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Ariane Web: Conseil d'État 449688, lecture du 20 juillet 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:449688.20210720

Décision n° 449688
20 juillet 2021
Conseil d'État

N° 449688
ECLI:FR:CECHR:2021:449688.20210720
Publié au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Olivier Guiard, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public


Lecture du mardi 20 juillet 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes, sous le n° 2006246, d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 en vue de l'élection des conseillers municipaux et des conseillers communautaires de la commune de Cholet (Maine-et-Loire) et de déclarer Mme B... inéligible pour une durée de trois ans.

Mme A... B... a demandé au même tribunal, sous le n° 2006344, d'annuler les résultats de ces élections.

Par un jugement nos 2006246, 2006344 du 28 janvier 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ces deux protestations.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 février et 12 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de faire droit à sa protestation ainsi qu'à ses conclusions tendant à ce que Mme B... soit déclarée inéligible ;

3°) de mettre à la charge de Mme B... une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code électoral ;
- la loi n° 82-974 du 19 novembre 1982 ;
- le code de justice administrative.



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées les 13 et 15 juillet 2021 présentées pour M. G... et Mme B....



Considérant ce qui suit :

1. À l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 dans la commune de Cholet (Maine-et-Loire), la liste " Cholet passion " conduite par M. G..., maire sortant, a recueilli 53,95 % des suffrages exprimés et obtenu trente-cinq sièges au conseil municipal, ainsi que vingt-trois sièges au conseil communautaire, tandis que la liste " Cholet autrement ", menée par Mme B..., recueillait 46,04 % des voix et obtenait dix sièges au conseil municipal, ainsi que sept sièges au conseil communautaire. Par une protestation enregistrée le 1er juillet 2020, M. E..., qui avait conduit la liste " Cholet pour tous " ayant recueilli 8,40 % des suffrages à l'issue du premier tour de scrutin, a demandé, d'une part, l'annulation de ces opérations électorales et, d'autre part, que Mme B... soit déclarée inéligible pour une durée de trois ans. Mme B... demandait également, parallèlement, l'annulation de ces opérations électorales. Par un jugement du 28 janvier 2021, dont M. E... relève appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ces deux protestations.

Sur la composition de la liste " Cholet autrement " enregistrée en vue du second tour des élections municipales :

2. Aux termes de l'article L. 264 du code électoral : " Une déclaration de candidature est obligatoire pour chaque tour de scrutin. La liste est composée alternativement d'un candidat de chaque sexe. / Seules peuvent se présenter au second tour les listes ayant obtenu au premier tour un nombre de suffrages au moins égal à 10 % du total des suffrages exprimés. Ces listes peuvent être modifiées dans leur composition pour comprendre des candidats ayant figuré au premier tour sur d'autres listes sous réserve que celles-ci ne se présentent pas au second tour et qu'elles aient obtenu au premier tour au moins 5 % des suffrages exprimés. En cas de modification de la composition d'une liste, l'ordre de présentation des candidats peut également être modifié. / Les candidats ayant figuré sur une même liste au premier tour ne peuvent figurer au second tour que sur une liste. Le choix de la liste sur laquelle ils sont candidats au second tour est notifié à la préfecture ou à la sous-préfecture par la personne ayant eu la qualité de responsable de la liste constituée par ces candidats au premier tour. ". Selon l'article L. 265 du même code : " La déclaration de candidature résulte du dépôt à la préfecture ou à la sous-préfecture d'une liste répondant aux conditions fixées aux articles L. 260, L. 263, L. 264 et LO. 265-1. Il en est délivré récépissé. / Elle est faite collectivement pour chaque liste par la personne ayant la qualité de responsable de liste. A cet effet, chaque candidat établit un mandat signé de lui, confiant au responsable de liste le soin de faire ou de faire faire, par une personne déléguée par lui, toutes déclarations et démarches utiles à l'enregistrement de la liste, pour le premier et le second tours. (...) / Récépissé ne peut être délivré que si les conditions énumérées au présent article sont remplies (...) ". Enfin aux termes de l'article L. 269 dudit code : " Est nul tout bulletin établi au nom d'une liste dont la déclaration de candidature n'a pas été régulièrement enregistrée. "

3. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 19 novembre 1982 modifiant le code électoral et notamment son article L. 264, d'une part, qu'une liste de candidats au second tour de scrutin ne peut être modifiée dans sa composition par rapport au premier tour que dans les conditions fixées par cet article relatives à la fusion de listes, d'autre part, que le choix d'une telle fusion, s'agissant des candidats ayant figuré sur une même liste au premier tour, appartient à la personne qui avait la qualité de responsable de cette liste.

4. Il résulte de l'instruction que la liste " Cholet autrement ", conduite par Mme B..., a été modifiée en vue du second tour de scrutin de l'élection des conseillers municipaux et des conseillers communautaires de la commune de Cholet pour accueillir des candidats de la liste " Demain Cholet ", conduite au premier tour par M. F..., ainsi que deux candidats de la liste " Cholet pour tous ", menée par M. E.... Le 28 mai 2020, lors du dépôt de la déclaration de candidature de la liste modifiée menée par Mme B..., il est constant que celle-ci était accompagnée de M. F..., lequel a notifié son choix de fusionner la liste qu'il conduisait au premier tour avec la liste " Cholet autrement ", conformément aux dispositions précitées de l'article L. 264 du code électoral. En revanche, il n'est ni établi ni même allégué que Mme B... aurait, à cette occasion, informé le sous-préfet de Cholet de la difficulté posée par la présence, sur la liste fusionnée, de deux candidats de la liste " Cholet pour tous " conduite au premier tour par M. E..., lequel avait expressément exclu toute fusion de listes entre les deux tours et n'avait par conséquent notifié aucun accord en faveur d'une telle fusion.

5. Dès lors que la notification aux services préfectoraux, par le responsable de la liste " Cholet pour tous ", de son choix de voir figurer au second tour ses anciens colistiers sur la liste " Cholet autrement ", constituait une formalité nécessaire à la validité de la déclaration de candidature de la liste fusionnée conduite par Mme B..., le sous-préfet de Cholet, en l'absence d'une telle notification, ne pouvait pas légalement procéder à l'enregistrement de cette liste. Par suite, la liste " Cholet autrement ", qui a recueilli 46,04 % des suffrages et obtenu dix sièges au conseil municipal ainsi que sept sièges au conseil communautaire, ne pouvait légalement être admise à participer au second tour de scrutin qui a eu lieu le 28 juin 2020.

6. Eu égard à la nature et aux effets de cette irrégularité, sans laquelle la liste conduite par Mme B... n'aurait pas pu participer au second tour de scrutin, ni obtenir ces sièges aux conseils municipal et communautaire après avoir recueilli une part significative des suffrages exprimés, la participation au second tour de cette liste irrégulièrement constituée a porté atteinte à la sincérité du scrutin dans son ensemble.

Sur l'inéligibilité de Mme B... :

7. Aux termes de l'article L. 118-4 du code électoral : " Saisi d'une contestation formée contre l'élection, le juge de l'élection peut déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, le candidat qui a accompli des manoeuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. / L'inéligibilité déclarée sur le fondement du premier alinéa s'applique à toutes les élections. (...) / Si le juge de l'élection a déclaré inéligible un candidat proclamé élu, il annule son élection. (...) "

8. Il résulte de ces dispositions que, régulièrement saisi d'un grief tiré de l'existence de manoeuvres, le juge de l'élection peut, le cas échéant d'office, et après avoir, dans cette hypothèse, recueilli les observations des candidats concernés, prononcer une telle sanction si les manoeuvres constatées présentent un caractère frauduleux, et s'il est établi qu'elles ont été accomplies par les candidats concernés et ont eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin.

9. En sa qualité de candidate tête de liste, Mme B... ne peut sérieusement soutenir qu'elle ignorait les règles encadrant la modification de la composition des listes électorales entre le premier et le second tour. Celle-ci avait d'ailleurs été destinataire, le 27 mai 2020, d'un courrier du préfet de Maine-et-Loire rappelant aux candidats au second tour des élections municipales la nécessité que les responsables des listes accueillies notifient aux services préfectoraux leurs choix de listes accueillantes. Les déclarations faites à la presse par l'un des anciens colistiers de Mme B... confirment, au surplus, que l'intéressée connaissait les conditions fixées par l'article L. 264 du code électoral pour réaliser une fusion de listes. Ainsi, la dissimulation du caractère irrégulier de l'accueil d'anciens colistiers de M. E... sur la liste " Cholet autrement ", sans laquelle la délivrance du récépissé remis à Mme B... en application de l'article L. 265 du code électoral n'aurait pas été possible, a constitué une manoeuvre qui, eu égard à sa nature, présente un caractère frauduleux.

10. Cette manoeuvre, qui a eu pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin ainsi qu'il a été dit au point 6 ci-dessus, doit être regardée comme personnellement imputable à Mme B..., laquelle conduisait la liste irrégulièrement constituée et a procédé à la déclaration de candidature. Eu égard à la nature et à la gravité de cette manoeuvre, il y a lieu de déclarer Mme B... inéligible pour une durée d'un an.

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a, d'une part, rejeté sa protestation tendant à l'annulation des opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 dans la commune de Cholet, et, d'autre part, rejeté ses conclusions tendant à ce que Mme B... soit déclarée inéligible.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de M. E..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que M. G... et Mme B... demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Par ailleurs il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... la somme demandée par M. E... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 28 janvier 2021 est annulé.
Article 2 : Les opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 dans la commune de Cholet sont annulées.
Article 3 : Mme A... B... est déclarée inéligible à toutes les élections pour une durée d'un an à compter de la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. D... E..., à M. C... G..., à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la commune de Cholet.


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