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Ariane Web: Conseil d'État 431615, lecture du 12 février 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:431615.20210212

Décision n° 431615
12 février 2021
Conseil d'État

N° 431615
ECLI:FR:CECHR:2021:431615.20210212
Inédit au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
Mme Rose-Marie Abel, rapporteur
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER ; SCP DE NERVO, POUPET ; SARL DIDIER-PINET, avocats


Lecture du vendredi 12 février 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

La société à responsabilité limitée (SARL) André Giraud et le groupement foncier agricole (GFA) Giraud Belivier ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté interministériel du 29 octobre 2012 portant homologation du classement des crus de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion Grand Cru ", d'annuler cet arrêté en tant que le Château-la-Tour-Pin-Figeac ne figure pas dans la liste établissant le classement des crus de cette appellation et d'ordonner à l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) ou à l'Etat de produire différences pièces et échantillons relatifs à l'organisation et au déroulement des opérations de classement.

Par un jugement n° 1300008 du 17 décembre 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leurs demandes.

Par un arrêt n° 16BX00706 du 12 avril 2019, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la société André Giraud et le GFA Giraud Belivier contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 12 juin et le 12 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société André Giraud et le GFA Giraud Belivier demandent au Conseil d'État :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le décret n° 2011-1779 du 5 décembre 2011 ;
- l'arrêté du 6 juin 2011 relatif au règlement concernant le classement des " premiers grands crus classés " et des " grands crus classés " de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru " ;
- le code de justice administrative et de décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société André Giraud et du GFA Giraud Belivier, à la SARL Didier, Pinet, avocat de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) et à la SCP de Nervo, Poupet, avocat du Conseil des vins de Saint-Emilion (CVSE) ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 29 janvier 2021, présentée par le Conseil des vins de Saint-Emilion ;



Considérant ce qui suit :

1. Le Conseil des vins de Saint-Emilion a intérêt au maintien de la décision attaquée. Son intervention, régulièrement présentée, est, dès lors, recevable.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société André Giraud, gérant de l'exploitation Château La Tour du Pin Figeac, et le GFA Giraud Belivier, propriétaire de cette exploitation, ont déposé auprès de l'INAO un dossier de candidature afin de bénéficier de la mention " grand cru classé " de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ". A l'issue d'un premier examen de leur candidature par la commission de classement des crus classés de l'appellation, l'INAO les a informés le 7 juin 2012 que celle-ci n'avait pas été retenue. La société André Giraud et le GFA Giraud Belivier ont sollicité le 20 juin 2012 un nouvel examen de leur dossier. A l'issue de ce second examen, la commission de classement a de nouveau écarté leur candidature et a proposé, le 5 septembre 2012, au comité national de l'INAO une liste de soixante-quatre crus admis à la mention " grand cru classé ", sur laquelle ne figurait pas Château La Tour du Pin Figeac. Après son approbation par le comité national de l'INAO, cette liste a été homologuée par un arrêté du 29 octobre 2012 du ministre de l'agriculture et de l'alimentation et du ministre de l'économie et des finances. La société André Giraud et le GFA Giraud Belivier ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler cet arrêté et d'ordonner à l'INAO ou à l'Etat de produire différentes pièces et échantillons relatifs à l'organisation et au déroulement des opérations de classement. Par un jugement du 17 décembre 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande. La société André Giraud et le GFA Giraud Belivier se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 12 avril 2019 de la cour administrative d'appel de Bordeaux qui a rejeté l'appel qu'ils ont formé contre ce jugement.

3. Aux termes de l'article XII du cahier des charges annexé au du décret du 5 décembre 2011 relatif à l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru " : " L'utilisation des mentions " grand cru classé " ou " premier grand cru classé " est réservée aux exploitations viticoles ayant fait l'objet d'un classement officiel homologué par arrêté conjoint du ministre de l'agriculture et du ministre chargé de la consommation, sur proposition de l'Institut national de l'origine et de la qualité (...) ". Aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 6 juin 2011 relatif au règlement concernant le classement des " premiers grands crus classés " et des " grands crus classés " de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru " : " Une commission de sept membres dite " commission de classement des crus classés de l'appellation Saint-Emilion grand cru " est nommée par le comité national des appellations d'origine relatives aux vins et aux boissons alcoolisées, et des eaux-de-vie de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO), ou par délégation par sa commission permanente. Les membres composant cette commission sont soit des membres du comité national, soit des personnalités extérieures choisies en fonction de leur compétence. Cette commission est chargée d'organiser les travaux liés au classement et de proposer au comité national des appellations d'origine relatives aux vins et aux boissons alcoolisées, et des eaux-de-vie la liste des grands crus classés et des premiers grands crus classés en vue de son approbation par ledit comité, et avant homologation par arrêté conjoint des ministres chargés de l'agriculture et de la consommation (...) ". Aux termes de l'article 6 du même arrêté : " Les critères et pondérations retenus par la commission pour fixer la note des candidats sont les suivants : (...) Pour la mention " grand cru classé " : 1. Niveau de qualité et constance des vins appréciés par dégustation des échantillons (50 % de la note finale) ; 2. Notoriété appréciée au regard de la valorisation nationale ou internationale du vin de l'exploitation, de la mise en valeur du site, de la promotion et des modes de distribution (20 % de la note finale) ; 3. Caractérisation de l'exploitation appréciée à partir de l'assiette foncière, de l'homogénéité de ou des entités culturales et de l'analyse topographique et géo-pédologique (20 % de la note finale) ; 4. Conduite de l'exploitation tant sur le plan viticole que sur celui de l'oenologie appréciée en tenant compte de l'encépagement, de la structuration et de la conduite du vignoble, de la traçabilité parcellaire en vinification et des conditions de vinification et d'élevage (10 % de la note finale) ; Tout candidat dont la note finale est supérieure ou égale à 14 sur 20 est proposé au classement " grand cru classé (...) ". Aux termes de l'article 7 du même arrêté : " Les propositions de la commission de classement visée à l'article 2 sont adressées aux candidats par les services de l'INAO. Les candidats disposent d'un délai de quinze jours à compter de la notification pour solliciter un nouvel examen de leur dossier, sans toutefois que les vins ne soient dégustés une nouvelle fois. Ils peuvent, à leur demande, être entendus par la commission. / La commission de classement statue dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la réception de la demande de réexamen. / Les propositions finales de la commission de classement sont soumises au comité national des appellations d'origine relatives aux vins et aux boissons alcoolisées, et des eaux-de-vie, en vue de leur approbation. / La liste des grands crus classés et des premiers grands crus classés approuvée par ledit comité est transmise aux ministres chargés de l'agriculture et de la consommation en vue de son homologation par arrêté ". Il résulte de ces dispositions que les décisions relatives aux demandes de classement, qui sont des décisions individuelles, sont prises par la commission, le cas échéant après réexamen, lorsqu'il n'est pas fait droit aux demandes des candidats, et par l'arrêté du ministre de l'agriculture et du ministre chargé de la consommation homologuant la liste définitive approuvée par le comité national des appellations d'origine relatives aux vins et aux boissons alcoolisées et des eaux-de-vie de l'INAO, pour les candidats retenus. Le délai de recours contre ces décisions court, pour un demandeur qui conteste la décision rejetant sa candidature, à compter de la notification de la décision de la commission et, pour les tiers qui contestent des décisions de classement, à compter de la publication de l'arrêté d'homologation.

4. Pour faire droit aux fins de non-recevoir soulevées devant elle par l'INAO, la cour a jugé, d'une part, que les conclusions présentées par les requérants dans leur requête introductive d'instance enregistrée le 3 janvier 2013 au greffe du le tribunal administratif de Bordeaux tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 octobre 2012 étaient irrecevables, dès lors que cet arrêté ne comprenait que les décisions individuelles figurant sur la liste homologuée des crus classés de l'appellation d'origine contrôle " Saint-Emilion grand cru ", contre lesquelles ils ne justifiaient d'aucun intérêt à agir et, d'autre part, que leurs conclusions, présentées devant le même tribunal administratif dans un mémoire du 12 juin 2014, tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 octobre 2012 en tant que le Château La Tour du Pin Figeac ne figurait pas dans le classement homologué des crus de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru " étaient tardives, dès lors qu'elles étaient distinctes de leurs conclusions initiales et avaient été présentées plus de deux mois après la publication de cet arrêté.

5. Toutefois, il ressort des pièces de la procédure devant la cour que, eu égard aux moyens qu'ils soulevaient dans leur requête du 3 janvier 2013, les requérants devaient être regardés comme contestant, d'une part, le refus de retenir leur candidature, leurs conclusions sur ce point devant être regardées comme dirigées contre la décision de la commission du 5 septembre 2012, et comme contestant, d'autre part, les décisions de classement figurant dans l'arrêté du 29 octobre 2021.

6. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu'en jugeant que leurs conclusions dirigées contre le refus de classement qui leur avait été opposé étaient tardives, sans rechercher à quelle date la décision du 5 septembre 2012 leur avait été, le cas échéant, notifiée, la cour a commis une erreur de droit.

7. En second lieu, la société André Giraud et le GFA Giraud Belivier sont également fondés à soutenir que la cour a commis une erreur de droit en jugeant qu'ils n'avaient pas d'intérêt leur donnant qualité à agir contre les décisions individuelles figurant dans l'arrêté du 29 octobre 2012.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur pourvoi, que la société André Giraud et le GFA Giraud Belivier sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué.

9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat ni de l'INAO la somme que demandent la société André Giraud et le GFA Giraud Belivier au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention du Conseil des vins de Saint-Emilion est admise.
Article 2 : L'arrêt du 12 avril 2019 de la cour administrative de Bordeaux est annulé.
Article 3 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société André Giraud et le GFA Giraud Belivier au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SARL André Giraud, au groupement foncier agricole (GFA) Giraud Belivier, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et au ministre de l'économie, des finances et de la relance, à l'Institut national de l'origine et de la qualité et au Conseil des vins de Saint-Emilion.