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Ariane Web: Conseil d'État 442506, lecture du 29 juin 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:442506.20210629

Décision n° 442506
29 juin 2021
Conseil d'État

N° 442506
ECLI:FR:CECHR:2021:442506.20210629
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Didier Ribes, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du mardi 29 juin 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La Société des mobiliers urbains pour la publicité et l'information (SOMUPI) a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la Ville de Paris à lui verser la somme de 7 152 919,01 euros, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts, au titre de l'" intéressement " qui lui est dû dans le cadre de l'exécution d'un marché du 27 février 2007 portant sur la mise en place d'un service de location de vélos en libre-service et de mobilier urbain à usage d'information et de publicité. Par un jugement n° 1612306/4-2 du 27 octobre 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17PA03967 du 9 juin 2020, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la SOMUPI contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 6 août et 29 octobre 2020 et les 12 mai et 7 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SOMUPI demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts ;
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le décret n° 77-966 du 27 mai 1977 ;
- le code de justice administrative ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 juin 2021, présentée par la Société des mobiliers urbains pour la publicité et l'information ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la Société des mobiliers urbains pour la publicité et l'information et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Ville de Paris ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la Ville de Paris a conclu, le 27 février 2007, avec la Société des mobiliers urbains pour la publicité et l'information (SOMUPI) un marché ayant pour objet la mise en place d'une flotte de vélos à destination du public et de mobiliers urbains d'information à caractère général ou local et accessoirement publicitaire. La rémunération de la SOMUPI était assurée, d'une part, conformément aux articles VI.5.2 et VI.5.3 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché, par des recettes publicitaires émanant des annonceurs tiers au marché et le paiement par la Ville de Paris de prestations complémentaires par application d'un bordereau de prix et, d'autre part, conformément à l'article IX du même document, par un intéressement versé par la Ville de Paris lorsque la qualité du service dépasse des niveaux définis par le cahier des clauses techniques particulières et calculé en fonction des recettes résultant des abonnements et de l'utilisation des vélos. Eu égard à la qualité du service rendu, la SOMUPI a facturé à la Ville de Paris un tel intéressement pour la période comprise entre décembre 2010 et décembre 2015. Alors que la SOMUPI a assujetti cet intéressement à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), la Ville de Paris a estimé que cet intéressement n'était pas soumis à la TVA et a refusé, par courrier du 8 août 2012, de s'acquitter du montant de la TVA à ce titre. Par courrier du 23 février 2016, la SOMUPI a mis en demeure la Ville de Paris d'acquitter avant le 10 mars 2016 ce montant s'élevant à 7 152 919,01 euros. En l'absence de réponse, la SOMUPI a adressé le 23 mars 2016 à la Ville de Paris un mémoire en réclamation. Par un jugement du 27 octobre 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la SOMUPI tendant à la condamnation de la Ville de Paris à lui verser la somme de 7 152 919,01 euros, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts. La SOMUPI se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 9 juin 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel contre le jugement du tribunal administratif.

Sur la régularité de l'arrêt :

2. Aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ".

3. La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions citées au point 2, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.

4. Par ailleurs, il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, et notamment d'indiquer, lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et, de mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il propose d'accueillir. La communication de ces informations n'est toutefois pas prescrite à peine d'irrégularité de la décision.

5. Dans le cas mentionné au point 3 comme dans celui indiqué au point 4, le rapporteur public qui, après avoir communiqué le sens de ses conclusions, envisage de modifier sa position doit, à peine d'irrégularité de la décision, mettre les parties à même de connaître ce changement.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le sens des conclusions du rapporteur public devant le tribunal administratif de Paris, tendant au " rejet au fond " de la demande de la SOMUPI, a été porté à la connaissance des parties au moyen de l'application Télérecours le 10 octobre 2017 à 17h30, en vue d'une audience devant se tenir le 13 octobre 2017 à 9h30. Il ressort des mêmes pièces, notamment de la note en délibéré produite par la SOMUPI à l'issue de cette audience que, s'il a effectivement conclu au rejet au fond de la demande, le rapporteur public a également indiqué, lors de l'audience, que la requête pourrait être rejetée en raison de son irrecevabilité. Toutefois, dès lors que ces considérations supplémentaires n'ont ni contredit, ni modifié le sens des conclusions qui avait été communiqué aux parties dans les conditions prévues par l'article R. 711-3 du code de justice administrative, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'était sans incidence sur la régularité du jugement du tribunal administratif la circonstance que le rapporteur public ait, en l'espèce, non seulement conclu au rejet au fond, mais encore indiqué que la demande pourrait être rejetée en raison de son irrecevabilité.

Sur le bien-fondé de l'arrêt :

7. La taxe sur la valeur ajoutée dont est redevable un vendeur ou un prestataire de service est, comme les prélèvements de toute nature assis en addition de cette taxe, un élément qui grève le prix convenu avec le client et non un accessoire du prix. Par suite, dans une opération soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, un prix stipulé sans mention de la taxe doit être réputé inclure la taxe qui sera due par le vendeur ou le prestataire de service, à moins qu'une stipulation expresse fasse apparaître que les parties sont convenues d'ajouter au prix stipulé un supplément de prix égal à la taxe sur la valeur ajoutée applicable à l'opération.

8. La cour a jugé que l'intéressement auquel la SOMUPI avait droit devait, dans le silence des stipulations de l'article IX du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) et par application du principe énoncé au point précédent, être réputé comme défini toutes taxes comprises.

9. D'une part, contrairement à ce qui est soutenu, en faisant application du principe énoncé au point 7 dans un litige de nature contractuelle, la cour n'a pas entaché son arrêt d'une erreur de droit.

10. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 1, il ressort des pièces du dossier que la rémunération de la SOMUPI était assurée, d'une part, conformément aux articles VI.5.2 et VI.5.3 du CCAP, par des recettes publicitaires tirées de la commercialisation, par la société, des espaces d'affichage auprès d'annonceurs et par des paiements de la Ville de Paris et, d'autre part, conformément à l'article IX du même document, par un intéressement versé par la Ville de Paris, à la condition que la qualité du service dépasse certains niveaux de qualité définis par le cahier des clauses techniques particulières (CCTP). En estimant que si l'intéressement constitue un élément du prix de la prestation, les stipulations de l'article VI.5.1 du cahier des clauses administratives particulières, qui prévoient que " les prix sont établis hors TVA ", ne s'appliquent qu'aux éléments du prix définis à l'article VI et ne régissent par suite pas l'intéressement, dont les conditions et les modalités de facturation sont définies par les stipulations spécifiques de l'article IX du CCAP, et non par l'article VI de ce même document, la cour n'a entaché son arrêt ni de dénaturation des stipulations du contrat, ni de contradiction de motifs.

11. Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, l'interprétation des stipulations du contrat retenue par les juges du fond, qui distingue le régime de TVA entre l'intéressement et les autres éléments du prix, ne les a conduits à méconnaître ni la commune intention des parties telle qu'ils l'ont souverainement appréciée, ni le principe de cohérence des stipulations contractuelles entre elles.

12. En dernier lieu, la cour a relevé, par un motif surabondant, que la SOMUPI n'établissait, en tout état de cause, pas que la Ville de Paris serait convenue, lors de la signature du contrat ou au cours de son exécution, d'ajouter à cet intéressement un supplément égal à la taxe sur la valeur ajoutée. Dès lors, les moyens tirés de ce qu'un tel motif serait entaché d'une erreur de droit, d'une dénaturation des faits de l'espèce et des pièces du dossier et d'une insuffisance de motivation dès lors que la cour n'aurait pas pris en considération l'exigence de bonne foi contractuelle devant présider à la conclusion et à l'exécution du contrat sont, en tout état de cause, inopérants.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la SOMUPI n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la Ville de Paris qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SOMUPI une somme de 4 000 euros à verser à la Ville de Paris au titre des mêmes dispositions.






D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la Société des mobiliers urbains pour la publicité et l'information est rejeté.
Article 2 : La Société des mobiliers urbains pour la publicité et l'information versera à la Ville de Paris une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Société des mobiliers urbains pour la publicité et l'information et à la Ville de Paris.


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