Base de jurisprudence


Décision n° 435002
2 avril 2021
Conseil d'État

N° 435002
ECLI:FR:CECHR:2021:435002.20210402
Inédit au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Martin Guesdon, rapporteur
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public


Lecture du vendredi 2 avril 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 1er octobre 2019 et le 3 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Les Enfants A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2019 823 du 2 août 2019 relatif au contrôle de l'instruction dispensée dans la famille ou dans les établissements d'enseignement privés hors contrat et aux sanctions des manquements aux obligations relatives au contrôle de l'inscription ou de l'assiduité dans les établissements d'enseignement privés ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'éducation ;
- le décret n° 2011-184 du 15 février 2011 ;
- le décret n° 2018-406 du 29 mai 2018 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;



Considérant ce qui suit :

1. L'article 19 de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance a modifié l'article L. 131-10 du code de l'éducation afin de renforcer le contrôle de l'instruction dans les familles. Désormais, " L'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation doit au moins une fois par an (...) faire vérifier, d'une part, que l'instruction dispensée au même domicile l'est pour les enfants d'une seule famille et, d'autre part, que l'enseignement assuré est conforme au droit de l'enfant à l'instruction tel que défini à l'article L. 131-1-1 " et lorsque les résultats de ce contrôle " sont jugés insuffisants, les personnes responsables de l'enfant sont informées du délai au terme duquel un second contrôle est prévu et des insuffisances de l'enseignement dispensé auxquelles il convient de remédier (...) ". Pour l'application des dispositions de cet article, le décret du 2 août 2019 relatif au contrôle de l'instruction dispensée dans la famille ou dans les établissements d'enseignement privés hors contrat et aux sanctions des manquements aux obligations relatives au contrôle de l'inscription ou de l'assiduité dans les établissements d'enseignement privés a fixé, en son article 4, les modalités d'application de ces contrôles. Cet article, qui insère après l'article R. 131-14 du code de l'éducation les articles R. 131-15 à R. 131-16-4, prévoit la possibilité, dans certains cas, d'effectuer des contrôles inopinés. Eu égard aux moyens qu'elle soulève, les conclusions de l'association Les Enfants A... doivent être regardées comme tendant à l'annulation des seules dispositions relatives aux contrôles inopinés.

Sur la légalité externe :

2. Aux termes de l'article 1er du décret du 29 mai 2018 relatif à différents comités techniques et comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail placés auprès des ministres chargés de l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports, des affaires sociales, de la santé, du travail et de l'emploi : " (...) il est institué : / 1° Auprès du ministre chargé de l'éducation nationale, un comité technique ministériel, dénommé comité technique ministériel de l'éducation nationale, compétent pour examiner les questions intéressant les services centraux et les services déconcentrés relevant de l'éducation nationale à l'exception des services centraux et des services déconcentrés relevant de la jeunesse et de la vie associative, notamment de la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative ". Aux termes de l'article 34 du décret du 15 février 2011 relatif aux comités techniques dans les administrations et les établissements publics de l'Etat : " Les comités techniques sont consultés, dans les conditions et les limites précisées pour chaque catégorie de comité par les articles 35 et 36 sur les questions et projets de textes relatifs : 1° A l'organisation et au fonctionnement des administrations, établissements ou services ; (...) 4° Aux évolutions technologiques et de méthodes de travail des administrations, établissements ou services et à leur incidence sur les personnels ".

3. Les dispositions du décret du 15 février 2011 citées au point précédent imposent qu'un projet de texte soit soumis à l'avis préalable du comité technique compétent lorsque ce texte emporte des conséquences directes et significatives sur l'organisation ou le fonctionnement de l'administration, de l'établissement ou du service au titre duquel le comité technique a été créé.

4. Les dispositions litigieuses se bornent à fixer les modalités de contrôle de l'instruction dans les familles, laquelle ne concerne qu'un nombre très limité d'enfants en âge d'être scolarisés, et n'entraînent aucune modification significative de l'organisation ou du fonctionnement des services centraux ou déconcentrés de l'éducation nationale. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que le comité technique ministériel de l'éducation nationale a été consulté le 9 juillet 2019 sur le projet du décret attaqué. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait entaché d'irrégularité faute d'avoir été soumis à la consultation préalable du comité technique ministériel de l'éducation nationale ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité interne :

5. En premier lieu, aux termes du nouvel article R. 131-12 du code de l'éducation : " Pour les enfants qui reçoivent l'instruction dans la famille ou dans les établissements d'enseignement privés hors contrat, l'acquisition des connaissances et des compétences est progressive et continue dans chaque domaine de formation du socle commun de connaissances, de compétences et de culture (...). La progression retenue doit être compatible avec l'âge de l'enfant (...) tout en tenant compte des choix éducatifs effectués par les personnes responsables de l'enfant et de l'organisation pédagogique propre à chaque établissement ". Aux termes du nouvel article R. 131-15 du même code : " Lorsque le directeur académique des services de l'éducation nationale accuse réception de la déclaration d'instruction dans la famille par les personnes responsables de l'enfant conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 131-2, il les informe, sans délai, par lettre recommandée avec accusé de réception : / 1° Que leur déclaration emporte l'engagement de se soumettre aux contrôles prévus aux troisième et sixième alinéas de l'article L. 131-10 ; / 2° De l'objet et des modalités de ces contrôles qui peuvent être inopinés, sous réserve des dispositions du 2° de l'article R. 131-16-1 (...) ". L'article R. 131-16 du même code, créé par l'article 4 du décret contesté, prévoit par ailleurs que " Le directeur académique des services de l'éducation nationale fixe la date et le lieu du contrôle qui est organisé, en principe, au domicile où l'enfant est instruit ". L'article R. 131-16-1 du même code dispose désormais que : " Lorsque les résultats du contrôle sont jugés insuffisants, ce bilan : / 2° Rappelle aux personnes responsables de l'enfant qu'elles feront l'objet d'un second contrôle dans un délai qui ne peut être inférieur à un mois et précise les modalités de ce contrôle, qui ne peut être inopiné ". Aux termes du nouvel article R. 131-16-2 du même code: " Lorsque les personnes responsables de l'enfant ont été avisées, dans un délai ne pouvant être inférieur à un mois, de la date et du lieu du contrôle et qu'elles estiment qu'un motif légitime fait obstacle à son déroulement, elles en informent sans délai le directeur académique des services de l'éducation nationale qui apprécie le bien-fondé du motif invoqué. / Lorsque le motif opposé est légitime, le directeur académique des services de l'éducation nationale en informe les personnes responsables de l'enfant et organise à nouveau le contrôle dans un délai qui ne peut être inférieur à une semaine. / Lorsque le motif opposé n'est pas légitime, il informe les personnes responsables de l'enfant du maintien du contrôle ". Par ailleurs, l'article R. 131-16-3 du même code prévoit désormais que " Lorsque le contrôle est intervenu de manière inopinée et que les personnes responsables de l'enfant ont refusé d'y soumettre ce dernier, le directeur académique des services de l'éducation nationale les invite, par lettre recommandée avec accusé de réception, à justifier du motif de leur refus dans un délai qui ne peut être supérieur à quinze jours. / Lorsque le motif opposé est légitime, il en informe les personnes responsables de l'enfant et organise à nouveau le contrôle ". Enfin, le nouvel article R. 131-16-4 du même code dispose : " En cas de refus de contrôle sans motif légitime, le directeur académique des services de l'éducation nationale rappelle aux personnes responsables de l'enfant l'obligation de se soumettre aux contrôles prévus à l'article L. 131-10 ainsi que la mise en demeure et les sanctions attachées à son inexécution dont elles sont susceptibles de faire l'objet en cas de second refus sans motif légitime ".

6. En premier lieu, si l'association requérante soutient que les dispositions attaquées méconnaissent la liberté de l'enseignement en raison du caractère éventuellement inopiné du contrôle de l'instruction dans les familles, ce caractère ne remet pas en cause la possibilité pour les personnes responsables de l'enfant de procéder elles-mêmes à son instruction. Le moyen tiré de la méconnaissance de la liberté de l'enseignement ne peut, dès lors, en tout état de cause, qu'être écarté.

7. En deuxième lieu, l'association requérante soutient que l'instauration de contrôles inopinés porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, ces contrôles, qui constituent une des modalités du contrôle annuel de l'instruction dans les familles, prévu au troisième alinéa de l'article L. 131-10 du code de l'éducation, ont pour objet légitime de s'assurer qu'il n'est pas porté atteinte au droit à l'instruction de l'enfant et que l'instruction dispensée au même domicile l'est pour les enfants d'une seule famille. Par ailleurs, des garanties suffisantes d'information préalable portant sur les modalités précises de ce type de contrôle sont apportées aux personnes responsables de l'enfant aux différentes étapes de la procédure. Dès lors, la possibilité d'effectuer un contrôle inopiné apparaît proportionnée aux motifs d'intérêt général poursuivis.

8. En dernier lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un comme dans l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit.

9. L'association requérante soutient que le dispositif institué par le décret attaqué créerait une rupture d'égalité, dans l'hypothèse d'un refus légitime opposé à un contrôle par les personnes responsables de l'enfant, selon que ces personnes opposent un refus dans le cadre d'un contrôle annoncé ou d'un contrôle inopiné, dès lors que l'administration ne peut organiser, dans la première hypothèse, un nouveau contrôle que dans un délai qui ne peut être inférieur à une semaine, alors que, pour les contrôles inopinés, elle peut organiser sans délai un nouveau contrôle. Toutefois, si les personnes responsables de l'enfant, préalablement informées du contrôle et opposant un motif légitime de refus, disposent d'un délai minimum d'une semaine, après acceptation du motif de refus par l'administration, avant qu'un nouveau contrôle soit organisé, celles qui sont soumises à un contrôle inopiné disposent d'un délai de quinze jours, après réception de la demande de justification du refus que leur adresse l'administration, pour justifier ce refus, un nouveau contrôle inopiné pouvant être organisé dès qu'elles ont été informées de l'acceptation de leur motif de refus. Dès lors, il apparaît que la différence de traitement est en rapport avec les caractéristiques différentes des procédures en cause et n'est pas manifestement disproportionnée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité ne peut qu'être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête présentée par l'association Les Enfants A... doit être rejetée. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association Les Enfants A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Les Enfants A... et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Copie en sera adressée au Premier ministre.