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Ariane Web: Conseil d'État 429476, lecture du 19 mai 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:429476.20210519

Décision n° 429476
19 mai 2021
Conseil d'État

N° 429476
ECLI:FR:CECHR:2021:429476.20210519
Inédit au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Olivier Guiard, rapporteur
Mme Céline Guibé, rapporteur public
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du mercredi 19 mai 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société à responsabilité limitée (SARL) MC2D Investissement a demandé au tribunal administratif de Rouen la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2010 et 2011, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement nos 1302643, 1306248 du 31 mai 2016, le tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 16DA01304 du 5 février 2019, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par la société contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 avril, 5 juillet 2019 et le 15 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Comsa, venant aux droits de la société MC2D Investissement, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Comsa ;



Considérant ce qui suit :

1. La société MC2D Investissement, aux droits de laquelle vient la société Comsa, a été créée le 9 janvier 2010 et a acquis, le 27 janvier suivant, les titres de la société d'investissements et de commerce (SIC), qui détenait elle-même la quasi-totalité du capital des sociétés Entreprise Enault et Etudes et Réalisations de Travaux (ERT). Pour financer cette acquisition, la société MC2D a eu recours à des emprunts bancaires à hauteur d'une somme de 6 000 000 d'euros et a bénéficié, le jour de l'acquisition, de la distribution d'un dividende d'un montant de 5 540 400 euros reçu de la société SIC. En application de l'article 216 du code général des impôts, la société a retranché de son bénéfice net le dividende ainsi perçu et, ayant clôturé au 31 janvier 2010 son premier exercice, au cours duquel elle n'avait enregistré aucune charge, a évalué à un montant nul, sur le fondement du second alinéa du I du même article, la quote-part de frais et charges à défalquer du montant de ce dividende. Par une proposition de rectification du 9 juillet 2012, l'administration a informé la société MC2D Investissement qu'elle entendait regarder, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, la date du 30 juin 2010 comme la date de clôture réelle de son premier exercice, de sorte que la quote-part pour frais et charges à réintégrer dans son résultat imposable a été réévaluée à la somme de 139 216 euros. Par un jugement du 31 mai 2016, le tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande de la société MC2D Investissement tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des majorations correspondantes mises à sa charge au titre de ses exercices clos les 30 juin 2010 et 30 juin 2011. La société Comsa doit être regardée, eu égard aux moyens qu'elle soulève, comme demandant l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 5 février 2019, en tant qu'il rejette les conclusions de la société MC2D Investissement dirigées contre les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et les majorations correspondantes auxquelles cette société a été assujettie au titre de son exercice clos le 30 juin 2010.

2. Aux termes du I de l'article 216 du code général des impôts, dans sa version applicable au litige : " Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges. / La quote-part de frais et charges visée au premier alinéa est fixée uniformément à 5 % du produit total des participations, crédit d'impôt compris. Cette quote-part ne peut toutefois excéder, pour chaque période d'imposition, le montant total des frais et charges de toute nature exposés par la société participante au cours de la même période. "

3. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use de la faculté qu'elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la délibération de l'assemblée générale extraordinaire des associés de la société MC2D Investissement en date du 30 janvier 2010 a eu pour effet de dissocier la date de clôture du premier exercice de cette société, fixée par ses statuts au 31 janvier, de celle de la clôture des exercices des sociétés SIC, Entreprise Enault et ERT, reportée au 30 juin 2010, ainsi que de celle de la prise d'effet de l'intégration fiscale prévue avec ces sociétés, reportée au 1er juillet 2010, alors que, d'une part, les sociétés d'un groupe fiscalement intégré doivent ouvrir et clore leurs exercices aux mêmes dates en vertu de l'article 223 A du code général des impôts et que, d'autre part, la société MC2D Investissement avait initialement choisi de faire coïncider la clôture de son premier exercice avec celle des exercices de ses futures filiales, comme avec la prise d'effet de l'intégration fiscale fixée à l'origine au 1er février 2010. Il ressort également des termes de la délibération du 30 janvier 2010 que tout en maintenant, sans explication, la première clôture des comptes de l'entreprise au 31 janvier 2010, les associés de la société MC2D Investissement indiquaient qu'ils modifieraient ultérieurement la date de clôture de l'exercice social suivant pour la faire coïncider avec l'intégration fiscale reportée au 1er juillet 2010. En maintenant ainsi artificiellement la clôture du premier exercice au 31 janvier 2010, la cour ayant relevé que ce maintien ne concernait que la société MC2D Investissement et que la durée de ce premier exercice se trouvait dès lors inférieure à trente jours, la délibération du 30 janvier 2010 a eu pour effet de modifier la situation juridique préexistante, caractérisée par une coïncidence entre la clôture et l'ouverture des exercices de l'ensemble des sociétés composant la future intégration, ainsi que la charge fiscale de la société MC2D Investissement, laquelle aurait été équivalente, en droits, à celle résultant de la rectification litigieuse si la société n'avait pas clôturé un premier exercice dépourvu de substance le 31 janvier 2010 et avait repoussé cette clôture au 30 juin suivant. Il suit de là qu'en jugeant que la délibération du 30 janvier 2010, qui ne présentait pas un simple caractère confirmatif, avait pu être écartée par l'administration en application des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, la cour, qui n'avait pas à rechercher si la clôture fixée au 31 janvier par les statuts de la société était également constitutive d'un abus de droit dès lors que le caractère abusif du maintien de cette clôture ne laissait subsister que la clôture intervenue le 30 juin 2010, n'a entaché son arrêt, ni d'une erreur de droit, ni d'une erreur de qualification juridique des faits.

5. En deuxième lieu, s'il n'appartient pas à l'administration de se prononcer sur l'opportunité des choix arrêtés par une entreprise pour sa gestion, aucun élément explicatif n'était apporté devant les juges du fond pour justifier le maintien de la clôture du premier exercice de la société MC2D Investissement au 31 janvier 2010, de sorte que la cour, qui a relevé que cette décision s'inscrivait dans le contexte d'un report de la clôture des exercices comptables des filiales de la société tête de groupe, ainsi que de la prise d'effet de l'intégration fiscale envisagée avec ces sociétés, n'a pas porté d'appréciation sur l'opportunité de ce choix. Par ailleurs, il ne ressort pas de ses termes que l'arrêt attaqué serait fondé sur une obligation à laquelle la société requérante aurait été tenue d'arrêter la clôture de son premier exercice à une date conduisant à accroitre sa charge fiscale. Ainsi, les moyens tirés de ce que la cour aurait commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits en retenant l'existence d'un abus de droit alors qu'une entreprise n'est jamais obligée d'opter pour un acte de gestion aggravant sa charge fiscale et que l'administration est tenue par un principe de non-immixtion, doivent être écartés.

6. Enfin, il résulte des dispositions précitées de l'article 216 du code général des impôts que ces dispositions avaient pour objet de limiter l'assiette de la déduction des produits de participation résultant de l'application du régime mère-fille à hauteur d'une quote-part de frais et charges réputés avoir été exposés pour leur acquisition, laquelle était fixée forfaitairement à 5 % du montant de ces produits, sans que cette quote-part ne puisse toutefois excéder le montant total des frais et charges effectivement supportés par la société bénéficiaire au cours du même exercice. Par suite, en relevant que, par sa décision de maintenir la date de clôture de son premier exercice au 31 janvier 2010, la société MC2D Investissement avait pu déduire de son résultat la somme de 5 540 400 euros correspondant au dividende reçu de la société SCI et, dans le même temps, ne réintégrer dans ses résultats aucune quote-part dès lors que l'ensemble des charges correspondantes avaient été comptabilisées au cours de son second exercice clos le 30 juin 2010, puis en déduisant de ces constatations qu'elle a confrontées à l'intention de l'auteur de l'article 216 du code général des impôts, que le maintien d'un premier exercice comptable clos le 31 janvier 2010 procédait de la recherche du bénéfice d'une application littérale de ce texte, contraire à l'objectif du legislateur et révélatrice d'un abus de droit, la cour n'a pas commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifiés les faits de l'espèce.

7. Il résulte de ce qui précède que la société Comsa n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 5 février 2019. Par suite les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.




D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Comsa, venant aux droits de la société MC2D Investissement, est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Comsa et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


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