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Ariane Web: Conseil d'État 448714, lecture du 26 janvier 2021, ECLI:FR:CEORD:2021:448714.20210126

Décision n° 448714
26 janvier 2021
Conseil d'État

N° 448714
ECLI:FR:CEORD:2021:448714.20210126
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés


Lecture du mardi 26 janvier 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 et 22 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat des médecins d'Aix et Région (SMAER), l'Association internationale pour une médecine scientifique indépendante et bienveillante (AIMSIB), l'association BonSens.org, M. I..., M. B..., M. Q..., M. K..., M. F..., M. O..., M. L..., M. D..., M. J..., M. N..., Mme R..., M. A..., M. G..., Mme M..., M. P..., Mme S..., M. E..., Mme C..., M. H... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'enjoindre, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, au ministre des solidarités et de la santé de saisir l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) afin qu'une recommandation temporaire d'utilisation (RTU) puisse être considérée, élaborée et délivrée en urgence pour la molécule ivermectine ;

2°) d'enjoindre à l'ANSM d'examiner la pertinence d'une RTU portant sur l'ivermectine ;

3°) d'enjoindre au ministre des solidarités et de la santé de prendre toutes mesures utiles destinées à permettre et à faciliter la prescription de la molécule ivermectine contre la maladie Covid-19 ;

4°) d'enjoindre à l'ANSM de produire le courrier qui accompagne la lettre du 14 janvier 2021 ainsi que l'avis de réception de celui-ci ;

5°) de mettre à la charge du ministre des solidarités et de la santé et de l'ANSM la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Ils soutiennent que :
- ils justifient d'un intérêt à agir ;
- la condition d'urgence est satisfaite eu égard, d'une part, à la situation d'urgence sanitaire et, d'autre part, à la nécessité que les malades contaminés par la Covid-19 puissent bénéficier des soins les plus efficaces, les plus appropriés et les plus accessibles, y compris dès le stade précoce de la maladie ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et au droit à la santé, libertés fondamentales ;
- l'absence d'élaboration d'une RTU en faveur de la molécule d'ivermectine malgré les demandes en ce sens adressées au ministre des solidarités et de la santé ainsi qu'à l'ANSM, alors que les conditions pour ce faire sont satisfaites, est constitutive d'une carence de la part de ces autorités et méconnaît le droit au respect de la vie, le droit à la protection de la santé et le droit pour toute personne de recevoir, sous réserve de son consentement libre et éclairé, les traitements et les soins appropriés à son état de santé, alors que le besoin thérapeutique est immense et que le rapport entre bénéfice et risque est très favorable ;
- cette carence est constitutive d'une rupture d'égalité, dès lors que le vaccin du laboratoire Pfizer/BioNTech a bénéficié d'un avis positif délivré par la Haute Autorité de Santé le 24 décembre 2020 sur la base de données scientifiques essentiellement issues du laboratoire concerné alors que ce vaccin, qui est une solution complémentaire, ne peut pas se prévaloir du recul nécessaire, au contraire du traitement par ivermectine ;
- elle est constitutive d'une perte de chance pour les malades et personnes qui sont en contact permanent avec la Covid-19 d'obtenir une prescription de la part des médecins dès les premiers symptômes.

La Haute Autorité de santé a indiqué le 20 janvier 2021 ne pas avoir d'observations à formuler, dès lors qu'elle n'a pas compétence pour délivrer des RTU.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2021, l'Agence nationale du médicament et des produits de santé conclut à ce qu'il n'y ait lieu de statuer sur la demande, dès lors qu'elle a entamé une évaluation en vue du prononcé, le cas échéant, d'une RTU. Elle conclut, à titre subsidiaire, au rejet de la requête et soutient qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2021, le ministre de la santé conclut à ce qu'il n'y ait lieu de statuer sur la demande, dès lors que l'ANSM a entamé une évaluation en vue du prononcé, le cas échéant, d'une RTU. Il conclut, à titre subsidiaire, au rejet de la requête et soutient que la mesure demandée n'entre pas dans l'office du juge des référés de l'article L 521-2 et qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le SMAER et les autres requérants, et d'autre part, le ministre des solidarités et de la santé, l'ANSM et l'HAS ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 25 janvier 2021, à 15 heures :

- les représentants du SMAER, de l'AIMSIB et des autres requérants ;

- les représentants de l'ANSM ;

- le représentant du ministre des solidarités et de la santé ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". Le droit au respect de la vie constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de cet article. En outre, une carence caractérisée d'une autorité administrative dans l'usage des pouvoirs que lui confère la loi pour mettre en oeuvre le droit de toute personne de recevoir, sous réserve de son consentement libre et éclairé, les traitements et les soins appropriés à son état de santé, tels qu'appréciés par le médecin, peut faire apparaître, pour l'application de ces dispositions, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle risque d'entraîner une altération grave de l'état de santé de la personne intéressée.

2. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou Covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre chargé de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Pour faire face à l'aggravation de l'épidémie, la loi du 23 mars 2020 a créé un régime d'état d'urgence sanitaire, défini aux articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique, et a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. La loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ces dispositions, a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020. L'évolution de la situation sanitaire a conduit à un assouplissement des mesures prises et la loi du 9 juillet 2020 a organisé un régime de sortie de cet état d'urgence.

3. Une nouvelle progression de l'épidémie au cours des mois de septembre et d'octobre, dont le rythme n'a cessé de s'accélérer au cours de cette période, a conduit le Président de la République à prendre le 14 octobre dernier, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre sur l'ensemble du territoire national. Le 29 octobre 2020, le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. L'article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire a prorogé l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 16 février 2021 inclus.

4. Aux termes de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique : " I. - Une spécialité pharmaceutique peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché en l'absence de spécialité de même principe actif, de même dosage et de même forme pharmaceutique disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées, sous réserve qu'une recommandation temporaire d'utilisation établie par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sécurise l'utilisation de cette spécialité dans cette indication ou ces conditions d'utilisation. Lorsqu'une telle recommandation temporaire d'utilisation a été établie, la spécialité peut faire l'objet d'une prescription dans l'indication ou les conditions d'utilisations correspondantes dès lors que le prescripteur juge qu'elle répond aux besoins du patient. (...) / V. - Le ministre chargé de la santé ou le ministre chargé de la sécurité sociale peut saisir l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé d'une demande d'élaboration d'une recommandation temporaire d'utilisation. " Aux termes de l'article R. 5121-76-1 du même code : " La recommandation temporaire d'utilisation, établie en application du I de l'article L. 5121-12-1, a pour objet de sécuriser la prescription d'un médicament non conforme à son autorisation de mise sur le marché par un prescripteur qui, pour répondre aux besoins spéciaux du patient, appréciés à l'issue d'un examen effectif de ce dernier, et en se fondant sur les considérations thérapeutiques qui lui sont propres, lui prescrit ce médicament selon la forme galénique et la posologie qu'il estime appropriées, en l'absence d'une spécialité ayant le même principe actif, la même forme pharmaceutique et le même dosage, disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées. / (...) " Enfin, aux termes de l'article R. 5121-76-6 du même code : " (...) l'agence procède à l'évaluation de l'efficacité et de la sécurité présumées de la spécialité dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées. Si cette évaluation permet de présumer que le rapport entre le bénéfice attendu et les effets indésirables encourus est favorable, elle élabore un projet de recommandation temporaire d'utilisation (...). " Il résulte de ces dispositions qu'une spécialité pharmaceutique peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché notamment dans le respect d'une recommandation temporaire d'utilisation. L'élaboration d'une telle recommandation par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé peut se faire à l'initiative de l'Agence ou à la demande du ministre chargé de la santé ou du ministre chargé de la sécurité sociale. Il appartient alors à l'Agence, dans un premier temps, de procéder à l'évaluation de l'efficacité et de la sécurité présumées de la spécialité dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées. Il lui appartient, dans un second temps, si et uniquement si cette évaluation permet de présumer que le rapport entre le bénéfice attendu et les effets indésirables encourus est favorable, d'adopter la recommandation dans le respect des formes et procédures prévues par le code de la santé publique. Il appartient en outre à l'Agence, dans le respect des exigences notamment de rigueur scientifique qui s'imposent à elle, de procéder à cette évaluation avec une célérité proportionnée à l'ampleur de l'enjeu sanitaire auquel le médicament concerné est susceptible de répondre.

5. Il résulte de l'instruction que l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a décidé de procéder, sur le fondement des dispositions précitées, à l'évaluation de l'efficacité et de la sécurité présumées de l'ivermectine pour la lutte contre la Covid-19 en vue, le cas échéant, d'adopter une RTU en ce sens. Le représentant de l'Agence a en outre indiqué à l'audience que cette évaluation serait menée dans les meilleurs délais. Or, si le juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, peut ordonner, sous réserve que la condition particulière d'urgence requise par ces dispositions soit remplie, toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale en cas d'atteinte grave et manifestement illégale à une telle liberté, il lui appartient de constater qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande dont il est saisi lorsque, les mesures nécessaires ayant été prises, cette demande a perdu son objet. Par suite, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande faite par le Syndicat des médecins d'Aix et Région et autres tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé d'évaluer la pertinence d'émettre une recommandation temporaire d'utilisation pour l'ivermectine dans le cadre de la lutte contre la Covid-19, ni sur les conclusions dirigées aux mêmes fins adressées au ministre de la santé, ni non plus sur celles tendant à la communication, à ces seules et mêmes fins, de certains documents. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de rejeter les conclusions présentées par les mêmes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


O R D O N N E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête présentée par le Syndicat des médecins d'Aix et Région et autres en tant qu'elle vise à enjoindre à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé d'évaluer la pertinence d'émettre une recommandation temporaire d'utilisation pour l'ivermectine dans le cadre de la lutte contre la Covid-19 et à prononcer diverses injonctions aux mêmes fins.
Article 2 : Les conclusions présentées par le Syndicat des médecins d'Aix et Région et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au Syndicat des médecins d'Aix et Région, premier dénommé, pour l'ensemble des requérants, au ministre des solidarités et de la santé, à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et à la Haute Autorité de santé.