en cassation, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la Fédération française du bâtiment au soutien du pourvoi de la ministre du travail est admise.
Article 2 : L'arrêt n° 18PA00682 de la cour administrative d'appel de Paris du 12 juillet 2019 est annulé.
Article 3 : La requête de la CAPEB est rejetée.
Article 4 : Les conclusions présentée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, par la FFB en première instance comme en cassation et par la CAPEB en cassation sont rejetées.
Article 5 : Les conclusions présentées par la CAPEB en cassation au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la Fédération française du bâtiment (FFB), à la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.


Voir aussi