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Ariane Web: Conseil d'État 426462, lecture du 26 octobre 2021, ECLI:FR:CECHS:2021:426462.20211026
Decision n° 426462
Conseil d'État

N° 426462
ECLI:FR:CECHS:2021:426462.20211026
Inédit au recueil Lebon
9ème chambre
M. Cyril Martin de Lagarde, rapporteur
Mme Céline Guibé, rapporteur public
SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE, avocats


Lecture du mardi 26 octobre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Crédit Agricole a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer le rétablissement des déficits reportables du groupe fiscalement intégré Crédit Agricole au titre de l'exercice clos en 2010. Par un jugement n° 1400144 du 3 décembre 2015, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 16VE00951 du 25 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics contre ce jugement.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés le 20 décembre 2018 et le 26 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyril Martin de Lagarde, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de la société Crédit Agricole ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Crédit Agricole Leasing et Factoring, membre du groupe fiscal intégré Crédit agricole, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2010. A l'issue de ce contrôle, l'administration a considéré que la cession, le 26 octobre 2010, à une autre filiale du groupe, de l'intégralité des titres non cotés de la société Slibail Longue Durée (SLD) avait été réalisée à un prix inférieur à leur valeur réelle et estimé que l'écart de 10 032 885 euros existant entre le prix de cession déterminé par les parties et le prix rectifié par le vérificateur constituait une libéralité devant être réintégrée dans les résultats de la société vérifiée. Le ministre de l'action et des comptes publics se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 28 octobre 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel qu'il avait formé contre le jugement du 3 décembre 2015 du tribunal administratif de Montreuil qui a rétabli, dans les déficits d'ensemble reportables du groupe Crédit Agricole, au titre de l'exercice 2010, le montant de 10 032 885 euros ci-dessus mentionné.

2. D'une part, la valeur vénale d'actions non cotées en bourse sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue. L'évaluation des titres d'une telle société doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d'autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires. Toutefois, en l'absence de transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires, l'administration peut légalement se fonder sur l'une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l'actif ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes.

3. D'autre part, en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. S'agissant de la cession d'un élément d'actif immobilisé, lorsque l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, soutient que la cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale qu'elle a retenue et que le contribuable n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause cette évaluation, elle doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de l'acte de cession si le contribuable ne justifie pas que l'appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l'intérêt de l'entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu'elle en ait tiré une contrepartie.

4. Le juge apprécie le caractère significatif de l'écart entre le prix de cession et la valeur vénale des titres de société compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'après avoir relevé que l'écart entre le prix de cession des titres de la société SLD et la valeur vénale de ces titres évaluée par l'administration fiscale ne s'élevait qu'à 14,1 %, la cour a jugé que le ministre n'établissait pas l'existence d'un écart significatif entre le prix de cession et la valeur vénale des titres cédés au motif que " toute évaluation de titres non cotés en bourse comporte un aléa, tenant au choix de la ou des méthodes d'évaluation prises en compte et aux multiples correctifs qu'il est possible de retenir ".

6. En statuant ainsi, alors qu'elle avait précédemment jugé, au motif notamment que l'actif de la société SLD était majoritairement composé d'un portefeuille de placements de trésorerie, que l'administration fiscale avait pu à bon droit retenir comme unique méthode d'évaluation des titres en litige, la méthode d'évaluation dite patrimoniale ou mathématique, et écarté tous les facteurs de décote dont se prévalait la société Crédit Agricole, la cour a entaché son arrêt d'une contradiction de motifs. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat lequel n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 25 octobre 2018 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : Les conclusions de la société Crédit Agricole au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la société Crédit Agricole.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 octobre 2021 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, conseillère d'Etat, présidant ; M. Thomas Andrieu, conseiller d'Etat et M. Cyril Martin de Lagarde, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 26 octobre 2021.


La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Cyril Martin de Lagarde
La secrétaire :
Signé : Mme A... B...