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Ariane Web: Conseil d'État 428437, lecture du 21 juillet 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:428437.20210721

Décision n° 428437
21 juillet 2021
Conseil d'État

N° 428437
ECLI:FR:CECHR:2021:428437.20210721
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Cécile Vaullerin, rapporteur
M. Olivier Fuchs, rapporteur public


Lecture du mercredi 21 juillet 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'État le 26 février 2019, le 2 septembre 2019 et le 24 juin 2021, l'Union des consultants et ingénieurs en environnement, l'Organisation des consultants en environnement et pollution et les Géologues indépendants de France demandent au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 19 décembre 2018 du ministre chargé de l'environnement et du ministre chargé de l'économie fixant les modalités de la certification prévue aux articles L. 556-1 et L. 556-2 du code de l'environnement et le modèle d'attestation mentionné à l'article R. 556-3 du code de l'environnement ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du directeur général de l'Association Française de Normalisation de publication et d'homologation de la norme NF X31-620 et sa décision du 4 février 2019 rejetant leur demande tendant au retrait de cette décision ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 ;
- la décret n° 2009-697 du 16 juin 2009 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Une séance orale d'instruction a été tenue par la 6ème chambre le 12 avril 2021.


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme A... B..., auditrice,

- les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Les articles L. 556-1 et L. 556-2 du code de l'environnement, dans leur rédaction issue de l'article 173 de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, imposent que le maître d'ouvrage joigne au dossier de demande d'autorisation de construire, de lotir ou d'aménager, lorsque la demande porte sur des terrains ayant accueilli une installation classée mise à l'arrêt définitif ou situés dans un secteur d'information sur les sols, une attestation de la prise en compte et de la mise en oeuvre de mesures de gestion de la pollution des sols, laquelle doit être réalisée par un bureau d'études spécialisé dans le domaine des sites et sols pollués et certifié conformément à une norme définie par arrêté du ministre chargé de l'environnement. L'article R. 556-3 du même code précise que cette attestation doit garantir la réalisation d'une étude de sols et la prise en compte des préconisations de cette étude pour assurer la compatibilité entre l'état des sols et l'usage futur du site. Elle fait l'objet d'un modèle fixé par arrêté ministériel.

2. Par une décision du 19 décembre 2018, le directeur général de l'Agence Française de Normalisation (AFNOR) a homologué la norme révisée NF X 31-620 " Qualité du sol - Prestations de services relatives aux sites et sols pollués". Par un arrêté du même jour, les ministres chargés de l'environnement et de l'économie ont prévu que les bureaux d'études chargés de délivrer cette attestation devront être certifiés conformément aux parties 1 et 5 de la norme révisée NF X 31-620 et ont défini le modèle de l'attestation. Par une décision du 4 février 2019, l'AFNOR a rejeté la réclamation de l'Union des consultants et ingénieurs en environnement (UCIE), adressée par courrier du 5 décembre 2018 et tendant au retrait de la décision d'homologation. L'UCIE et autres demandent l'annulation pour excès de pouvoir de la décision d'homologation du 19 décembre 2018, de l'arrêté de la même date et de la décision du 4 février 2019.

Sur les fins de non-recevoir :

3. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la norme X 31-620 révisée a été homologuée par une décision du 28 novembre 2018 du directeur général de l'AFNOR agissant sur délégation de son président. L'Union des consultants et ingénieurs en environnement a formé le 7 décembre 2018 une réclamation contre la décision du 19 octobre 2018 de la commission plénière de l'AFNOR d'homologuer et de publier la norme X 31-620 révisée. Présentée postérieurement à la décision d'homologation du 28 novembre 2018, elle doit être regardée comme un recours gracieux formé contre cette décision dans le délai du recours contentieux. Par suite, la requête présentée tant au nom de l'UCIE qu'en celui d'autres organismes et enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'État le 26 février 2019 n'est pas tardive.

4. D'autre part, les requérants justifient, eu égard à leur objet statutaire, d'un intérêt à l'annulation des actes qu'ils attaquent et leur requête est à ce titre recevable.

Sur la légalité de la décision d'homologation de l'AFNOR et de la décision du 4 février 2019 :

5. Aux termes de l'article 1er du décret du 16 juin 2009 : " La normalisation est une activité d'intérêt général qui a pour objet de fournir des documents de référence élaborés de manière consensuelle par toutes les parties intéressées, portant sur des règles, des caractéristiques, des recommandations ou des exemples de bonnes pratiques, relatives à des produits, à des services, à des méthodes, à des processus ou à des organisations ". Il résulte de cette disposition qu'un projet de norme doit recueillir, au terme d'un processus visant à rapprocher toutes les positions exprimées, un accord général, lequel se caractérise par l'absence d'opposition ferme d'une partie importante des représentants des intérêts en jeu à l'encontre d'éléments substantiels du projet.

6. Il ressort des pièces du dossier et de la séance orale d'instruction menée par la sixième chambre de la section du contentieux que la norme révisée NF X 31-620 définit un ensemble d'obligations et d'engagements applicables à différentes prestations de services relatives aux sites et sols pollués, notamment aux prestations d'études, d'assistance et de contrôle, d'ingénierie ou d'exécution de travaux de réhabilitation. L'ensemble des obligations et exigences énoncées par cette norme a fait l'objet d'un accord général des parties prenantes à son élaboration à l'exception de l'obligation d'emploi d'un superviseur distinct du chef de projet pour certaines prestations. Dans la recherche d'un consensus, la commission de normalisation a adapté cette obligation, en autorisant le recours à la sous-traitance. Toutefois, cette proposition, bien que destinée à éviter que les exigences contenues dans la norme technique empêchent l'accès au marché des petites structures, a suscité une opposition ferme d'une partie importante des représentants des intérêts en jeu, représentés par les associations requérantes. Dès lors, eu égard au caractère substantiel des points de désaccord, la commission de normalisation a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que le projet de norme révisée avait été élaboré de manière consensuelle.

7. Il résulte de ce qui précède que l'Union des consultants et ingénieurs en environnement et autres sont fondés, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête relatifs à ces décisions, à demander l'annulation des décisions de l'AFNOR qu'elles attaquent.

Sur la légalité de l'arrêté du ministre chargé de l'environnement et du ministre chargé de l'économie du 19 décembre 2018 :

8. S'il était loisible au ministre chargé de l'environnement et au ministre chargé de l'économie de définir par arrêté la norme prévue aux articles L. 556-1 et L. 556-2 du code de l'environnement en reprenant, le cas échéant, le contenu d'un projet de norme préparé par l'AFNOR même n'ayant pas fait l'objet d'un consensus, ils se sont bornés, en l'espèce, à rendre obligatoire, les parties 1 et 5 de la norme NF X31-620 auxquelles leur arrêté renvoie. Par suite, compte tenu de la décision d'annulation prononcée au point précédent, l'arrêté du 19 décembre 2018 ne peut qu'être annulé par voie de conséquence.

9. Compte tenu des effets excessifs d'une annulation immédiate et des risques qu'elle comporterait tant pour les porteurs de projets que pour les bureaux d'études, il y a lieu de différer l'effet de l'annulation jusqu'au 1er mars 2022.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Union des consultants et ingénieurs en environnement et autres qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, seul mis en cause au titre des mêmes dispositions, le versement à l'Union des consultants et ingénieurs en environnement et autres de la somme globale de 3 000 euros.



D E C I D E :
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Article 1er : Les décisions du 19 décembre 2018 et du 4 février 2019 du directeur général de l'Association Française de Normalisation de publication et l'arrêté du 19 décembre 2018 du ministre chargé de l'environnement et du ministre chargé de l'économie sont annulés. Ces annulations prennent effet le 1er mars 2022.
Article 2 : L'Etat versera à l'Union des consultants et ingénieurs en environnement et autres une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par l'Agence Française de Normalisation au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Union des consultants et ingénieurs en environnement, premier requérant dénommé, à la ministre de la transition écologique et à l'Association Française de Normalisation.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la relance.



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