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Ariane Web: Conseil d'État 447625, lecture du 28 septembre 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:447625.20210928

Décision n° 447625
28 septembre 2021
Conseil d'État

N° 447625
ECLI:FR:CECHR:2021:447625.20210928
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Bruno Bachini, rapporteur
M. Stéphane Hoynck, rapporteur public
SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE, avocats


Lecture du mardi 28 septembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 15 décembre 2020, 3 mai et 9 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'ordonnance n° 2020-1496 du 2 décembre 2020 relative à la centralisation des disponibilités de certains organismes au Trésor ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code monétaire et financier ;
- la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020, notamment son article 58 ;
- l'ordonnance n° 2020-1496 du 2 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Bachini, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat du Fonds de garantie des dépôts et de résolution ;



Considérant ce qui suit :

1. Eu égard aux moyens qu'elle soulève, la requête du Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR) doit être regardée comme tendant uniquement à l'annulation de l'article 1er de l'ordonnance du 2 décembre 2020 relative à la centralisation des disponibilités de certains organismes du Trésor.

2. Aux termes du I de l'article 58 de la loi du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne : " Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi, les mesures relevant du domaine de la loi destinées, afin d'améliorer la gestion de la trésorerie de l'Etat, à prescrire, sous réserve de l'article 26 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, le dépôt sur le compte du Trésor des disponibilités des personnes morales soumises aux règles de la comptabilité publique et d'organismes publics ou privés, établis par la loi, chargés d'une mission de service public et dont les disponibilités sont majoritairement issues de ressources prévues par la loi, à l'exclusion des organismes qui gèrent un régime de retraite, des organismes listés à l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles et des caisses créées en application du 9° de l'article 53 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ".

3. L'article 1er de l'ordonnance du 2 décembre 2020 relative à la centralisation des disponibilités de certains organismes du Trésor insère dans l'article L. 312-4 du code monétaire et financier un paragraphe II bis ainsi rédigé : " A l'exception des fonds issus de dons, legs ou libéralités, les disponibilités du fonds de garantie des dépôts et de résolution sont déposées au Trésor et ne donnent lieu à aucune rémunération ".

Sur les moyens de légalité externe :

4. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la rédaction des dispositions attaquées de l'article 1er de l'ordonnance du 2 décembre 2020 soumises pour avis au Conseil d'Etat ne diffère pas de celle du texte adopté par la section des finances du Conseil d'Etat. Le moyen tiré de la méconnaissance des règles qui gouvernent l'examen des projets d'ordonnance par le Conseil d'Etat doit, par suite, être écarté comme manquant en fait.

5. D'autre part, le fonds de garantie des dépôts et de résolution n'est pas fondé à soutenir que la disposition attaquée serait entachée d'incompétence négative au motif qu'elle s'abstiendrait de définir le terme de " disponibilités ", lequel désigne, sans ambigüité, l'ensemble des fonds rapidement disponibles auxquels l'organisme est susceptible d'avoir recours.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance du champ de l'habilitation :

6. En premier lieu, indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l'inverse, exclure l'existence d'un service public, une personne privée qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle de l'administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l'exécution d'un service public. Même en l'absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une telle mission.

7. D'une part, il ressort des pièces du dossier, que le fonds de garantie des dépôts et de résolution, personne morale de droit privé, qui a pour mission, en vertu de l'article L. 312-4 du code monétaire et financier, de gérer et de mettre en oeuvre le mécanisme de garantie des dépôts et le dispositif de financement de la résolution, assure une mission d'intérêt général. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article L. 312-10 du même code que son règlement intérieur et les règles d'emplois de ses fonds sont homologués par arrêté du ministre chargé de l'économie, qu'il est soumis au contrôle de l'inspection générale des finances, que les délibérations par lesquelles son conseil de surveillance arrête le taux ou le montant des contributions appelées auprès de ses adhérents ainsi que la répartition des contributions selon leur nature sont prises sur avis conforme de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et qu'un censeur d'Etat, désigné par le ministre chargé de l'économie, participe, sans voix délibérative, aux travaux du conseil de surveillance, l'article L. 312-13 du code monétaire et financier prévoyant, en outre, la possibilité pour le ministre, le gouverneur de la Banque de France, le président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, ainsi que pour le président de l'Autorité des marchés financiers ou leurs représentants d'être entendus, à leur demande, par le conseil de surveillance et le directoire. L'article L. 312-16 dispose également qu'il appartient au ministre chargé de l'économie de préciser par arrêtés, entre autres, les conditions, délais et modalités de mise en oeuvre de la garantie des dépôts, le plafond d'indemnisation par adhérent et par déposant ou encore les modalités de désignation des membres du conseil de surveillance ainsi que la durée de leur mandat. Il s'ensuit que le Fonds doit être regardé comme placé sous le contrôle de l'Etat. Enfin, le Fonds est doté, pour l'exercice de sa mission d'intérêt général, de prérogatives de puissance publique dès lors que les établissements de crédit, les entreprises d'investissement et les sociétés de financement mentionnées au II de l'article L. 511-1 du code monétaire et financier, agréés en France, ainsi que les compagnies financières holding et holding mixtes ayant leur siège en France, les entreprises de marché autorisées à fournir les services d'investissement mentionnées aux 8 et 9 de l'article L. 321-1 de ce code sont tenus d'adhérer au fonds, qu'il peut, en application de l'article L. 312-7 du même code, lever des contributions exceptionnelles et que, pour l'exercice de sa mission d'indemnisation, le fonds a, sur le fondement de l'article L. 312-15 de ce code, accès aux informations nécessaires détenues par ses adhérents, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et son collège de supervision ou son collège de résolution, y compris celles couvertes par le secret professionnel.

8. Compte tenu de tout ce qui précède, le fonds de garantie des dépôts et de résolution, qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle de l'administration en étant doté, à cette fin, de prérogatives de puissance publique, exerce une mission de service public.

9. En deuxième lieu, l'article L. 312-7 du code monétaire et financier dispose que " les adhérents au fonds de garantie des dépôts et de résolution lui procurent les ressources financières nécessaires à l'accomplissement de ses missions mentionnées à l'article L. 312-4, tant pour les mécanismes dont il a la charge que pour son fonctionnement ". De plus, aux termes de l'article L. 312-8-1 du même code : " I. - L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution arrête les modalités de calcul des contributions au mécanisme de garantie des dépôts. Ces contributions sont assises sur le montant des dépôts garantis de chaque adhérent. Cette assiette tient compte du profil de risque des différents adhérents. L'Autorité fixe également les conditions de restitution éventuelle de ces contributions en cas de variation à la baisse de leur assiette définie ci-dessus. L'Autorité fixe en outre le montant minimal dû par chaque adhérent. / II. - Le montant des contributions versées au dispositif de financement de la résolution est calculé selon les dispositions du règlement délégué (UE) 2015/63 de la Commission du 21 octobre 2014 et du règlement d'exécution (UE) 2015/81 du Conseil du 19 décembre 2014 ". Par suite, alors même que l'article L. 312-10 prévoit que le conseil de surveillance arrête le taux ou le montant des contributions appelées auprès des adhérents du fonds ainsi que leur répartition selon leur nature, les disponibilités du fonds de garantie des dépôts et de résolution doivent être regardées comme étant majoritairement issues de ressources prévues par la loi.

10. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 9 que le fonds de garantie des dépôts et de résolution est un organisme privé, établi par la loi, chargé d'une mission de service public et dont les disponibilités sont majoritairement issues de ressources prévues par la loi, au sens des dispositions précitées de l'article 58 de la loi du 17 juin 2020. Le moyen tiré de ce que l'article 1er de l'ordonnance du 2 décembre 2020 méconnaîtrait le champ de l'habilitation législative qui en est le fondement doit, par suite, être écarté

Sur la violation alléguée du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

11. Aux termes de l'article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ".

12. Il ressort des pièces du dossier que la centralisation sur le compte unique du Trésor, sans rémunération, des disponibilités du Fonds de garantie des dépôts et de résolution, disponibilités qui doivent permettre d'assurer à tout moment la garantie des dépôts et le fonctionnement du dispositif de financement de la résolution prévue par la loi, a pour but de permettre à l'Etat, dans un contexte exceptionnel de forte hausse de l'engagement financier de la puissance publique du fait de la crise sanitaire, de réduire son endettement en substituant des ressources de trésorerie à des émissions de dette. Dans ces conditions, compte tenu de la nature et des missions du fonds, et alors que cette centralisation n'affecte pas la libre administration de ses disponibilités par ce dernier, la disposition attaquée ne porte pas une atteinte excessive au droit du requérant au respect de ses biens et ne rompt pas le juste équilibre entre la protection de la propriété et les exigences de l'intérêt général.

13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, que le fonds de garantie des dépôts et de résolution n'est pas fondé à demander l'annulation de l'article 1er de l'ordonnance du 2 décembre 2020. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être également rejetées.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête du Fonds de garantie des dépôts et de résolution est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au Fonds de garantie des dépôts et de résolution et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


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