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Ariane Web: Conseil d'État 451784, lecture du 5 octobre 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:451784.20211005

Décision n° 451784
5 octobre 2021
Conseil d'État

N° 451784
ECLI:FR:CECHR:2021:451784.20211005
Inédit au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Frédéric Gueudar Delahaye, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du mardi 5 octobre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et un nouveau mémoire, enregistrés les 12 juillet et 18 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT (UFSE-CGT), la Fédération CGT des services publics, la Confédération générale du travail (CGT), la Fédération syndicale unitaire (FSU), la Fédération CGT de l'action sociale et de la santé et l'Union syndicale Solidaires Fonction Publique demandent au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation de l'ordonnance n° 2021-174 du 17 février 2021 relative à la négociation et aux accords collectifs dans la fonction publique, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du II et du III de l'article 8 octies et du second alinéa de l'article 8 sexies de la loi du 13 juillet 1983, tels qu'issus de l'article 1er de l'ordonnance du 17 février 2021.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- l'ordonnance n° 2021-174 du 17 février 2021 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT et autres ;


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 8 sexies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de l'ordonnance du 17 février 2021 relative à la négociation et aux accords collectifs dans la fonction publique : " Les mesures réglementaires incluses dans les accords mentionnés au II de l'article 8 bis ne peuvent porter sur des règles que la loi a chargé un décret en Conseil d'Etat de fixer, ni modifier des règles fixées par un décret en Conseil d'Etat ou y déroger. / Ces mesures réglementaires ne sont pas soumises à la consultation préalable des organismes consultatifs le cas échéant compétents ". Aux termes de l'article 8 octies de cette même loi, issu de la même ordonnance : " (...) II.- Un comité de suivi est désigné pour chaque accord conclu. Il est composé de membres désignés par les organisations syndicales signataires de l'accord et de représentants de l'autorité administrative ou territoriale compétente. / III.- Ces accords peuvent être modifiés par des accords conclus dans le respect de la condition de majorité déterminée au I de l'article 8 quater et selon des modalités précisées par voie réglementaire. / L'autorité administrative signataire d'un accord peut suspendre l'application de celui-ci pour une durée déterminée en cas de situation exceptionnelle et dans des conditions précisées par voie réglementaire. / Les accords peuvent faire l'objet d'une dénonciation totale ou partielle par les parties signataires selon des modalités prévues par voie réglementaire. Lorsqu'elle émane d'une des organisations syndicales signataires, la dénonciation doit répondre aux conditions prévues au I de l'article 8 quater. Les clauses réglementaires que, le cas échéant, comporte un accord faisant l'objet d'une telle dénonciation restent en vigueur jusqu'à ce que le pouvoir réglementaire ou un nouvel accord les modifie ou les abroge ".

3. Les organisations requérantes soutiennent, à l'appui d'un recours tendant à l'annulation de l'ordonnance du 17 février 2021, que les dispositions précitées du second alinéa de l'article 8 sexies méconnaissent le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail garanti par l'alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946 et que les dispositions précitées du II et du III de l'article 8 octies méconnaissent le principe de liberté syndicale garanti par l'alinéa 6 du même préambule. Ces dispositions sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

Sur la recevabilité de la demande en tant qu'elle est présentée par l'Union syndicale Solidaires Fonction Publique :

4. L'Union syndicale Solidaires Fonction Publique est intervenue au soutien de la requête de l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT et autres tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'ordonnance du 17 février 2021 et doit être regardée, en l'état du dossier, comme justifiant, par son objet statutaire et son action, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de cette demande. Si elle n'aurait pas été recevable, eu égard aux conséquences susceptibles d'en résulter quant au règlement du litige tel que déterminé par les conclusions des parties, à soulever de sa propre initiative une question prioritaire de constitutionnalité qui n'aurait pas été invoquée par l'une des parties, elle est en revanche recevable à intervenir à l'appui du mémoire par lequel il est demandé au Conseil d'Etat de renvoyer une telle question au Conseil constitutionnel. La circonstance qu'elle ne soit pas intervenue à l'appui, mais se soit directement associée à la question prioritaire de constitutionnalité présentée conjointement par les autres organisations syndicales requérantes n'est pas de nature à affecter la recevabilité de cette question en tant qu'elle émane de ces autres organisations syndicales.

Sur le second alinéa de l'article 8 sexies de la loi du 13 juillet 1983 :

5. Les organisations requérantes soutiennent que les dispositions du second alinéa de l'article 8 sexies de la loi du 13 juillet 1983, qui prévoient que les mesures réglementaires incluses dans un accord collectif ne sont pas soumises à la consultation préalable des organismes consultatifs prévue par la loi, méconnaissent le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail énoncé par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Toutefois les mesures réglementaires susceptibles de figurer dans un accord collectif ont nécessairement fait l'objet d'une négociation avec les organisations syndicales représentatives préalablement à la conclusion de l'accord. Par suite la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.

Sur le II de l'article 8 octies de la loi du 13 juillet 1983 :

7. Les organisations requérantes soutiennent que les dispositions du II de l'article 8 octies de la loi du 13 juillet 1983 qui rendent obligatoire, pour chaque accord conclu, l'organisation d'un comité de suivi, composé des seuls signataires de l'accord, portent atteinte au principe de la liberté syndicale, garanti par le sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

8. Toutefois, d'une part, la liberté contractuelle des organisations syndicales de signer ou non un accord ne saurait être affectée par l'institution systématique d'un comité de suivi. D'autre part, en vertu des dispositions des articles 8 bis et 8 ter de la loi du 13 juillet 1983, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 17 février 2021, les organisations syndicales représentatives de fonctionnaires ont qualité pour participer aux négociations relatives à l'évolution des rémunérations et du pouvoir d'achat des agents publics ainsi qu'aux accords collectifs dans les domaines mentionnés à l'article 8 ter. Par suite, les dispositions contestées de l'article 8 octies, qui prévoient que seules les organisations signataires de l'accord débattent avec l'administration, au sein du comité de suivi, sur les modalités de mise en oeuvre de cet accord, ne sauraient avoir pour objet ni pour effet d'exclure les organisations non signataires des négociations portant sur des questions qui excèdent le suivi de la mise en oeuvre de l'accord et qui relèvent des domaines dans lesquels doivent être appelées à participer l'ensemble des organisations représentatives en vertu des articles 8 bis et 8 ter de la loi du 13 juillet 1983 ou d'autres dispositions législatives ou réglementaires.

10. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.

Sur le III de l'article 8 octies de la loi du 13 juillet 1983 :

11. Les organisations requérantes critiquent enfin les dispositions du III de l'article 8 octies de la loi du 13 juillet 1983 en tant qu'elles conditionnent la dénonciation des accords conclus à des conditions de représentativité et en limitent la faculté aux seules organisations signataires. Elles soutiennent notamment qu'en cas de modification de la représentativité des organisations syndicales à l'issue d'un nouveau cycle électoral, ces dispositions peuvent conduire à priver les organisations représentatives non signataires de toute possibilité de dénonciation de ces accords, portant ainsi atteinte à la liberté syndicale. Le moyen tiré de ce que ces dispositions affectent les droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment les principes énoncés au sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, soulève une question présentant un caractère sérieux.

12. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée en tant qu'elle porte sur le III de l'article 8 octies de la loi du 13 juillet 1983. En revanche, les moyens tirés de ce que le II de l'article 8 octies ou le second alinéa de l'article 8 sexies de la loi du 13 juillet 1983 portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doivent être écartés, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.


D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du III de l'article 8 octies de la loi du 13 juillet 1983 est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT et autres en tant qu'elle porte sur le II de l'article 8 octies et sur le second alinéa de l'article 8 sexies de la loi du 13 juillet 1983.
Article 3 : Il est sursis à statuer sur la requête de l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT et autres jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT, représentante unique pour l'ensemble des requérantes ainsi qu'à la ministre de transformation et de la fonction publiques.
Copie en sera adressée au Premier ministre, à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et au ministre des solidarités et de la santé.