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Ariane Web: Conseil d'État 448221, lecture du 9 novembre 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:448221.20211109

Décision n° 448221
9 novembre 2021
Conseil d'État

N° 448221
ECLI:FR:CECHR:2021:448221.20211109
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Stéphanie Vera, rapporteur
M. Philippe Ranquet, rapporteur public


Lecture du mardi 9 novembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une saisine enregistrée le 8 octobre 2020, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a transmis au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, en application de l'article L. 52-15 du code électoral, sa décision du 30 septembre 2020 par laquelle elle a constaté le dépôt hors délai du compte de campagne de M. M... G..., candidat tête de liste à l'élection des conseillers municipaux et communautaires de la commune d'Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine) qui s'est tenue le 15 mars 2020.

Par un jugement n° 2010239 du 10 décembre 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a déclaré M. G... inéligible pour une durée de six mois à compter de la date à laquelle ce jugement deviendrait définitif, l'a déclaré démissionnaire d'office de son mandat de conseiller municipal de la commune d'Asnières-sur-Seine et a proclamé élu M. L... C... en qualité de conseiller municipal de la même commune.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 décembre 2020 et 28 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. G... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;

2°) de juger que c'est à tort que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté son compte de campagne pour dépôt tardif ;

3°) de fixer le montant du remboursement qui lui est dû par l'Etat en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral à la somme de 48 382 euros ;

4°) Subsidiairement, de dire n'y avoir lieu à prononcer son inéligibilité.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code électoral ;
- la loi n° 2019-1269 du 2 décembre 2019 ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 118-3 du code électoral, dans sa rédaction antérieure à la loi du 2 décembre 2019 visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral :
" Saisi par la commission instituée par l'article L. 52-14, le juge de l'élection peut prononcer l'inéligibilité du candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales. (...) / Saisi dans les mêmes conditions, le juge de l'élection peut prononcer l'inéligibilité du candidat ou des membres du binôme de candidats qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l'article L. 52-12. / Il prononce également l'inéligibilité du candidat ou des membres du binôme de candidats dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales. ". Aux termes de ce même article dans sa rédaction issue de cette
loi : " Lorsqu'il relève une volonté de fraude ou un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, le juge de l'élection, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, peut déclarer
inéligible : 1° Le candidat qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l'article L. 52-12 ; (...) ".

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 15 de la loi du 2 décembre 2019 : " La présente loi, à l'exception de l'article 6, entre en vigueur le 30 juin 2020 ". Aux termes du XVI de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 : " A l'exception de son article 6, les dispositions de la loi n° 2019-1269 du 2 décembre 2019 visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral ne sont pas applicables au second tour de scrutin régi par la présente loi ". Il résulte de ces dispositions que les dispositions de la loi du 2 décembre 2019 modifiant celles du code électoral, à l'exception de son article 6, ne sont pas applicables aux opérations électorales en vue de l'élection des conseillers municipaux et communautaires organisées les 15 mars et 28 juin 2020, y compris en ce qui concerne les comptes de campagne.

3. Toutefois, l'inéligibilité prévue par les dispositions de l'article L. 118-3 du code électoral constitue une sanction ayant le caractère d'une punition. Il incombe, dès lors au juge de l'élection, lorsqu'il est saisi de conclusions tendant à ce qu'un candidat dont le compte de campagne est rejeté soit déclaré inéligible et à ce que son élection soit annulée, de faire application, le cas échéant, d'une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date des faits litigieux et celle à laquelle il statue. Le législateur n'ayant pas entendu, par les dispositions citées au point 2, faire obstacle à ce principe, le juge doit faire application aux opérations électorales mentionnées à ce même point des dispositions de cet article dans sa rédaction issue de la loi du 2 décembre 2019. En effet, cette loi nouvelle laisse désormais au juge, de façon générale, une simple faculté de déclarer inéligible un candidat en la limitant aux cas où il relève une volonté de fraude ou un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, alors que l'article L. 118-3 dans sa version antérieure, d'une part, prévoyait le prononcé de plein droit d'une inéligibilité lorsque le compte de campagne avait été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité et, d'autre part, n'imposait pas cette dernière condition pour que puisse être prononcée une inéligibilité lorsque le candidat n'avait pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrit par l'article L. 52-12 de ce même code.

4. Aux termes de l'article L. 52-12 du code électoral, dans sa rédaction antérieure à l'intervention de la loi du 2 décembre 2019 : " Chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement prévu à l'article L. 52-11 et qui a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés est tenu d'établir un compte de campagne retraçant, selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection, hors celles de la campagne officielle par lui-même ou pour son compte, au cours de la période mentionnée à l'article L. 52-4 (...). Au plus tard avant 18 heures le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin, chaque candidat ou candidat tête de liste présent au premier tour dépose à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques son compte de campagne et ses annexes accompagné des justificatifs de ses recettes, notamment d'une copie des contrats de prêts conclus en application de l'article
L. 52-7-1 du présent code, ainsi que des factures, devis et autres documents de nature à établir le montant des dépenses payées ou engagées par le candidat ou pour son compte. Le compte de campagne est présenté par un membre de l'ordre des experts-comptables et des comptables agréés ; celui-ci met le compte de campagne en état d'examen et s'assure de la présence des pièces justificatives requises. (...) ". Aux termes de l'article L. 52-15 du même code : " La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. (...) Lorsque la commission a constaté que le compte de campagne n'a pas été déposé dans le délai prescrit, si le compte a été rejeté (...), la commission saisit le juge de l'élection (...) ". En vertu du 4° du XII de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020, la date limite pour déposer le compte de campagne a été fixée, par dérogation aux dispositions de l'article L. 52-12 du code électoral, au 10 juillet 2020 à 18 heures, pour les listes de candidats présentes au seul premier tour du 15 mars 2020.

5. En application des dispositions précitées de l'article L. 118-3 du code électoral, dans sa rédaction issue de la loi du 2 décembre 2019, en dehors des cas de fraude, le juge de l'élection ne peut prononcer l'inéligibilité d'un candidat sur le fondement de ces dispositions que s'il constate un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales. Il lui incombe à cet effet de prendre en compte l'ensemble des circonstances de l'espèce et d'apprécier s'il s'agit d'un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales et s'il présente un caractère délibéré.

Sur le dépôt du compte de campagne :

6. Il résulte de l'instruction que le compte de campagne de M. G..., candidat tête de liste aux élections qui se sont déroulées le 15 mars 2020 en vue de la désignation des conseillers municipaux de la commune d'Asnières-sur-Seine, a été déposé à la CNCCFP le 13 juillet à 9 heures, soit après l'expiration du délai imparti pour procéder à ce dépôt, le 10 juillet 2020 à 18 heures. La circonstance que son mandataire financier aurait envoyé à la CNCCFP par courrier électronique le même jour à 19 heures 57, ce compte, qui n'a d'ailleurs été certifié par l'expert-comptable que postérieurement à l'expiration du délai, est en tout état de cause sans incidence à cet égard. Par suite, c'est à bon droit que la CNCCFP a constaté que ce compte avait été déposé hors délai.

Sur le remboursement des dépenses électorales dû par l'Etat :

7. Aux termes du second alinéa de l'article L. 118-2 du code électoral dans sa version en vigueur à la date de l'élection : " (...) lorsqu'il constate que la commission instituée par l'article L. 52-14 n'a pas statué à bon droit, le juge de l'élection fixe le montant du remboursement dû au candidat en application de l'article L. 52-11-1 ". Aux termes de l'article L. 52-11-1 du même code dans sa version en vigueur à la date de l'élection : " Les dépenses électorales des candidats aux élections auxquelles l'article L. 52-4 est applicable font l'objet d'un remboursement forfaitaire de la part de l'Etat égal à 47,5 % de leur plafond de dépenses. Ce remboursement ne peut excéder le montant des dépenses réglées sur l'apport personnel des candidats et retracées dans leur compte de campagne. / Le remboursement forfaitaire n'est pas versé aux candidats qui ont obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés au premier tour de scrutin, qui ne se sont pas conformés aux prescriptions de l'article L. 52-11, qui n'ont pas déposé leur compte de campagne dans le délai prévu au deuxième alinéa de l'article L. 52-12 ou dont le compte de campagne est rejeté pour d'autres motifs ou qui n'ont pas déposé leur déclaration de situation patrimoniale, s'ils sont astreints à cette obligation (...) ". Dès lors, ainsi qu'il a été dit au point 6, que la CNCCFP a constaté à bon droit que le compte de M. G... a été déposé hors délai, il n'y a pas lieu pour le Conseil d'Etat de fixer le montant du remboursement forfaitaire qui lui est dû.

Sur l'inéligibilité :

8. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'équipe de campagne de M. G... a eu des échanges soutenus avec l'expert-comptable chargé de la certification du compte de campagne, notamment dans les semaines précédant la date limite de dépôt, afin de le compléter et de le signer dans les délais prescrits. En outre, dès qu'il a constaté, le 10 juillet 2021, que le délai de dépôt du compte de campagne avait été dépassé, le mandataire de M. G... a transmis ce compte par voie électronique à la CNCCFP en fournissant des éléments d'explication concernant ce retard. Ainsi, malgré l'importance du montant des dépenses en cause et eu égard, dans les circonstances de l'espèce, au caractère non délibéré de ce manquement, celui-ci ne justifie pas que M. G... soit déclaré inéligible en application des dispositions précitées de l'article L. 118-3 du code électoral.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. G... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'a déclaré inéligible pour une durée de six mois et démissionnaire d'office de son mandat de conseiller municipal et a proclamé M. L... C... élu en qualité de conseiller municipal à sa place.



D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1 et 2 du jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du
10 décembre 2020 sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. G... est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. M... G... et à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
Copie en sera adressée au préfet des Hauts-de-Seine, au ministre de l'intérieur, et à M. L... C....
Délibéré à l'issue de la séance du 18 octobre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. H... K...,
M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. I... O..., Mme A... N... et M. D... F..., M. E... P... et M. Jean-Yves Ollier conseillers d'Etat ; Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.


Rendu le 9 novembre 2021.


Le Président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Stéphanie Vera
La secrétaire :
Signé : Mme J... B...



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