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Ariane Web: Conseil d'État 437803, lecture du 7 juillet 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:437803.20210707

Décision n° 437803
7 juillet 2021
Conseil d'État

N° 437803
ECLI:FR:CECHR:2021:437803.20210707
Inédit au recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, rapporteur
M. Vincent Villette, rapporteur public


Lecture du mercredi 7 juillet 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 janvier et 4 août 2020 et le 10 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Janssen Cilag France et la société Johnson et Johnson demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 1er du décret n° 2019-1192 du 19 novembre 2019 relatif au répertoire des génériques, au registre des groupes hybrides et à la suppression du fonds de lutte contre le tabac ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 ;
- le code de l'environnement ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme A... B..., conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 juin 2021, présentée par la société Janssen Cilag France et la société Johnson et Johnson ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du a) du 5° de l'article L. 5121-1 du code de la santé publique, on entend par spécialité générique d'une spécialité de référence " celle qui a la même composition qualitative et quantitative en principes actifs, la même forme pharmaceutique et dont la bioéquivalence avec la spécialité de référence est démontrée par des études de biodisponibilité appropriées ". La société Janssen Cilag France et la société Johnson et Johnson demandent l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 1er du décret du 19 novembre 2019 relatif au répertoire des génériques, au registre des groupes hybrides et à la suppression du fonds de lutte contre le tabac. Cet article insère, après le premier alinéa de l'article R. 5121-5 du code de la santé publique, un alinéa ainsi rédigé : " Dès lors qu'une spécialité remplit la condition, prévue au a du 5° de l'article L. 5121-1, pour être une spécialité générique, elle est nécessairement identifiée comme telle par le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ".

Sur la légalité externe :

2. Le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait entaché d'illégalité externe faute que le conseil de la Caisse nationale de l'assurance maladie, le conseil central d'administration de la Mutualité sociale agricole et le conseil de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie aient été régulièrement convoqués et aient bénéficié d'un délai suffisant pour pouvoir émettre un avis sur le projet de décret n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. Il ne peut, par suite, qu'être écarté.

Sur la légalité interne :

3. D'une part, l'article L. 5121-8 du code de la santé publique prévoit que : " Toute spécialité pharmaceutique ou tout autre médicament fabriqué industriellement (...) doit faire l'objet, avant sa mise sur le marché ou sa distribution à titre gratuit, d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (...). / Le demandeur de l'autorisation peut être dispensé de produire certaines données et études dans des conditions fixées par voie réglementaire ". Le premier alinéa de l'article L. 5121-10 de ce code dispose que : " Pour une spécialité générique (...) définie au 5° de l'article L. 5121-1, l'autorisation de mise sur le marché peut être délivrée avant l'expiration des droits de propriété intellectuelle qui s'attachent à la spécialité de référence concernée. Le demandeur de cette autorisation informe le titulaire de ces droits concomitamment au dépôt de la demande ". Parmi les documents qui doivent, en application de l'article R. 5121-25 du même code, être fournis à l'appui d'une demande d'autorisation de mise sur le marché, figurent " 1° Les données chimiques, pharmaceutiques et biologiques ; / 2° Les résultats des essais précliniques et des essais cliniques ". Toutefois, l'article R. 5121-28 du même code prévoit que : " Par dérogation au 2° de l'article R. 5121-25 (...) / 1° Lorsque la demande porte sur une spécialité générique d'une spécialité de référence qui est ou a été autorisée depuis au moins huit ans en France, le dossier fourni à l'appui de la demande comprend, outre les données chimiques, pharmaceutiques et biologiques, les études de biodisponibilité démontrant la bioéquivalence à la spécialité de référence (...) ".

4. D'autre part, aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 5121-10 du code de la santé publique : " Lorsque l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a délivré une autorisation de mise sur le marché d'une spécialité générique (...), elle en informe le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité de référence. / Le directeur général de l'agence procède à l'inscription de la spécialité générique dans le répertoire des groupes génériques au terme d'un délai de soixante jours, après avoir informé de la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché de celle-ci le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité de référence (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 5121-5 de ce code : " En vue de leur inscription au répertoire des groupes génériques mentionné à l'article L. 5121-10, les spécialités génériques sont identifiées par une décision de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé mentionnant la spécialité de référence correspondante. Cette décision peut, le cas échéant, préciser que la substitution de la spécialité de référence par la spécialité générique peut entraîner un risque particulier pour la santé de certains patients dans certaines conditions d'utilisation. Elle est notifiée au titulaire de l'autorisation de mise sur le marché délivrée pour cette spécialité générique (...) ".

5. Il résulte de ces dispositions que l'identification d'un médicament comme générique d'une spécialité de référence en vue de son inscription au répertoire des groupes génériques se fait à la suite de la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché à ce médicament, laquelle est subordonnée à la vérification que le médicament remplit les conditions pour être identifié comme générique. Si elle constitue une décision distincte de la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché du générique et produit des effets propres consistant à permettre au pharmacien de substituer un générique à la spécialité de référence, l'inscription de ce médicament sur le répertoire des génériques se borne néanmoins à tirer les conséquences de la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché en qualité de générique, après que le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité de référence a été mis à même de faire valoir, le cas échéant, ses droits, sans donner lieu à une nouvelle procédure d'instruction visant à vérifier si le médicament répond aux conditions fixées par le code de la santé publique pour être identifié comme générique. La décision d'identification peut, le cas échéant, préciser que la substitution de la spécialité de référence par la spécialité générique peut entraîner un risque particulier pour la santé de certains patients dans certaines conditions d'utilisation.

6. Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, ces dispositions ne laissent pas au directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé de latitude pour apprécier si une spécialité, dès lors qu'elle a fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché en qualité de générique, peut être identifiée comme générique en vue de son inscription au répertoire des génériques, mais prévoient que l'identification comme générique fait suite à la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché en qualité de générique. Dès lors, en insérant, après le premier alinéa de l'article R. 5121-5 du code de la santé publique cité au point 4, la disposition critiquée, selon laquelle une spécialité " est nécessairement identifiée " comme spécialité générique par le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, manifestant qu'il en va ainsi que ce dernier soit ou non saisi d'une demande en ce sens, lorsqu'elle répond à la définition que le a du 5° de l'article L. 5121-1 donne d'une telle spécialité et qui détermine également les conditions de délivrance de son autorisation de mise sur le marché, l'article 1er du décret attaqué ne peut, en tout état de cause, être regardé comme ayant privé le directeur général de l'Agence d'une marge d'appréciation dont il aurait disposé.

7. Par suite, les sociétés requérantes ne peuvent utilement soutenir que la disposition qu'elles attaquent méconnaîtrait, en ce qu'elle priverait le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé d'une telle marge d'appréciation, le droit à la protection de la santé garanti par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, le droit à la protection de la santé reconnu par l'article 35 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et le principe de précaution, qu'elle serait contraire à l'article L. 5121-10 du code de la santé publique et dépourvue de base légale.

8. En outre, et en tout état de cause, si les sociétés requérantes font valoir que la substitution d'une spécialité générique à une spécialité de référence peut, alors même que par définition ces spécialités sont essentiellement similaires et bioéquivalentes, présenter des risques pour le patient, en mentionnant à ce titre les difficultés spécifiques que peuvent poser les médicaments dits " à marge thérapeutique étroite " - c'est-à-dire ceux dont les concentrations toxiques sont proches des concentrations efficaces, de sorte qu'une faible variation de dose ou de concentration peut entraîner une modification du rapport bénéfice / risque - ou la situation des patients présentant une contre-indication formelle et démontrée à un excipient à effets notoires, ces risques ont vocation, non à faire obstacle à ce que le générique soit identifié comme tel, mais à faire l'objet de précisions par la décision d'identification ainsi que le prévoient les dispositions citées au point 4, de telle sorte que soit ouverte au prescripteur ainsi que, désormais, au pharmacien, la possibilité d'exclure la substitution, dans les conditions prévues à l'article L. 5125-23 du code de la santé publique.

9. Enfin, les sociétés requérantes ne peuvent pas davantage utilement soutenir que la disposition qu'elles attaquent, en ce qu'elle créerait un lien nécessaire entre la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché en qualité de générique, qui relève du droit de l'Union européenne, et l'inscription d'une spécialité au répertoire des génériques, qui n'en relève pas, aurait pour effet de faire illégalement relever cette inscription du droit de l'Union européenne ou de priver les autorités nationales d'un pouvoir de police administrative au profit de l'autorité délivrant l'autorisation de mise sur le marché. La disposition contestée est, de même, sans incidence sur les obligations de pharmacovigilance pesant sur l'Agence, auxquelles elle ne s'oppose pas et dont elle ne l'exonère pas.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la disposition qu'elles attaquent.

Sur les frais de l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la société Janssen Cilag France et autre est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Janssen Cilag France, représentant unique désigné, au ministre des solidarités et de la santé et au Premier ministre.


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