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Ariane Web: Conseil d'État 445802, lecture du 16 juillet 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:445802.20210716

Décision n° 445802
16 juillet 2021
Conseil d'État

N° 445802
ECLI:FR:CECHR:2021:445802.20210716
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Alain Seban, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP BUK LAMENT - ROBILLOT, avocats


Lecture du vendredi 16 juillet 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. BJ...-T... U..., M. L... G... et M. O... Y... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 dans la commune de Courtenay (Loiret) en vue de la désignation des conseillers municipaux et communautaires. Par un jugement n° 2001124, 2001150, 2001227 du 29 septembre 2020, le tribunal administratif a admis l'intervention de Mme AI..., annulé les opérations électorales et déclaré M. M... inéligible pour une durée d'un an.

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 29 octobre et 30 novembre 2020 et les 22 avril, 20 mai et 25 juin 2021, M. AV... M..., Mme AS... V..., M. BJ...-AP... AL..., Mme AN... AD..., Mme D... AW..., M. E... I..., Mme BH... R..., Mme AZ... AY..., M. BJ...-K... A... AB..., Mme BE... AH..., M. AP... AR..., Mme AU... BC..., M. AC... X..., Mme AJ... BG..., M. T... AG..., Mme Q... BA..., M. AQ... N..., Mme S... AO..., M. AE... AM..., Mme BD... H..., M. Z... BK..., Mme F... J..., M. C... AK..., Mme B... AT..., M. K... AF..., Mme P... AA... et M. W... BB... demandent au Conseil d'Etat :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de rejeter les protestations de M. U..., de M. G... et de M. Y... ;

3° de mettre à la charge de MM. U..., G... et Y... une somme de 4 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code électoral ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alain Seban, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de Mme AA..., de M. BB..., de M. N..., de Mme BI..., de M. AM..., de Mme H..., de M. BK..., de Mme J..., de M. AK..., de Mme AT..., de M. AF..., de Mme V..., de M. AL..., de Mme AD..., de Mme AW..., de Mme R..., de Mme AX..., de M. A... AB..., de Mme AH..., de M. AR..., de Mme BC..., de M. X..., de Mme BG..., de M. AG..., de Mme BA... et de M. M... et à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de M. L... G... ;


Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction qu'à l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pour le premier tour de l'élection des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Courtenay, la liste conduite par M. M... " Un nouveau souffle pour Courtenay " a recueilli 50,39 % des voix et obtenu vingt-et-un conseillers municipaux sur vingt-sept. Saisi de protestations dirigées contre cette élection, le tribunal administratif d'Orléans, par un jugement du 29 septembre 2020, a annulé les opérations électorales et déclaré M. M... inéligible pour un an, sur le fondement de l'article L. 118-4 du code électoral. M. M... et autres font appel de ce jugement.

Sur l'intervention :

2. Mme AI..., qui avait la qualité d'intervenante en demande en première instance, a intérêt au maintien du jugement attaqué. Par suite, son intervention est recevable.

Sur la régularité du jugement :

3. Il résulte des dispositions combinées de l'article R. 773-1 du code de justice administrative et des articles R. 119 et R. 120 du code électoral que, par dérogation aux dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, le tribunal administratif, juge de l'élection, n'est pas tenu de communiquer les mémoires en défense, non plus que les autres mémoires ultérieurement enregistrés, ou de procéder à la communication des pièces jointes aux saisines. Il appartient seulement au tribunal, une fois ces pièces enregistrées par son greffe, de les tenir à la disposition des parties de sorte que celles-ci puissent, si elles l'estiment utile, en prendre connaissance. Par suite, le tribunal administratif n'était pas tenu de communiquer aux requérants la pièce, jointe au mémoire en réplique de l'auteur d'une des protestations électorales, par laquelle M. BF..., candidat sur la liste menée par M. M..., accusait ce dernier de lui avoir fourni, afin qu'il puisse s'inscrire sur la liste électorale de Courtenay, une attestation d'hébergement de complaisance, sur laquelle il s'est notamment fondé pour annuler les opérations électorales et prononcer l'inéligibilité de M. M....

Sur le grief relatif à l'affichage électoral :

4. Aux termes de l'article L. 51 du code électoral : " Pendant la durée de la période électorale, dans chaque commune, des emplacements spéciaux sont réservés par l'autorité municipale pour l'apposition des affiches électorales. / (...) Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, tout affichage relatif à l'élection, même par affiches timbrées, est interdit en dehors de cet emplacement ou sur l'emplacement réservé aux autres candidats, ainsi qu'en dehors des panneaux d'affichage d'expression libre lorsqu'il en existe. "

5. S'il résulte de l'instruction que des affiches de la liste conduite par M. M... ont été collées en dehors des emplacements réservés à cet effet, il n'est pas établi, ni même allégué que cette méconnaissance des dispositions de l'article L. 51 du code électoral a revêtu un caractère massif susceptible d'avoir altéré la sincérité du scrutin.

Sur les griefs relatifs au déroulement du scrutin :

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. M..., alors qu'il était assesseur titulaire du bureau de vote n° 1 et, à ce titre, se tenait à l'entrée de la salle pour contrôler l'identité des votants avant que ceux-ci ne soient munis du matériel électoral, apostrophait certains des électeurs qu'il connaissait personnellement, entretenait avec eux des conversations familières et, comme il l'a reconnu lui-même, a invité, par plaisanterie, une candidate d'une liste concurrente à voter pour sa liste. Si son attitude générale a présenté un caractère inapproprié à la solennité des circonstances et aux fonctions qu'il exerçait au sein du bureau de vote, le comportement de M. M... ne peut être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme ayant constitué l'exercice d'une pression sur les électeurs.

7. En second lieu, s'il résulte de l'instruction que, le jour du vote, plusieurs des colistiers de M. M... ont porté, aux abords des bureaux de vote, des maillots aux couleurs du " pôle santé associatif des Caducées du Gâtinais " dont la création consistait le principal argument de campagne de la liste de M. M..., et ont distribué des badges de cette association, ces agissements, dont il n'est pas établi qu'ils se soient prolongés à l'intérieur des bureaux de vote, ne peuvent, dans les circonstances de l'espèce, et nonobstant le faible écart entre le nombre de suffrages obtenus par la liste de M. M... et la majorité absolue, être regardés comme constitutifs d'une manoeuvre de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin.

Sur le grief tiré de l'inscription frauduleuse de M. BF... sur les listes électorales de la commune :

8. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 228 du code électoral :
" Sont éligibles au conseil municipal tous les électeurs de la commune et les citoyens inscrits au rôle des contributions directes ou justifiant qu'ils devaient y être inscrits au 1er janvier de l'année de l'élection ". Aux termes des dispositions de l'article L. 11 du même code : " Sont inscrits sur la liste électorale, sur leur demande : / 1° Tous les électeurs qui ont leur domicile réel dans la commune ou y habitent depuis six mois au moins ; / 2° Ceux qui figurent pour la cinquième fois sans interruption, l'année de la demande d'inscription, au rôle d'une des contributions directes communales et, s'ils ne résident pas dans la commune, ont déclaré vouloir y exercer leurs droits électoraux. Tout électeur ou tout électrice peut être inscrit sur la même liste que son conjoint au titre de la présente disposition (...) ". Il n'appartient pas au juge de l'élection, en l'absence de manoeuvre de nature à fausser les résultats du scrutin, d'apprécier si un électeur inscrit sur les listes électorales remplit effectivement la condition de domicile exigée par l'article L. 11 du code électoral. En revanche, il lui incombe de rechercher si des manoeuvres dans l'établissement de la liste électorale ont altéré la sincérité du scrutin.

9. Il résulte de l'instruction que M. BF..., qui figurait en neuvième place sur la liste de M. M..., n'a pu solliciter son inscription sur les listes électorales de la commune de Courtenay que sur la foi d'une attestation de M. M... datée du 25 octobre 2019 certifiant que l'intéressé était hébergé chez lui depuis le mois de janvier 2019. Si M. M... soutient qu'un chèque lui aurait été remis par M. BF... en paiement de loyers correspondant à cet hébergement, il n'indique ni le montant mensuel du loyer, ni la période à laquelle correspondrait ce versement, dont il n'allègue pas avoir donné quittance et dont la nature n'est corroborée par aucune pièce du dossier. Il résulte au contraire de l'instruction, notamment des déclarations en ce sens de M. BF..., que cette attestation n'avait été établie que pour lui permettre de se porter candidat sur la liste de M. M... et présentait ainsi un caractère frauduleux. Elle constitue ainsi une manoeuvre qui, eu égard au rôle confié par M. M... à M. BF... dans la constitution d'un pôle de santé qui constituait un important argument de sa campagne, doit être regardée comme ayant été de nature à altérer la sincérité du scrutin, compte tenu de ce que, à l'issue de l'unique tour de scrutin, le dernier candidat élu dépasse de cinq voix seulement la majorité absolue des suffrages exprimés.

10. Il résulte de ce qui précède que si les trois premiers griefs retenus par le tribunal administratif ne sont pas fondés, le dernier grief était de nature, par ses conséquences, à entraîner l'annulation de l'élection. M. M... et autres ne sont par suite pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé les opérations électorales.

Sur l'inéligibilité de M. M... :

11. Aux termes de l'article L. 118-4 du code électoral : " Saisi d'une contestation formée contre l'élection, le juge de l'élection peut déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, le candidat qui a accompli des manoeuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. L'inéligibilité déclarée sur le fondement du premier alinéa s'applique à toutes les élections. Toutefois, elle n'a pas d'effet sur les mandats acquis antérieurement à la date de la décision. Si le juge de l'élection a déclaré inéligible un candidat proclamé élu, il annule son élection. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, régulièrement saisi d'un grief tiré de l'existence de manoeuvres, le juge de l'élection peut, le cas échéant d'office, déclarer inéligibles, pour une durée maximale de trois ans, des candidats, si les manoeuvres constatées présentent un caractère frauduleux et s'il est établi qu'elles ont été accomplies par les candidats concernés et ont eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. Le caractère frauduleux des manoeuvres s'apprécie eu égard, notamment, à leur nature et à leur ampleur.

12. Ainsi qu'il a été dit au point 9 ci-dessus, M. M... doit être regardé comme responsable de l'inscription frauduleuse de M. BF... sur les listes électorales de la commune, manoeuvre qui, en permettant à ce dernier de se porter candidat, a altéré la sincérité du scrutin. C'est dès lors par une exacte application des dispositions de l'article L. 118-4 du code électoral que le tribunal administratif a déclaré M. M... inéligible pour une durée d'un an.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. M... et autres ne sont pas fondés à demander l'annulation du jugement qu'ils attaquent.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de M. U..., de M. G... et de M. Y... qui ne sont pas, dans la présente espèce, les parties perdantes. Elles font également obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur ce fondement par Mme AI... qui, en tant qu'intervenante, n'a pas la qualité de partie dans le présent litige. Enfin, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. M... et autres la somme que demande, à ce titre, M. G....

D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de Mme AI... est admise.

Article 2 : La requête de M. M... et autres, ainsi que les conclusions présentées par M. G... et Mme AI... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. AV... M..., premier requérant dénommé, à M. O... Y..., à M. L... G..., à M. BJ...-T... U..., à Mme AZ... AI... et au ministre de l'intérieur.


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