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Ariane Web: Conseil d'État 433666, lecture du 23 décembre 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:433666.20201223

Décision n° 433666
23 décembre 2020
Conseil d'État

N° 433666
ECLI:FR:CECHR:2020:433666.20201223
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
Mme Flavie Le Tallec, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public
CABINET COLIN - STOCLET, avocats


Lecture du mercredi 23 décembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, une requête rectificative, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 août, 21 août, 19 novembre 2019 et 4 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 12 juin 2019 par laquelle la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et le ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement, l'ont révoqué de ses fonctions de président de l'office public de l'habitat des Ardennes Habitat 08 et lui ont interdit, pour une durée de trois ans, de participer au conseil d'administration, au conseil de surveillance ou au directoire d'un organisme de logement social ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n°2009-323 du 25 mars 2009 ;
- la loi n°2014-366 du 24 mars 2014 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Flavie Le Tallec, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Colin-Stoclet, avocat de M. A... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 décembre 2020, présentée par M. A... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de deux contrôles, le conseil d'administration de l'agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS) a, par une délibération du 2 mai 2018, proposé au ministre chargé du logement de prononcer une sanction à l'encontre de M. A..., président du conseil d'administration de l'office public de l'habitat (OPH) des Ardennes. La ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et le ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement, ont, par une décision du 12 juin 2019, infligé à M. A... la sanction de révocation de ses fonctions de président de cet office et d'interdiction, pour une durée de trois ans, de participer au conseil d'administration, au conseil de surveillance ou au directoire d'un organisme de logement social. M. A... demande l'annulation de cette décision.

2. Aux termes de l'article L. 342-12 du code de la construction et de l'habitation : " En cas de manquements aux dispositions législatives et réglementaires qui lui sont applicables, d'irrégularité dans l'emploi des fonds de la participation à l'effort de construction ou des subventions, prêts ou avantages consentis par l'Etat ou par ses établissements publics et par les collectivités territoriales ou leurs établissements publics, de faute grave de gestion, de carence dans la réalisation de l'objet social ou de non-respect des conditions d'agrément constatés, l'agence demande à l'organisme ou la personne contrôlée de présenter ses observations et, le cas échéant, le met en demeure de procéder à la rectification des irrégularités dans un délai déterminé ". Aux termes de l'article L. 342-14 du même code : " I. Après que la personne ou l'organisme a été mis en mesure de présenter ses observations en application de l'article L. 342-12 ou, en cas de mise en demeure, à l'issue du délai mentionné à ce même article, l'agence peut proposer au ministre chargé du logement de prononcer les sanctions suivantes : (...) / 2° S'il s'agit d'un organisme d'habitations à loyer modéré mentionné à l'article L.411-2 (...) / a) La suspension d'un ou plusieurs dirigeants ou membres du conseil d'administration, du conseil de surveillance ou du directoire de l'organisme, pour une durée allant jusqu'à la prochaine assemblée générale et au maximum pour un an. (...) / c) L'interdiction, pour une durée d'au plus dix ans, à un ou plusieurs membres ou anciens membres du conseil d'administration, du conseil de surveillance ou du directoire de participer au conseil d'administration, au conseil de surveillance ou au directoire d'un organisme mentionné au II de l'article L.342-2 ; / d) La révocation d'un ou plusieurs dirigeants ou membres du conseil d'administration, du conseil de surveillance ou du directoire (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 342-16 : " Les sanctions mentionnées au I de l'article L. 342-14 sont fixées en fonction de la gravité des faits reprochés, de la situation financière et de la taille de l'organisme (...)/ Les décisions de sanction prononcées en application des articles L. 342-14 et L. 342-15 sont susceptibles d'un recours de pleine juridiction devant le Conseil d'Etat ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au ministre chargé du logement, lorsque, à la suite d'une proposition de l'ANCOLS tendant à ce que soit prononcée une sanction à l'encontre d'une personne ou d'un organisme soumis à son contrôle, il prononce l'une des sanctions prévues à l'article L. 342-14, d'une part, de tenir notamment compte, dans le choix de la sanction retenue, du délai qui s'est écoulé depuis la date des faits reprochés et, d'autre part, de prononcer cette sanction dans un délai raisonnable après la transmission de la proposition de l'ANCOLS.

3. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que soutient M. A..., le délai d'un peu plus d'une année qui s'est écoulé entre la transmission de la proposition de l'ANCOLS et la sanction litigieuse n'a pas, dans les circonstances particulières de l'espèce, revêtu un caractère déraisonnable susceptible de l'entacher d'illégalité. M. A... ne saurait, par ailleurs, utilement soutenir que cette sanction serait illégale en raison de ce qu'elle procéderait au retrait, après le délai de quatre mois mentionné à l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, d'une décision implicite de renoncement à le sanctionner qui serait née d'un silence gardé par les ministres sur la proposition de l'ANCOLS.

4. En second lieu, il résulte de l'instruction que les ministres ont entendu sanctionner, ainsi qu'en disposent les articles L. 342-12 et L. 342-14 du code de la construction et de l'habitation cité ci-dessus, des fautes graves commises par M. A... dans la gestion de l'organisme dont il présidait le conseil d'administration. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que, au seul motif que la motivation de la décision fait état de ses " fautes de gestion ", les ministres auraient entendu sanctionner de simples fautes et non des fautes graves et, par suite, auraient méconnu ces mêmes dispositions des articles L. 342-12 et L. 342-14 du code de la construction et de l'habitation.

Sur le grief tiré de l'absence d'établissement, par l'OPH des Ardennes, de son plan stratégique de patrimoine :

5. Aux termes de l'article L. 411-9 du code de la construction et de l'habitation, issu des dispositions de la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion : " les organismes d'habitations à loyer modéré élaborent un plan stratégique de patrimoine qui définit leur stratégie pour adapter leur offre de logements à la demande dans les différents secteurs géographiques où ils disposent d'un patrimoine, en tenant compte des orientations fixées par les programmes locaux de l'habitat. Le plan comprend une analyse du parc de logements existants selon sa qualité, son attractivité et son positionnement sur les marchés locaux de l'habitat. Il définit l'évolution à moyen et long termes des différentes composantes de ce parc, ainsi que les choix d'investissement et de gestion qui en résultent. Il présente les perspectives de développement du patrimoine de l'organisme. ". Aux termes de l'article L. 445-1 du même code : " Les organismes d'habitations à loyer modéré mentionnés aux deuxième à cinquième alinéas de l'article L. 411-2 concluent avec l'Etat, sur la base du plan stratégique de patrimoine mentionné à l'article L. 411-9 (..) et en tenant compte des programmes locaux de l'habitat, une convention d'utilité sociale d'une durée de six ans ".

6. En premier lieu, en retenant que l'OPH des Ardennes n'avait pas élaboré de plan stratégique de patrimoine pour la période 2010 - 2015, la décision attaquée ne s'est, alors même que de premières étapes d'élaboration d'un tel plan auraient été réalisées au cours de cette période, pas fondée sur des éléments matériellement inexacts.

7. En deuxième lieu, en estimant qu'une absence d'élaboration d'un plan stratégique de patrimoine sur la période 2010 - 2015 constituait une faute grave de gestion susceptible d'être sanctionnée, la décision attaquée n'a pas méconnu le principe de légalité des délits et des peines, dès lors que les fautes graves de gestion commises par un office public de l'habitat ou par son conseil d'administration étaient déjà, antérieurement à l'introduction des articles L. 342-12 et L. 342-14 du code de la construction et de l'habitation par la loi du 24 mars 2014 sur l'accès au logement et l'urbanisme rénové, susceptibles de faire l'objet, en application de l'article L. 421-14 du même code abrogé par cette loi, des mêmes sanctions que celles infligées par la décision attaquée.

8. Enfin, s'il résulte des dispositions de l'article R. 421-16 du code de la construction et de l'habitation qu'il appartient au conseil d'administration de l'organisme d'habitation à loyer modéré d'" [arrêter] les orientations en matière de politique des loyers et d'évolution du patrimoine " et, à ce titre, d'approuver le plan stratégique de patrimoine de l'office, il résulte des dispositions de l'article R. 421-17 du même code que : " le président du conseil d'administration fixe l'ordre du jour du conseil d'administration./ Il soumet au conseil d'administration, à l'occasion de l'examen du budget, un rapport sur la politique de l'office pendant l'exercice en voie d'achèvement et pour l'exercice à venir (...) / Le président représente l'office auprès des pouvoirs publics, des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière d'habitat (...) ". Par suite, compte tenu de l'importance majeure du plan stratégique de patrimoine pour la stratégie d'un office public de l'habitat et pour ses relations avec les pouvoirs publics, et même si le président du conseil d'administration ne dispose d'aucun pouvoir propre quant à son élaboration, la décision attaquée n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées ci-dessus des articles L. 342-12 et L. 342-14 du même code en retenant, à l'encontre de M. A..., l'existence d'une faute grave de gestion à raison de sa part de responsabilité, en qualité de président du conseil d'administration, dans l'absence d'établissement de ce document par l'OPH des Ardennes pour la période considérée.

Sur le grief relatif au processus de remplacement du directeur général :

9. Aux termes de l'article R. 421-16 du code de la construction et de l'habitation : " Le conseil d'administration (...) : (...)/ 10° Nomme le directeur général et autorise le président du conseil d'administration à signer le contrat et les avenants entre l'office et le directeur général. (...) ". Aux termes de l'article R. 421-17 du même code : " Le président du conseil d'administration (...) propose au conseil d'administration la nomination du directeur général et signe son contrat. Le cas échéant, il propose au conseil d'administration la cessation des fonctions du directeur général (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'en cas de vacance du poste de directeur général d'un office public de l'habitat, il appartient au président du conseil d'administration d'effectuer les diligences nécessaires pour proposer au conseil d'administration la nomination d'un nouveau directeur général.

10. Il résulte de l'instruction qu'à la suite du départ du directeur général de l'office en mai 2016, le nom d'un nouveau directeur général n'a été soumis par M. A... à l'approbation du conseil d'administration de l'office qu'en janvier 2018.

11. En se fondant, pour estimer que cette longue vacance du poste de directeur général caractérisait une faute grave de gestion de la part de M. A..., sur le caractère injustifié du délai mis à lancer le processus de recrutement, sur sa durée excessive compte tenu de l'existence de plusieurs candidats susceptibles d'occuper le poste et sur l'absence de transparence de ce processus, les ministres n'ont pas commis d'erreur d'appréciation et ont fait une exacte application des dispositions, citées ci-dessus, des articles L. 342-12 et L. 342-14 du code de la construction et de l'habitation.

12. M. A... ne saurait, à cet égard, utilement invoquer, pour justifier le retard pris dans le remplacement du directeur, les dispositions de l'article R. 421-18 du code de la construction et de l'habitation qui permettent au conseil d'administration d'autoriser, en cas d'absence ou d'empêchement du directeur général, que son intérim puisse, le cas échéant, s'exercer pendant plus de six mois.

Sur les griefs tirés de la méconnaissance des attributions du conseil d'administration et de la désorganisation dans le fonctionnement de l'organisme :

13. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 421-10 du code de la construction et de l'habitation : " le conseil d'administration règle par ses délibérations les affaires de l'office " et aux termes du premier alinéa de l'article L. 421-12 du même code : " le directeur général dirige l'activité de l'office dans le cadre des orientations générales fixées par le conseil d'administration ". A ce titre, l'article R. 421-18 prévoit que : " le directeur général assiste, avec voix consultative, aux séances du conseil d'administration et du bureau dont il prépare et exécute les décisions. / Il passe tous les actes et contrats au nom de l'office et le représente dans tous les actes de la vie civile. (...) Le directeur général a autorité sur les services, recrute, nomme et, le cas échéant, licencie le personnel. (...) ".

14. Il résulte de l'instruction et en particulier des rapports de contrôle établis par l'ANCOLS en janvier 2016 et décembre 2017 que, notamment pendant la période où la directrice générale adjointe a assuré l'intérim du directeur général, M. A..., ainsi qu'un petit nombre d'autres membres du conseil d'administration, se sont immiscés dans le fonctionnement des services de l'office, suppléant à plusieurs reprises les responsables hiérarchiques et prenant dans certaines circonstances, notamment à l'occasion d'un conflit social, des initiatives qui relevaient de la compétence de la direction générale. En estimant, d'une part que ce comportement traduisait, de la part du président du conseil d'administration de l'office, une violation des dispositions réglementaires qui régissent les pouvoirs respectifs du conseil d'administration et du directeur général d'un office public de l'habitat et, d'autre part, qu'il avait eu pour effet de dégrader le climat social au sein de l'office, revêtant ainsi le caractère d'une faute grave dans la gestion de cet organisme, les ministres n'ont pas commis d'erreur d'appréciation et ont fait une exacte application des dispositions, citées ci-dessus, des articles L. 342-12 et L. 342-14 du code de la construction et de l'habitation.

Sur la sanction infligée à M. A... :

15. Eu égard à la gravité des manquements commis, à leur persistance après le premier contrôle de l'ANCOLS et à leurs effets sur la situation de l'OPH des Ardennes et de son personnel, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la sanction qui lui a été infligée, qui est suffisamment motivée, n'est pas proportionnée aux fautes qui lui sont reprochées.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque. Sa requête doit, par suite, être rejetée y compris, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., à la ministre de la transition écologique et à la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement.


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