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Ariane Web: Conseil d'État 425577, lecture du 23 novembre 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:425577.20201123

Décision n° 425577
23 novembre 2020
Conseil d'État

N° 425577
ECLI:FR:CECHR:2020:425577.20201123
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Nicolas Agnoux, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP DELAMARRE, JEHANNIN, avocats


Lecture du lundi 23 novembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Ferragamo France a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2010, de la retenue à la source mise à sa charge au titre des années 2009 et 2010, du complément de cotisation minimale de taxe professionnelle et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises respectivement mis à sa charge au titre des années 2009 et 2010 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1516641 du 28 mars 2017, le tribunal administratif de Paris a fait droit à cette demande.

Par un arrêt n° 17PA02617 du 27 septembre 2018, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics contre ce jugement.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique enregistrés les 22 novembre 2018 et 13 septembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande l'annulation de cet arrêt.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de la société Ferragamo ;



1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Ferragamo France, alors détenue à 100 % par la société hollandaise Ferragamo International BV, elle-même détenue par la société italienne Salvatore Ferragamo SpA, et qui distribuait quasi exclusivement les produits de la société italienne, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2009 et 2010, à l'issue de laquelle l'administration fiscale a estimé qu'elle avait indirectement transféré des bénéfices à la société italienne. Par un jugement du 28 mars 2017, le tribunal administratif de Paris a déchargé la société Ferragamo France de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2009, de la retenue à la source prévue par le 2 de l'article 119 bis du code au titre des années 2009 et 2010 ainsi que des compléments de cotisation minimale de taxe professionnelle et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre respectivement de l'année 2009 et de l'année 2010, résultant de cette rectification. Le ministre demande l'annulation de l'arrêt du 27 septembre 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'il avait formé contre ce jugement.

2. Aux termes de l'article 57 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités (...) ". Ces dispositions instituent, dès lors que l'administration établit l'existence d'un lien de dépendance et d'une pratique entrant dans les prévisions de l'article 57 du code général des impôts, une présomption de transfert indirect de bénéfices qui ne peut utilement être combattue par l'entreprise imposable en France que si celle-ci apporte la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties. Peut constituer une telle pratique l'insuffisante rémunération perçue par une entreprise établie en France qui expose des charges contribuant au développement de la valeur d'une marque appartenant à sa société mère établie hors de France.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le vérificateur a mis en évidence que le montant des salaires et des charges externes supporté par la société française de 2005 à 2010, notamment à raison du recours à un personnel de vente particulièrement qualifié et de la location de locaux commerciaux prestigieux, était sensiblement supérieur à celui qui était exposé par dix-neuf entreprises comparables, exerçant la même activité de distribution de produits de luxe, mais de manière " indépendante ", au sens des principes définis par l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) en matière de prix de transfert, sans que ce surcroît de charges soit entièrement compensé par le surcroît de marge brute dont bénéficiait, par rapport à ces mêmes entreprises, la filiale française à raison notamment de la remise de 25 % consentie par la société italienne sur l'achat des produits de la marque Salvatore Ferragamo. En outre, la société, immatriculée depuis 1992, a été continûment déficitaire depuis au moins 1996 jusqu'en 2009. Par suite, le vérificateur a regardé cette insuffisance de marge brute comme un avantage octroyé par la société française à la société italienne, constitutif d'un transfert indirect de bénéfices au sens de l'article 57 du code général des impôts.

4. En jugeant que l'administration n'établissait pas l'existence d'un avantage consenti à la société italienne au motif que les résultats de la société française au titre des exercices clos de 2010 à 2015 avaient été bénéficiaires sans changement de la politique des prix de transfert de l'entreprise, alors pourtant qu'elle avait relevé que l'exposition de charges supplémentaires de salaires et de loyers par rapport à des entreprises indépendantes visait à accroître, sur un marché stratégique dans le domaine du luxe, la valeur de la marque italienne qui n'avait pas encore la même notoriété que ses concurrents directs, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. En outre, alors qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration fiscale avait établi l'existence d'une pratique entrant dans les prévisions de l'article 57 du code général des impôts, en démontrant que la rémunération accordée par la société italienne ne permettait pas de couvrir les charges de prestige qui contribuaient à valoriser la marque Salvatore Ferragamo exposées par la filiale française et en faisant valoir que cette dernière avait été continûment déficitaire depuis au moins 1996 jusqu'en 2009, la cour a dénaturé les faits et pièces versées au dossier. En écartant, dans ces conditions, l'existence d'un transfert indirect de bénéfices devant être réintégré à ses résultats imposables alors que la société n'établissait pas, en se bornant à se prévaloir d'une situation bénéficiaire entre 2010 et 2015, avoir retiré une contrepartie de l'avantage en cause, la cour a inexactement qualifié les faits de l'espèce.

5. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 27 septembre 2018 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : Les conclusions de la société Ferragamo France présentées au titre de l'article L. 761-1 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la société Ferragamo France.


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