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Ariane Web: Conseil d'État 450307, lecture du 14 avril 2021, ECLI:FR:CEORD:2021:450307.20210414
Decision n° 450307
Conseil d'État

N° 450307
ECLI:FR:CEORD:2021:450307.20210414
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés


Lecture du mercredi 14 avril 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 2, 5, 12 et 15 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Civitas demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports sur sa demande du 12 janvier 2021 tendant à la prise en compte des évaluations de l'enseignement optionnel " Langues et cultures de l'Antiquité " pour les élèves de l'enseignement privé hors contrat lors de la session 2021 du baccalauréat ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports d'appliquer à ces candidats les modalités d'évaluation applicables pour cette épreuve optionnelle aux élèves de l'enseignement public et de l'enseignement privé sous contrat en vertu de l'arrêté du 31 décembre 2018 modifiant l'arrêté du 16 juillet 2018 relatif aux épreuves du baccalauréat général à compter de la session de 2021 ou, à titre subsidiaire, d'organiser une épreuve sur table ou toute autre modalité d'évaluation pour évaluer dans le cadre de la session 2021 du baccalauréat les candidats issus de l'enseignement privé hors contrat qui ont suivi l'enseignement optionnel " Langues et cultures de l'Antiquité " ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- elle justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, eu égard à son objet social tel que défini par ses statuts dans leur rédaction adoptée lors de son assemblée générale extraordinaire du 4 janvier 2021 ;
- la condition de l'urgence est satisfaite dès lors que les évaluations des épreuves de spécialités pour les candidats à la session 2021 du baccalauréat devaient se dérouler du 15 au 17 mars 2021 et que les élèves de l'enseignement hors contrat ne connaissent pas, à l'heure actuelle, les modalités selon lesquelles ils seront évalués ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision de refus contestée ;
- cette décision est entachée d'illégalité dès lors qu'elle crée une différence de traitement injustifiée entre l'enseignement public et privé sous contrat, d'une part, et l'enseignement privé hors contrat, d'autre part ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à la liberté de l'enseignement, à l'intérêt supérieur de l'enfant, aux libertés d'expression et de conscience et au droit de chaque candidat d'être traité de la même manière dans les concours publics.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mars 2021, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun des moyens de la requête n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'éducation ;
- le décret n° 2018-614 du 16 juillet 2018 ;
- l'arrêté du 16 juillet 2018 relatif aux modalités d'organisation du contrôle continu pour l'évaluation des enseignements dispensés dans les classes conduisant au baccalauréat général et technologique ;
- l'arrêté du 31 décembre 2018 modifiant l'arrêté du 16 juillet 2018 relatif aux épreuves du baccalauréat général à compter de la session de 2021
- le code de justice administrative ;



Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Civitas, et d'autre part, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 15 mars 2021, à 11 heures :

- le représentant de la requérante ;

- les représentants du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 16 mars 2021 à 12 heures ;


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. L'association Civitas demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports sur sa demande du 12 janvier 2021 tendant à la prise en compte des évaluations des enseignements optionnels, et en particulier l'enseignement optionnel " Langues et cultures de l'Antiquité ", pour les élèves de l'enseignement privé hors contrat pour la session 2021 du baccalauréat et, d'autre part, d'enjoindre au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports d'appliquer à ces candidats les modalités d'évaluation prévues pour cette épreuve optionnelle aux élèves de l'enseignement public et de l'enseignement privé sous contrat en vertu de l'arrêté du 31 décembre 2018 modifiant l'arrêté du 16 juillet 2018 relatif aux épreuves du baccalauréat général à compter de la session de 2021 ou, à titre subsidiaire, d'organiser une épreuve sur table ou toute autre modalité d'évaluation pour cet enseignement optionnel.

Sur le cadre juridique du litige :

3. L'article 20 du décret du 16 juillet 2018 relatif aux enseignements conduisant au baccalauréat général et aux formations technologiques conduisant au baccalauréat technologique a modifié l'article D. 334-4 du code de l'éducation en disposant, pour ce qui est du baccalauréat général, que : " L'évaluation des enseignements obligatoires repose sur des épreuves terminales et sur des évaluations de contrôle continu tout au long du cycle terminal " et qu'" Un arrêté du ministre chargé de l'éducation nationale définit les modalités d'organisation du contrôle continu pour le baccalauréat général et les conditions dans lesquelles est attribuée une note de contrôle continu aux candidats qui ne suivent les cours d'aucun établissement, aux candidats inscrits dans un établissement d'enseignement privé hors contrat, aux candidats scolarisés au Centre national d'enseignement à distance et aux sportifs de haut niveau (...) ".

4. Pour l'application de ces dispositions, l'arrêté du 16 juillet 2018 relatif aux modalités d'organisation du contrôle continu pour l'évaluation des enseignements dispensés dans les classes conduisant au baccalauréat général et technologique a fixé, par ses articles 1ers à 8, les modalités d'organisation de ce contrôle pour les candidats scolarisés dans les établissements publics d'enseignement et dans les établissements d'enseignement privés sous contrat. Les articles 1er et 2 de l'arrêté du 16 juillet 2018 prévoient, d'une part, que les candidats scolarisés dans les établissements d'enseignement publics ou privés sous contrat subissent trois sessions d'épreuves de contrôle continu, deux en classe de première et une en classe de terminale et, d'autre part, que la note de contrôle continu attribuée aux candidats au baccalauréat qui sont scolarisés dans les établissements publics d'enseignement et dans les établissements d'enseignement privés sous contrat compte pour quarante pour cent des coefficients attribués pour l'examen et est fixée, pour une part de trente pour cent, sur la base de trois sessions d'épreuves dites " évaluations communes " et pour une part de dix pour cent, sur la base de l'évaluation des résultats de l'élève au cours du cycle terminal, telle qu'elle résulte des notes attribuées par ses professeurs. Le I de l'article 9 de de l'arrêté du 16 juillet 2018 prévoit en revanche que, pour les candidats scolarisés dans les établissements privés hors contrat, ceux-ci sont convoqués à une évaluation ponctuelle pour l'enseignement de spécialité ne donnant pas lieu à une épreuve terminale et à une évaluation ponctuelle pour chacun des autres enseignements faisant l'objet d'évaluations communes de contrôle continu, la note de contrôle continu mentionnée à l'article 1er étant fixée, conformément au II de l'article 9, en tenant compte des notes obtenues aux évaluations ponctuelles prévues au I de ce même article. Ce même arrêté n'a en revanche pas prévu de modalités d'évaluation pour les enseignements optionnels choisis par les candidats scolarisés dans ces mêmes établissements.

5. Par ailleurs, l'arrêté du 11 octobre 2019 a modifié l'article 2 et le I de l'article 9 de l'arrêté du 16 juillet 2018 en reportant du deuxième au troisième trimestre de l'année de terminale la série d'épreuves communes de contrôle continu passées en classe de terminale, tant par les candidats scolarisés dans l'enseignement public et dans l'enseignement privé sous contrat que pour les autres candidats.

6. Enfin, l'arrêté du 31 décembre 2018 modifiant l'arrêté du 16 juillet 2018 relatif aux épreuves du baccalauréat général à compter de la session de 2021 a institué à son article 2, qui énonce la liste et le coefficient des épreuves du baccalauréat général en contrôle continu, un mécanisme de bonification pour les candidats qui choisissent l'enseignement optionnel de " Langues et cultures de l'Antiquité " en ce qu'il prévoit que les points excédant 10 sur 20 obtenus le cas échant dans le cadre de l'épreuve sanctionnant cette option sont retenus et multipliés par un coefficient 3 et s'ajoutent à la somme totale des points obtenus par le candidat à l'examen du baccalauréat.

Sur la demande en référé :

7. Il résulte de l'ensemble des écritures de l'association Civitas et des indications fournies lors de l'audience de référé que les conclusions de sa demande en référé doivent être regardées comme tendant à la suspension de la décision implicite par laquelle le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports a refusé de prendre un acte règlementaire pour organiser une épreuve destinée à évaluer les candidats au baccalauréat issus de l'enseignement privé hors contrat ayant choisi l'enseignement optionnel " Langues et cultures de l'Antiquité " en classe de terminale. Il résulte de ces mêmes écritures et des débats au cours de l'audience que l'association requérante fait principalement grief aux auteurs de l'arrêté du 16 juillet 2018 relatif aux modalités d'organisation du contrôle continu pour l'évaluation des enseignements dispensés dans les classes conduisant au baccalauréat général et technologique de ne pas avoir prévu d'épreuve spécifique destinée à évaluer, au titre de cette option, les élèves ayant suivi leur scolarité dans un établissement privé hors contrat.

Sur le doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées :

8. L'article L. 442-2 du code de l'éducation dispose que : " (...) le contrôle de l'Etat sur les établissements d'enseignement privés qui ne sont pas liés à l'Etat par contrat se limite aux titres exigés des directeurs et des enseignants, à l'obligation scolaire, à l'instruction obligatoire, au respect de l'ordre public, à la prévention sanitaire et sociale et à la protection de l'enfance et de la jeunesse ". Compte tenu de la liberté ainsi reconnue à ces établissements en matière de programmes d'enseignement et de déroulement de la scolarité pour l'enseignement du second degré, la faculté de prévoir des modalités distinctes de fixation de la note de contrôle continu du baccalauréat, d'une part, pour les candidats inscrits dans des établissements publics et des établissements privés sous contrat, d'autre part, pour ceux qui sont inscrits dans des établissements privés hors contrat, qui résulte des dispositions de l'article D. 334-4 du code de l'éducation, ne méconnaît ni la liberté de l'enseignement, ni la liberté d'expression et de conscience, ni l'intérêt supérieur de l'enfant.

9. Toutefois, si le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes, la différence de traitement qui en résulte doit être en rapport direct avec l'objet du texte qui l'établit. Or, il résulte de l'instruction et des débats lors de l'audience, d'une part, qu'en l'état actuel des textes applicables, seuls les candidats au baccalauréat scolarisés dans les établissements publics d'enseignement et dans les établissements privés sous contrat font l'objet d'une évaluation au titre de l'enseignement optionnel " Langues et cultures de l'Antiquité " et, d'autre part, que le ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports n'envisage pas d'organiser une telle épreuve pour les élèves de l'enseignement privé hors contrat lors de la session 2021 du baccalauréat. Il s'ensuit que seuls les candidats au baccalauréat issus des établissements publics d'enseignement et des établissements privés sous contrat seront, en cas d'obtention d'une note supérieure à dix sur vingt, en mesure de bénéficier de l'attribution de points supplémentaires en application de l'article 1er de l'arrêté du 31 décembre 2018. Eu égard à l'objectif poursuivi par les auteurs de cet arrêté en instituant cette bonification, consistant à valoriser la poursuite de l'apprentissage du latin et du grec ancien par le plus grand nombre d'élèves jusqu'en classe de terminale, le bénéfice de l'avantage ainsi institué ne saurait dépendre du statut de l'établissement dans lequel les candidats au baccalauréat ayant choisi cet enseignement optionnel ont été scolarisés. Par suite, la différence de traitement qui en résulte entre les élèves scolarisés dans les établissements publics et dans les établissements privés sous contrat, d'une part, et les élèves scolarisés dans les établissements privés hors contrat, d'autre part, qui est sans rapport direct avec l'objet de cette mesure, est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

Sur la condition d'urgence :

10. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications apportées par le requérant, si les effets de l'acte en litige sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

11. Il résulte de l'instruction que la décision contestée aura pour effet de priver les candidats issus de l'enseignement privé hors contrat de la possibilité d'être évalués au titre de l'enseignement optionnel " Langues et cultures de l'Antiquité " et de bénéficier des avantages liés au choix de cette option. Dans ces conditions, et eu égard à la proximité des épreuves de la session 2021 du baccalauréat, la condition d'urgence prévue à l'article L. 521 1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie et justifie que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision contestée soit suspendue.

12. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens qu'elle invoque, l'association requérante est fondée à demander la suspension de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports sur sa demande tendant à l'organisation d'une épreuve destinée à évaluer les candidats au baccalauréat issus de l'enseignement privé hors contrat au titre de l'enseignement optionnel " Langues et cultures de l'Antiquité ". Il y a lieu, par voie de conséquence, d'enjoindre au ministre de prévoir, en vue de la session 2021 du baccalauréat, l'organisation d'une épreuve sur table ou toute autre modalité d'évaluation pour les élèves des établissements concernés ayant choisi cet enseignement optionnel.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à l'association requérante, au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.


O R D O N N E :
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Article 1er : La décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports sur la demande de l'association Civitas tendant à l'organisation d'une épreuve destinée à évaluer les candidats au baccalauréat issus de l'enseignement privé hors contrat ayant choisi l'enseignement optionnel " Langues et cultures de l'Antiquité " est suspendue.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports d'organiser une épreuve dans le cadre de la session 2021 du baccalauréat aux fins d'évaluer les candidats au baccalauréat issus de l'enseignement privé hors contrat au titre l'enseignement optionnel " Langues et cultures de l'Antiquité ".
Article 3 : L'Etat versera à l'association Civitas une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Civitas et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.