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Ariane Web: Conseil d'État 428898, lecture du 27 novembre 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:428898.20201127

Décision n° 428898
27 novembre 2020
Conseil d'État

N° 428898
ECLI:FR:CECHR:2020:428898.20201127
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Olivier Guiard, rapporteur
Mme Céline Guibé, rapporteur public
SCP LEDUC, VIGAND, avocats


Lecture du vendredi 27 novembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2005 à 2010 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er janvier 2005 au 30 juin 2011. Par un jugement nos 1303731, 1303733 du 9 février 2016, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 16LY01260 du 17 janvier 2019, la cour administrative d'appel de Lyon a prononcé un non-lieu à statuer à concurrence du dégrèvement prononcé par l'administration et rejeté le surplus des conclusions de la requête d'appel de M. B....

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 mars et 14 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 2 de cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Pologne tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée à Varsovie le 20 juin 1975 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Leduc, Vigand, avocat de M. B... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B..., qui exploite à titre individuel l'entreprise de droit polonais " Gienek Eugeniusz B... ", exerce en France, depuis 2005, une activité dans le secteur du bâtiment. A ce titre, il a fait l'objet d'un examen de sa situation fiscale personnelle pour la période du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2010, à l'issue duquel l'administration fiscale a estimé qu'il exerçait une activité occulte en France. Après avoir évalué d'office ses bénéfices industriels et commerciaux au titre des années de 2005 à 2010, elle lui a réclamé des cotisations d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, assorties des pénalités, au titre des mêmes années, ainsi que, par voie de taxation d'office, un rappel de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er janvier 2005 au 30 juin 2011. M. B... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 17 janvier 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à hauteur d'un dégrèvement prononcé en cours d'instance, a rejeté le surplus de son appel contre le jugement du 9 février 2016 du tribunal administratif de Lyon rejetant sa demande de décharge des impositions en litige.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. / Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la sixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce (...) ". Aux termes de l'article L. 176 du même livre : " Pour les taxes sur le chiffre d'affaires, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible conformément aux dispositions du 2 de l'article 269 du code général des impôts. / Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle la taxe est devenue exigible conformément aux dispositions du 2 de l'article 269 du code général des impôts (...) lorsque le contribuable exerce une activité occulte. L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite ".

3. Il résulte des dispositions citées au point 2 ci-dessus que dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, son activité est réputée occulte s'il n'est pas en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ses obligations déclaratives. S'agissant d'un contribuable qui fait valoir qu'il a satisfait à l'ensemble de ses obligations fiscales dans un Etat autre que la France, la justification de l'erreur commise doit être appréciée en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment du niveau d'imposition dans cet autre État et des modalités d'échange d'informations entre les administrations fiscales des deux Etats.

4. Pour juger que M. B... ne pouvait être regardé comme ayant commis une erreur en déclarant en Pologne les revenus de son activité individuelle réalisée en France, la cour a relevé, d'une part, que l'intéressé a exercé depuis 2005 et jusqu'en 2011 une activité d'entrepreneur exclusivement en France, pour laquelle il n'a déposé aucune déclaration d'activité auprès d'un centre de formalités des entreprises ou d'un greffe de tribunal de grande instance, ni aucune déclaration en matière de bénéfices professionnels ou de taxe sur la valeur ajoutée auprès de l'administration fiscale et, d'autre part, qu'il existait une importante différence de niveau d'imposition entre la France et la Pologne. En statuant ainsi, la cour, qui n'a pas commis d'erreur de droit en comparant le montant d'impôt sur le revenu acquitté en Pologne par M. B... et le montant mis à sa charge par l'administration française, et qui n'a pas dénaturé les pièces du dossier, compte tenu des montants en cause, même sans tenir compte du dégrèvement intervenu en cours d'instance, n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui était soumis en jugeant que le contribuable n'établissait pas avoir commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ses obligations déclaratives.

5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le vérificateur s'est fondé sur les encaissements figurant sur un compte bancaire en France de M. B... de juin 2008 à 2011 pour déterminer le chiffre d'affaires imposable de ce dernier et que le montant des recettes des années 2005 à 2008 a été extrapolé à partir des encaissements réalisés au cours du second semestre 2008. La cour, qui n'était pas tenue de prononcer une mesure d'instruction sur ce point, n'a pas dénaturé les pièces du dossier en énonçant, après avoir rappelé la source des informations utilisées par le vérificateur pour la reconstitution du chiffre d'affaires, que le résultat des années 2005 à 2008 a été déterminé par extrapolation des encaissements réalisés sur les seuls six derniers mois de 2008.

6. En troisième lieu, en énonçant que les déclarations fiscales effectuées par M. B... auprès de l'administration fiscale polonaise attestaient du montant de l'impôt sur le revenu acquitté dans ce pays, la cour a implicitement mais nécessairement écarté l'argumentation de M. B... tirée de ce que l'administration fiscale était tenue de saisir l'administration polonaise dans le cadre de l'assistance administrative prévue par l'article 26 de la convention fiscale franco-polonaise pour obtenir des renseignements nécessaires à la reconstitution de son bénéfice. En statuant ainsi, la cour n'a entaché son arrêt, qui est suffisamment motivé, d'aucune erreur de droit.

7. En quatrième lieu, pour écarter la méthode de reconstitution du bénéfice proposée par M. B..., reposant sur les déclarations de chiffres d'affaires déposées en Pologne, la cour a jugé qu'il n'apportait aucun élément attestant de la réalité et de l'exactitude des montants déclarés dans cet Etat. En statuant ainsi, la cour, qui n'était pas tenue de procéder à une mesure d'instruction pour vérifier le caractère probant des pièces produites, a suffisamment motivé son arrêt.

8. En cinquième lieu, la cour n'a commis aucune erreur de droit en jugeant que le requérant ne pouvait utilement se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des énonciations contenues dans la documentation administrative référencée sous les numéros BOI-CF-IOR-10-20-200-20000912 et BOI-CF-IOR-50-20-210-20170307 qui portent sur la procédure d'imposition et ne comportent aucune interprétation de la loi fiscale.

9. En sixième lieu, si le requérant soutient que la cour a méconnu les dispositions des articles L. 66, L. 73 et L. 169 du livre des procédures fiscales en jugeant qu'il n'était pas fondé à soutenir que la méthode de reconstitution retenue par l'administration était radicalement viciée, il n'assortit pas son moyen des précisions suffisantes permettant d'en examiner le bien-fondé.

10. En dernier lieu, aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : (...) / c. 80 % en cas de découverte d'une activité occulte. (...) ". Pour les motifs énoncés aux points 3 et 4 ci-dessus, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits en jugeant que M. B... ne pouvait être regardé comme ayant commis une erreur justifiant qu'il n'ait pas rempli ses obligations déclaratives et en en déduisant que la majoration de 80 % prévue à l'article 1728 du code général des impôts lui était applicable.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administration font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. B... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


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