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Décision n° 445567
28 mai 2021
Conseil d'État

N° 445567
ECLI:FR:CECHS:2021:445567.20210528
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
Mme Catherine Moreau, rapporteur
M. Olivier Fuchs, rapporteur public


Lecture du vendredi 28 mai 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme B... F... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 dans la commune d'Alixan (Drôme) pour la désignation des conseillers municipaux et communautaires de cette commune. Par un jugement n° 2001859 du 24 septembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les opérations électorales.

Par une requête enregistrée le 21 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) statuant en appel, de rejeter la protestation de Mme F... ;

3°) de mettre à la charge de Mme F..., la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code électoral ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme D... A..., conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 2 mai 2021, présentée par Mme F....



Considérant ce qui suit :

1. A l'issue des opérations électorales auxquelles il a été procédé le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et conseillers communautaires de la commune d'Alixan (Drôme), la liste " Ensemble soyons dynamiques ", conduite par M. E... C..., a obtenu 495 voix, soit 51,08 % des suffrages exprimés, et la liste " Engageons-nous pour demain ", conduite par Mme F..., maire sortante, a obtenu 474 voix, soit 48,92 % des suffrages exprimés

2. La requête de M. C... est dirigée contre le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 24 septembre 2020 qui a fait droit à la protestation présentée par Mme F... et annulé les opérations électorales du 15 mars 2020.

Sur les griefs retenus par le tribunal administratif :

3. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 52-1 du code électoral : " Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, l'utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle est interdite ". Aux termes de l'article L. 48-1 du même code : " Les interdictions et restrictions prévues par le présent code en matière de propagande électorale sont applicables à tout message ayant le caractère de propagande électorale diffusé par tout moyen de communication au public par voie électronique ".

4. Il résulte de l'instruction que l'une des colistières de M. C... chargée de la communication de sa liste a utilisé un procédé de publicité commerciale proposé par le réseau social Facebook, à l'occasion de la publication d'un article sur la page du candidat, entre le 29 février et le 9 mars 2020. Ce procédé a permis de donner plus de visibilité à la publication sur le réseau social en ciblant les utilisateurs âgés de 18 à 65 ans déclarant résider dans la commune d'Alixan. La publication ainsi promue indiquait que M. C... était candidat à l'élection municipale 2020 d'Alixan et comportait une photographie de sa liste et un lien vers sa page Facebook. Cette diffusion, qu'elle ait été volontaire ou non de la part du candidat, revêt le caractère d'un procédé de publicité commerciale interdit par le premier alinéa de l'article L. 52-1 du code électoral. Cependant, il résulte de l'instruction que, compte tenu du caractère non polémique de son contenu et du faible impact de cette publication sponsorisée sur la fréquentation de la page Facebook du candidat, cette irrégularité n'est pas susceptible à elle seule, d'avoir altéré la sincérité du scrutin.

5. En deuxième lieu, l'article L. 51 du code électoral dispose que : " Pendant la durée de la période électorale, dans chaque commune, des emplacements spéciaux sont réservés par l'autorité municipale pour l'apposition des affiches électorales. (...) Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, tout affichage relatif à l'élection, même par affiches timbrées, est interdit en dehors de cet emplacement ou sur l'emplacement réservé aux autres candidats, ainsi qu'en dehors des panneaux d'affichage d'expression libre lorsqu'il en existe. "

6. Une affiche de campagne pour la liste de M. C... a été collée sur la devanture d'un restaurant de la commune, en méconnaissance de l'article L. 51 du code électoral cité au point précédent. Bien que situé dans une rue passante et relayé sur le réseau social Facebook, il résulte de l'instruction que cet affichage isolé ne peut être regardé, à lui seul, comme ayant pu altérer la sincérité du scrutin.

7. En dernier lieu, il ne résulte pas davantage de l'instruction que, malgré le faible écart de voix séparant les deux listes en présence, le cumul des deux irrégularités relevées ait été de nature à avoir altéré la sincérité du scrutin. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement qu'il attaque, le tribunal administratif de Grenoble s'est fondé sur la méconnaissance des dispositions de l'article L. 51 du code électoral et du premier alinéa de l'article L. 52-1 du même code pour annuler les opérations électorales en cause.

8. Il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres griefs soulevés par Mme F... à l'appui de sa protestation électorale.

Sur le grief tiré de la méconnaissance de l'article L. 97 du code électoral :

9. Aux termes de l'article L. 97 du code électoral : " Ceux qui, à l'aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manoeuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s'abstenir de voter, seront punis d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 15 000 euros. "

10. Il résulte de l'instruction que M. C... a publié le 11 mars sur sa page Facebook un message informant ses abonnés des modalités destinées à faciliter l'exercice du droit de vote par procuration compte tenu du contexte sanitaire et encourageant les électeurs à apporter leur propre bulletin. Ce message, qui ne comportait aucun élément mensonger, ne peut être regardé comme ayant dissuadé les électeurs de voter, en violation de l'article L. 97 du code électoral.

Sur le grief tenant à la diffusion d'un tract diffamatoire deux jours avant le scrutin :

11. Aux termes de l'article L. 48-2 du code électoral : " Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n'aient pas la possibilité d'y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale. " D'autre part, l'article L. 49 du code électoral dispose : " A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents. (...) "

12. Il résulte de l'instruction qu'un tract de la liste de M. C..., dont il n'est pas établi qu'il ait été distribué le jeudi 12 ou le vendredi 13 mars, rappelait ses engagements de campagne, critiquait notamment le plan local d'urbanisme, révisé par la municipalité sortante, comme ne permettant pas le développement de la commune et affirmait que Mme F... entretenait de mauvaises relations avec la communauté d'agglomération, reprenant un extrait de son site internet de campagne. Ce tract, qui ne présente pas un caractère diffamatoire, n'introduit pas d'élément nouveau dans le débat électoral et n'excède pas les limites de la polémique électorale. De plus, il n'est pas établi, compte tenu de la date incertaine de sa diffusion, que Mme F... n'ait pas été en mesure d'y répondre utilement. Il n'a pas, dans ces conditions, été de nature à altérer la sincérité du scrutin.

Sur les opérations électorales :

13. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Dans ce contexte, le Premier ministre a adressé à l'ensemble des maires le 7 mars 2020 une lettre présentant les mesures destinées à assurer le bon déroulement des élections municipales et communautaires prévues les 15 et 22 mars 2020. Ces mesures ont été précisées par une circulaire du ministre de l'intérieur du 9 mars 2020 relative à l'organisation des élections municipales des 15 et 22 mars 2020 en situation d'épidémie de coronavirus covid-19, formulant des recommandations relatives à l'aménagement des bureaux de vote et au respect des consignes sanitaires, et par une instruction de ce ministre, du même jour, destinée à faciliter l'exercice du droit de vote par procuration. Après consultation par le Gouvernement du conseil scientifique mis en place pour lui donner les informations scientifiques utiles à l'adoption des mesures nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19, les 12 et 14 mars 2020, le premier tour des élections municipales a eu lieu comme prévu le 15 mars 2020. A l'issue du scrutin, les conseils municipaux ont été intégralement renouvelés dans 30 143 communes ou secteurs. Le taux d'abstention a atteint 55,34 % des inscrits, contre 36,45 % au premier tour des élections municipales de 2014.

14. Au vu de la situation sanitaire, l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a reporté le second tour des élections, initialement fixé au 22 mars 2020, au plus tard en juin 2020 et prévu que : " Dans tous les cas, l'élection régulière des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers d'arrondissement, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise, conformément à l'article 3 de la Constitution ". Ainsi que le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de valider rétroactivement les opérations électorales du premier tour ayant donné lieu à l'attribution de sièges et ne font ainsi pas obstacle à ce que ces opérations soient contestées devant le juge de l'élection.

15. Aux termes de l'article L. 262 du code électoral, applicable aux communes de mille habitants et plus : " Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l'entier supérieur lorsqu'il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l'entier inférieur lorsqu'il y a moins de quatre sièges à pourvoir. Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sous réserve de l'application des dispositions du troisième alinéa ci-après. / Si aucune liste n'a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il est procédé à un deuxième tour (...) ". Aux termes de l'article L. 273-8 du code électoral : " Les sièges de conseiller communautaire sont répartis entre les listes par application aux suffrages exprimés lors de cette élection des règles prévues à l'article L. 262. (...) ".

16. Ni par ces dispositions, ni par celles de la loi du 23 mars 2020 le législateur n'a subordonné à un taux de participation minimal la répartition des sièges au conseil municipal à l'issue du premier tour de scrutin dans les communes de mille habitants et plus, lorsqu'une liste a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés. Le niveau de l'abstention n'est ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, s'il n'a pas altéré, dans les circonstances de l'espèce, sa sincérité.

17. En l'espèce, Mme F... se borne à relever que le taux d'abstention dans la commune a été supérieur à celui des élections de 2014 et de 2008 et à produire plusieurs attestations d'électeurs selon lesquelles ils se seraient abstenus de voter en raison du contexte sanitaire, sans invoquer aucune autre circonstance relative au déroulement de la campagne électorale ou du scrutin dans la commune qui montrerait, en particulier, qu'il aurait été porté atteinte au libre exercice du droit de vote ou à l'égalité entre les candidats, alors même que le taux de participation dans cette commune était supérieur à la moyenne nationale. Dans ces conditions, le niveau de l'abstention constatée ne peut être regardé comme ayant altéré la sincérité du scrutin.

Sur le grief tiré de la rupture d'égalité :

18. Si Mme F... a fait valoir, dans son mémoire enregistré le 7 juin 2020, que le maintien des résultats du premier tour conduirait à une rupture d'égalité entre les communes d'un même établissement public de coopération intercommunale, contraire à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ce grief, qui ne figurait pas dans sa protestation initiale, a été invoqué tardivement et n'est par suite pas recevable.

19. Il résulte de tout ce qui précède qu'aucun des griefs soulevés par Mme F... n'est de nature à remettre en cause les résultats proclamés. Ses conclusions tendant à ce que les mandats électoraux de M. C... et des conseillers municipaux issus de sa liste soient suspendus ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ainsi que celles tendant à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Grenoble.

20. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. C... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. C... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 2 à 4 du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 24 septembre 2020 sont annulés.

Article 2 : Les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 dans la commune d'Alixan sont validées.

Article 3 : La protestation de Mme F... est rejetée.

Article 4 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. E... C..., à Mme B... F... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Drôme.