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Ariane Web: Conseil d'État 433970, lecture du 28 mai 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:433970.20210528

Décision n° 433970
28 mai 2021
Conseil d'État

N° 433970
ECLI:FR:CECHR:2021:433970.20210528
Publié au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Stéphanie Vera, rapporteur
M. Guillaume Odinet, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du vendredi 28 mai 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 11 janvier 2019 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a mis fin au bénéfice de la protection subsidiaire qui lui avait été accordée le 2 octobre 2008.

Par une décision n° 19007819 du 27 juin 2019, la Cour nationale du droit d'asile a fait droit à sa demande et l'a maintenu dans le bénéfice de la protection subsidiaire.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 août et 27 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'OFPRA demande au Conseil d'Etat d'annuler cette décision et de renvoyer l'affaire devant la Cour nationale du droit d'asile.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;
- la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 23 mai 2019, Mohammed Bilali (C-720/17) ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes en service extraordinaire ;

- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions à la SCP Foussard, Froger avocat de l'office français de protection des réfugiés et apatrides ;



Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 11 janvier 2019, le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a mis fin à la protection subsidiaire qui avait été accordée à M. B..., ressortissant de la République démocratique du Congo, par une décision du 2 octobre 2008 de la Cour nationale du droit d'asile. Par une décision du 27 juin 2019, contre laquelle l'Office se pourvoit en cassation, la Cour nationale du droit d'asile a annulé cette décision et maintenu à M. B... le bénéfice de la protection subsidiaire.

2. Aux termes de l'article 1er A 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951, dans sa rédaction résultant du protocole de New York du 31 janvier 1967, la qualité de réfugié est reconnue à " toute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ". Aux termes de l'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devenu l'article L. 512-1 : " Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié et pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'elle courrait dans son pays un risque réel de subir l'une des atteintes graves suivantes : / a) La peine de mort ou une exécution ; / b) La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; / c) S'agissant d'un civil, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d'une situation de conflit armé interne ou international ". L'article L. 712-3 du même code, devenu l'article L. 512-3, dispose que : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides met fin, de sa propre initiative ou à la demande de l'autorité administrative, au bénéfice de la protection subsidiaire lorsque les circonstances ayant justifié l'octroi de cette protection ont cessé d'exister ou ont connu un changement suffisamment significatif et durable pour que celle-ci ne soit plus requise. / Par dérogation au premier alinéa, la protection subsidiaire est maintenue lorsque son bénéficiaire justifie de raisons impérieuses tenant à des atteintes graves antérieures pour refuser de se réclamer de la protection de son pays. / L'office met également fin à tout moment, de sa propre initiative ou à la demande de l'autorité administrative, au bénéfice de la protection subsidiaire lorsque : / 1° Son bénéficiaire aurait dû être exclu de cette protection pour l'un des motifs prévus à l'article L. 712-2 ; / 2° La décision d'octroi de cette protection a résulté d'une fraude ; / 3° Son bénéficiaire doit, à raison de faits commis après l'octroi de la protection, en être exclu pour l'un des motifs prévus au même article L. 712-2 ".

3. D'une part, selon l'article 19, paragraphe 1, de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, " (...) les États membres révoquent le statut conféré par la protection subsidiaire qui a été accordé par une autorité gouvernementale, administrative, judiciaire ou quasi judiciaire à un ressortissant d'un pays tiers ou à un apatride, y mettent fin ou refusent de le renouveler, lorsque l'intéressé a cessé d'être une personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire en vertu de l'article 16 ". Aux termes de l'article 16, paragraphe 1, de cette même directive : " Un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride cesse d'être une personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire lorsque les circonstances qui ont justifié l'octroi de cette protection cessent d'exister ou ont évolué dans une mesure telle que cette protection n'est plus nécessaire ". Il résulte du paragraphe 1 de l'article 19 de la directive 2011/95/UE, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l'article 16 de celle-ci, tels qu'interprétés par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 23 mai 2019, Mohammed Bilali (C-720/17), qu'il convient de mettre fin au statut conféré par la protection subsidiaire lorsqu'il apparaît que ce statut a été octroyé sans que les conditions pour cet octroi soient réunies, et bien qu'il ne puisse être reproché à la personne concernée d'avoir induit en erreur les autorités compétentes à cette occasion.

4. Par ailleurs, il appartient à la Cour nationale du droit d'asile, qui est saisie d'un recours de plein contentieux, de se prononcer elle-même sur le droit de l'intéressé à la qualité de réfugié ou au bénéfice de la protection subsidiaire d'après l'ensemble des circonstances de fait et de droit qui ressortent du dossier soumis à son examen et des débats à l'audience. Lorsque lui est déférée une décision par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a, en application des dispositions précitées de l'article L. 712-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mis fin à la protection subsidiaire dont bénéficiait un étranger, et qu'elle juge infondé le motif pour lequel le directeur général de l'Office a décidé de mettre fin à cette protection, il appartient à la cour de se prononcer sur le droit au maintien du bénéfice de la protection subsidiaire en examinant, au vu du dossier et des débats à l'audience, si l'intéressé relève de l'une des autres situations mentionnées à l'article L. 712-3 ou si, comme cela a été dit au point 3, il apparaît que ce statut lui a été octroyé sans que les conditions pour cet octroi soient réunies.

5. D'autre part, si le principe de l'unité de famille est au nombre des principes généraux du droit applicables aux réfugiés, tels qu'ils résultent notamment de la convention de Genève, le droit des réfugiés résultant de cette convention n'est pas applicable aux personnes relevant du régime de la protection subsidiaire, défini tant par la directive 2011/95/UE que par les dispositions de droit interne qui en assurent la transposition.

6. Pour maintenir à M. B... le bénéfice de la protection subsidiaire, la Cour nationale du droit d'asile s'est fondée sur ce que, par une précédente décision de la Cour, il s'était vu reconnaître un tel bénéfice par application du principe de l'unité de famille, en raison de son concubinage avec une compatriote à qui la protection subsidiaire avait été octroyée, et que compte tenu de la continuité de ce concubinage, la protection au titre de ce principe demeurait requise. En statuant ainsi, alors que comme il a été dit au point précédent, le principe de l'unité de la famille n'est pas applicable aux personnes relevant du régime de la protection subsidiaire et ne pouvait donc justifier légalement le maintien de la protection subsidiaire ni d'ailleurs son octroi, la Cour a méconnu le champ d'application de la loi, quand bien même la reconnaissance de ce statut résultait d'une précédente décision juridictionnelle revêtue de l'autorité de chose jugée, et a ainsi entaché sa décision d'erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le moyen du pourvoi, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides est fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque.



D E C I D E :
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Article 1er : La décision de la Cour nationale du droit d'asile du 27 juin 2019 est annulée.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la Cour nationale du droit d'asile.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à M. A... B....


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