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Ariane Web: Conseil d'État 433301, lecture du 6 décembre 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:433301.20211206

Décision n° 433301
6 décembre 2021
Conseil d'État

N° 433301
ECLI:FR:CECHR:2021:433301.20211206
Publié au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Matias de Sainte Lorette, rapporteur
Mme Céline Guibé, rapporteur public
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du lundi 6 décembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

L'établissement public coréen National Pension Service a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer le remboursement de la retenue à la source mise à sa charge au titre de l'année 2013. Par un jugement n° 1500124 du 15 novembre 2016, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 16VE03906 du 4 avril 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le National Pension Service contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 5 août et 28 octobre 2019, les 15 janvier et 24 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le National Pension Service demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la convention signée le 19 juin 1979 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Corée tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001 ;
- la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de l'établissement public coréen National Pension Service ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'établissement public coréen National Pension Service (NPS), caisse de retraite en charge du régime général d'assurance vieillesse coréen, dont le siège est à Séoul, a été initialement soumis, au titre de l'année 2013, à la retenue à la source sur les dividendes de sociétés françaises perçus par lui au cours de cette année, au taux de 30 %. Ce taux a été ramené par l'administration à 15 % à la suite d'une réclamation préalable. Le NPS a toutefois présenté une nouvelle réclamation tendant à être totalement exonéré. Le NPS se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 4 avril 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son appel contre le jugement du 15 novembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

2. Aux termes du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France, autres que des organismes de placement collectif constitués sur le fondement d'un droit étranger situés dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un autre Etat ou territoire ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales et qui satisfont aux deux conditions suivantes : / 1° Lever des capitaux auprès d'un certain nombre d'investisseurs en vue de les investir, conformément à une politique d'investissement définie, dans l'intérêt de ces investisseurs ; / 2° Présenter des caractéristiques similaires à celles d'organismes de placement collectif de droit français relevant des 1,5 ou 6 du I de l'article L. 214-1 du code monétaire et financier ". Aux termes de l'article 187 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " 1. Sous réserve des dispositions du 2, le taux de la retenue à la source prévue à l'article 119 bis est fixé à : / (...) / Celui prévu au 2° de l'article 219 bis, pour les dividendes qui bénéficient à des organismes qui ont leur siège dans un Etat membre de la Communauté européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales et qui seraient imposés dans les conditions prévues au 5 de l'article 206 s'ils avaient leur siège en France ; / (...) / - 30 % pour tous les autres revenus ".

3. Aux termes de l'article 206 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " 1 bis. (...) ne sont pas passibles de l'impôt sur les sociétés prévu au 1 (...) les fondations reconnues d'utilité publique (...) dont la gestion est désintéressée, lorsque leurs activités non lucratives restent significativement prépondérantes et le montant de leurs recettes d'exploitation encaissées au cours de l'année civile au titre de leurs activités lucratives n'excède pas 60 000 ? (...). / (...) / 5. Sous réserve des exonérations prévues aux articles 1382 et 1394, les établissements publics, autres que les établissements scientifiques, d'enseignement et d'assistance, ainsi que les associations et collectivités non soumis à l'impôt sur les sociétés en vertu d'une autre disposition, à l'exception, d'une part, des fondations reconnues d'utilité publique et, d'autre part, des fonds de dotation dont les statuts ne prévoient pas la possibilité de consommer leur dotation en capital, sont assujettis audit impôt en raison des revenus patrimoniaux qui ne se rattachent pas à leurs activités lucratives. / Sont qualifiés de revenus patrimoniaux : / (...) c. les revenus de capitaux mobiliers dont ils disposent, lorsque ces revenus n'entrent pas dans le champ d'application de la retenue à la source visée à l'article 119 bis ; ces revenus sont comptés dans le revenu imposable pour leur montant brut ; ". Enfin, aux termes de l'article 219 bis du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Par dérogation aux dispositions de l'article 219, le taux de l'impôt sur les sociétés est fixé à 24 % en ce qui concerne les revenus visés au 5 de l'article 206, perçus par les établissements publics, associations et collectivités sans but lucratif. / (...) / 2° Ce taux est fixé à 15 % pour les dividendes ".

4. En premier lieu, le requérant soutenait devant la cour que son assujettissement à une retenue à la source au taux de 15 % sur les dividendes de source française qu'il avait perçus constituait un traitement défavorable par rapport aux organismes de retraite français qui auraient été, selon lui, exonérés à raison de tels revenus en application du 5 de l'article 206 du code général des impôts.

5. Toutefois, il résulte des dispositions du 5 de l'article 206 et celles de l'article 219 bis du code général des impôts applicables au litige, issues de l'article 34 de la loi du 30 décembre 2009 susvisée, qu'un organisme sans but lucratif établi en France ayant pour objet de servir des pensions de retraite est assujetti à l'impôt sur les sociétés à raison de dividendes de source française au taux de 15 %, sauf si ces revenus sont soumis à la retenue à la source visée à l'article 119 bis du code général des impôts. Ces dispositions sont applicables y compris lorsque les dividendes qu'il perçoit, qui ne peuvent être regardés comme découlant directement de la réalisation même de son activité, seraient ultérieurement affectés à la réalisation de celle-ci et permettraient à l'organisme de disposer des ressources nécessaires à l'accomplissement de sa mission.

6. Par suite, en jugeant que les organismes établis en France dont l'objet est de servir des pensions de retraite, tels que la caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), l'institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques (IRCANTEC) ou l'établissement de retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP) étaient également soumis à une imposition de 15 % pour les revenus tirés des placements de leurs fonds, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

7. En deuxième lieu, il résulte des dispositions de l'article 206 du code général des impôts, citées au point 3 ci-dessus, que les fondations reconnues d'utilité publique sont exonérées de l'impôt sur les sociétés pour les revenus qu'elles tirent de la perception de dividendes. Cette exonération étant applicable aux fondations reconnues d'utilité publique à raison du caractère non lucratif de leur activité et non d'une charge d'intérêt général qui pèserait sur les seuls fondations résidentes de France, elle ne saurait être refusée à des organismes similaires établis hors de France qu'à raison de l'existence d'une différence de situation objective entre les organismes français et ceux de l'Etat de résidence, sauf à méconnaître la libre circulation des capitaux. Peut ainsi bénéficier de ce régime un organisme établi à l'étranger qui établit que, à l'instar d'une fondation reconnue d'utilité publique établie en France, sa gestion présente un caractère désintéressé, qu'il affecte de manière irrévocable ses biens, droits ou ressources à la réalisation d'activités d'intérêt général et à but non lucratif, qu'il est soumis au contrôle des autorités publiques de son Etat d'établissement et qu'il est administré par un organe collégial dont la composition reflète les particularités propres à cet organisme et assure une présence suffisante de représentants qualifiés de l'intérêt général.

8. Il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le NPS exerce une activité d'assurance pour laquelle il perçoit des cotisations et reverse des pensions à ses assurés. Par suite, il ne peut être regardé comme affectant de façon irrévocable ses ressources à son activité. Dans ces conditions, il ne saurait bénéficier de l'exonération prévue en faveur des fondations reconnues d'utilité publique établies en France. Ce motif, qui résulte de faits constants, justifie le dispositif de l'arrêt attaqué et doit être substitué au motif erroné retenu par la cour, tiré de ce que les revenus du patrimoine perçus par le NPS ne constituaient pas la source principale de financement de ses activités.

9. En troisième lieu, aux termes du III de l'article 6 de la loi du 17 juin 2001 portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel : " Le Fonds de réserve pour les retraites visé à l'article L. 135-6 du code de la sécurité sociale est exonéré de l'impôt sur les sociétés prévu au 5 de l'article 206 du code général des impôts ". Aux termes de l'article L. 135-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à l'année 2013 : " Il est créé un établissement public de l'Etat à caractère administratif, dénommé " Fonds de réserve pour les retraites ", placé sous la tutelle de l'Etat. / Ce fonds a pour mission principale de gérer les sommes qui lui sont affectées afin de constituer des réserves destinées à contribuer à la pérennité des régimes de retraite. / Les réserves sont constituées au profit des régimes obligatoires d'assurance vieillesse visés à l'article L. 222-1 et aux 1° et 2° de l'article L. 621-3 ainsi que du fonds mentionné à l'article L. 135-1. / Les sommes affectées au fonds sont mises en réserve jusqu'au 1er janvier 2011. A compter de cette date et jusqu'en 2024, le fonds verse chaque année, au plus tard le 31 octobre, 2,1 milliards d'euros à la Caisse d'amortissement de la dette sociale afin de participer au financement des déficits, au titre des exercices 2011 à 2018, des organismes mentionnés à l'alinéa précédent. (...) ".

10. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que si le NPS gère, à l'instar du Fonds de réserve pour les retraites (FRR) français, le fonds de réserve des retraites coréen, il exerce également, contrairement au fonds français, la gestion du régime général de retraite de Corée. Par suite, le NPS n'est pas dans une situation objectivement comparable à celle du FRR. Il y a lieu, dès lors, de substituer ce motif, qui résulte de faits constants, à celui, erroné, retenu par l'arrêt attaqué, tiré de ce que le FRR était un fonds de dotation.

11. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le NPS soutenait devant la cour être soumis à un traitement défavorable par rapport aux organismes de retraite français lorsque ceux-ci investissent dans des sociétés françaises par l'intermédiaire d'organismes de placement collectif. En jugeant que le requérant ne pouvait alléguer une telle discrimination dès lors qu'il gérait directement ses investissements sans recourir à l'intermédiation d'un organisme de placement collectif, la cour n'a pas commis d'erreur de droit. En statuant ainsi, la cour qui a implicitement mais nécessairement écarté l'argumentation tirée de ce que le NPS ne disposait pas de la faculté de recourir à cette intermédiation, a suffisamment motivé son arrêt.

12. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le NPS soutenait subir un traitement discriminatoire par rapport aux organismes de placement collectif exonérés de retenue à la source en application du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts. Toutefois, en jugeant que les affiliés au régime de retraite géré par le requérant ne supportaient pas le risque de gestion du fonds dans lequel les actifs étaient regroupés, la cour a suffisamment motivé son arrêt sur ce point et a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

13. En sixième lieu, aux termes du 1 de l'article 24 de la convention fiscale du 19 juin 1979 entre la France et la Corée : " Les nationaux d'un Etat, qu'ils soient ou non-résidents de l'un des Etats, ne sont soumis dans l'autre Etat à aucune imposition ou obligation y relative, qui est autre ou plus lourde que celle à laquelle sont ou pourront être assujettis les nationaux de cet autre Etat se trouvant dans la même situation ". Pour l'application de ces stipulations, une caisse de retraite gérant un régime obligatoire d'assurance vieillesse établie en Corée ne se trouve pas dans la même situation qu'une caisse de retraite gérant un régime obligatoire d'assurance vieillesse établie en France, eu égard notamment aux bénéfices que les assurés français peuvent en retirer. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du paragraphe 1 de l'article 24 de la convention fiscale franco-coréenne ne peut utilement être invoqué.

14. En dernier lieu, lorsqu'un contribuable non-résident conteste, au regard de la libre circulation des capitaux, l'imposition à laquelle il a été assujetti sur ses revenus de source française, il convient de comparer la charge fiscale supportée respectivement par ce contribuable et un contribuable résident de France placé dans une situation comparable. Lorsqu'il apparaît que le contribuable non-résident a été effectivement traité de manière défavorable, il appartient à l'administration fiscale et, le cas échéant, au juge de l'impôt, de dégrever l'imposition en litige dans la mesure nécessaire au rétablissement d'une équivalence de traitement.

15. D'une part, le NPS n'étant comparable à aucun des organismes établis en France mentionnés aux points 8, 10 et 12 et bénéficiant d'une exonération d'impôt sur les sociétés et ayant été effectivement imposé au taux de 15 % sur les dividendes de source française qu'il a perçus, à l'instar des organismes de retraite français ainsi qu'il a été dit au point 6, il résulte de ce qui a été dit au point 14 que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'il ne pouvait se prévaloir d'aucun traitement discriminatoire, incompatible avec la libre circulation des capitaux.

16. D'autre part, le moyen tiré de ce que l'article 187 du code général des impôts méconnaitrait la libre circulation des capitaux en ce qu'il prévoit un taux de retenue à la source de 30 % sur les dividendes de source française perçus par une personne morale établie dans un Etat tiers et que cette incompatibilité devrait conduire à la décharge totale de la retenue à la source en litige est inopérant dès lors qu'ainsi qu'il a été dit, le NPS a été imposé au taux prévu au 2° de l'article 219 bis du code général des impôts pour les organismes de retraite français, pour satisfaire aux exigences de la libre circulation des capitaux.

17. Enfin, s'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a relevé que le NPS avait été " imposé sur le fondement du 5 de l'article 206 du code général des impôts " alors que l'imposition en litige résultait de l'application du 2 de l'article 119 bis de ce code et de la règle énoncée au point 14, cette omission est restée sans influence sur le raisonnement suivi par la cour à laquelle il appartenait d'examiner, pour apprécier l'existence éventuelle d'une atteinte à la libre circulation des capitaux, si le requérant avait été soumis à un traitement défavorable par rapport à un organisme de retraite établi en France imposé, sur les dividendes qu'il perçoit, en vertu du 5 de l'article 206 et du 2° de l'article 219 bis de ce code. Pour le même motif, le défaut de citation des dispositions précitées est sans influence sur le sens de la décision attaquée.

18. Il résulte de tout ce qui précède que le NPS n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat lequel n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du National Pension Service est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'établissement National Pension Service et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.




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