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Ariane Web: Conseil d'État 445108, lecture du 10 décembre 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:445108.20211210

Décision n° 445108
10 décembre 2021
Conseil d'État

N° 445108
ECLI:FR:CECHR:2021:445108.20211210
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Sébastien Ferrari, rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; CABINET MUNIER-APAIRE, avocats


Lecture du vendredi 10 décembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société anonyme (SA) Enedis a demandé au tribunal administratif de Dijon de prononcer l'annulation de deux titres exécutoires émis à son encontre le 21 juillet 2017 par le président de la communauté urbaine Creusot-Montceau (CUCM) pour des montants respectifs de 60 275,85 et 6 027,59 euros au titre de la redevance d'occupation provisoire de son domaine public en 2016. Par un jugement nos 1702302, 1702303 du 3 mai 2018, ce tribunal, après avoir joint ces demandes, a annulé les deux titres exécutoires contestés.

Par un arrêt n° 18LY02549 du 6 août 2020, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la communauté urbaine Creusot-Montceau contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 octobre 2020 et 5 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la communauté urbaine Creusot-Montceau demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la société Enedis la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de l'énergie ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sébastien Ferrari, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la communauté urbaine Creusot Montceau et au cabinet Munier-Apaire, avocat de Enedis ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le conseil communautaire de la communauté urbaine Creusot Montceau (CUCM) a institué, par deux délibérations des 4 novembre 2015 et 28 avril 2016, en application des dispositions de l'article L. 2333-84 du code général des collectivités territoriales, des redevances à la charge des opérateurs de transport et de distribution d'électricité en contrepartie, respectivement, de l'occupation du domaine public routier par leurs ouvrages et de l'occupation provisoire de ce domaine par les chantiers de travaux qu'ils réalisent et en a fixé le montant. Sur le fondement de ces délibérations, le président de la CUCM a émis, le 21 juillet 2017, deux titres exécutoires à l'encontre de la société Enedis d'un montant respectif de 60 275,85 euros et de 6 027,59 euros. La société Enedis a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler ces titres exécutoires. Par un jugement du 3 mai 2018, ce tribunal a fait droit à sa demande. La CUCM se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 6 août 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 5215-20-1 du code général des collectivités territoriales : " I. ' Les communautés urbaines existant à la date de promulgation de la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 (...) continuent d'exercer à titre obligatoire, au lieu et place des communes membres, les compétences suivantes : / (...) 11° Voirie et signalisation, création et entretien des infrastructures de charge de véhicules électriques ; (...) ". En vertu de l'article L. 5215-28 de ce code, les immeubles faisant partie du domaine public des communes appartenant à l'agglomération sont transférés en pleine propriété à la communauté urbaine, de même que les droits et obligations qui y sont attachés, au plus tard un an après les transferts de compétences. Aux termes de l'article L. 5211-36 du même code : " Sous réserve des dispositions qui leur sont propres, les dispositions du livre III de la deuxième partie sont applicables aux établissements publics de coopération intercommunale ".

3. Aux termes de l'article L. 2333-84 du code général des collectivités territoriales : " Le régime des redevances dues aux communes en raison de l'occupation de leur domaine public par les ouvrages de transport et de distribution d'électricité et de gaz et par les lignes ou canalisations particulières d'énergie électrique et de gaz, ainsi que pour les occupations provisoires de leur domaine public par les chantiers de travaux, est fixé par décret en Conseil d'Etat (...) ". Si ces dispositions se réfèrent seulement au domaine public communal, elles sont applicables, en vertu de l'article L. 5211-36 du même code, aux communautés urbaines, auxquelles a été transférée la voirie ainsi que les droits et obligations qui y sont attachés, afin qu'elles fixent les tarifs des redevances d'occupation dues par les opérateurs de transport et de distribution d'électricité et de gaz.

4. Il résulte des pièces du dossier soumis au juge du fond qu'à la date des délibérations en litige, la CUCM exerçait, sur le territoire de ses communes membres, la compétence relative à la voirie et que celle-ci lui avait été transférée en pleine propriété. Dès lors, la cour ne pouvait, sans commettre d'erreur de droit, se fonder, pour confirmer l'illégalité des titres exécutoires contestés, sur ce que cette communauté urbaine n'était pas habilitée à mettre en oeuvre le régime prévu à l'article L. 2333-84 du code général des collectivités territoriales.

5. Il suit de là, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la CUCM est fondée à demander, pour ce motif, l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur le moyen tiré de l'absence de délégation régulière du signataire des titres exécutoires litigieux :

7. Aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ". Si la société Enedis soutient, dans le dernier état de ses écritures, que le bordereau des titres exécutoires litigieux serait imprécis à cet égard, il en ressort toutefois qu'y figurent lisiblement le prénom, le nom et le titre de Mme G... D..., directrice générale adjointe des services de la CUCM, laquelle avait valablement reçu délégation pour les signer.

Sur le moyen tiré de l'applicabilité de l'article R. 2333-106 du code général des collectivités territoriales :

8. En vertu de l'article R. 2333-105 du code général des collectivités territoriales, pris pour l'application de son article L. 2333-84, la redevance due à la commune pour l'occupation de son domaine public par les ouvrages des réseaux publics de transport et de distribution d'énergie électrique est fixée par le conseil municipal dans la limite de plafonds fixés par cet article selon un barème progressif en fonction de la population de la commune. Les redevances dues pour l'occupation provisoire du domaine public par les chantiers de travaux sur des ouvrages du réseau public de distribution d'électricité sont, en application de l'article R. 2333-105-2 du même code, fixées par le conseil municipal dans la limite du dixième du plafond prévu pour la redevance due par le gestionnaire du réseau de distribution au titre de l'article en application de l'article R. 2333-105.

9. L'article R. 2333-106 du même code, également pris pour l'application de l'article L. 2333-84, prévoit que : " Lorsqu'une partie du domaine public communal est mise à la disposition d'un établissement public de coopération intercommunale ou d'un syndicat mixte, dans les conditions fixées à l'article L. 1321-2 du présent code, la commune, l'établissement public de coopération intercommunale ou le syndicat mixte fixent, chacun en ce qui le concerne, le montant des redevances dues pour l'occupation du domaine public qu'ils gèrent par les ouvrages des réseaux publics de transport et de distribution d'énergie ou par les chantiers de travaux sur ces ouvrages. / Le montant de la redevance mentionnée à l'article R. 2333-105 fixé par chacun des gestionnaires mentionnés à l'alinéa précédent est alors limité à un montant égal au plafond calculé dans les conditions fixées par l'article R. 2333-105 du présent code et multiplié par un coefficient égal au rapport entre la longueur des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité installés sur leurs domaines respectifs et la longueur totale de ces réseaux installés sur le territoire de la commune. Le montant de la redevance mentionnée à l'article R. 2333-105-2 fixé par chacun des gestionnaires concernés est limité à un dixième de la redevance due à chacun d'eux au titre de l'occupation permanente de leurs domaines respectifs par les ouvrages des réseaux publics de distribution d'électricité ".

10. Il résulte des dispositions de l'article R. 2333-106 du code général des collectivités territoriales, cité ci-dessus, que lorsqu'une partie du domaine public d'une commune est mis à la disposition d'un établissement public de coopération intercommunale, l'un comme l'autre fixent le montant des redevances dues à raison de l'occupation, par les ouvrages des réseaux publics de transport et de distribution d'énergie électrique, des dépendances domaniales dont ils sont gestionnaires, dans les limites du plafond communal global prévu par l'article R. 2333-105 du même code, réparti au prorata de l'occupation par ces réseaux de leur domaine public respectif. Ces dispositions s'appliquent également lorsqu'un établissement public de coopération intercommunale est devenu propriétaire de dépendances du domaine public par l'effet d'un transfert de compétences. Ainsi, lorsque des ouvrages des réseaux publics de transport et de distribution d'énergie électrique occupent à la fois le domaine public d'une communauté urbaine et celui de ses communes membres, les tarifs de la redevance instituée par la communauté urbaine à raison de l'occupation permanente de son propre domaine public par ces ouvrages doivent être fixés dans la limite, pour chacune des communes, d'une fraction du plafond communal global, calculée au prorata de la longueur des réseaux installés sur ce domaine public par rapport à la longueur totale des réseaux installés sur le territoire de la commune concernée. De même, les tarifs de la redevance due à raison de l'occupation provisoire de ce domaine public pour les besoins de chantiers de travaux sur des ouvrages du réseau public de distribution d'électricité doivent être fixés dans la limite, pour chacune des communes, du dixième de cette même fraction.

11. Il résulte de l'instruction qu'à la date des délibérations fixant les redevances en litige, une partie des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité présents sur le territoire de la CUCM occupaient, non pas la voirie appartenant à cette dernière, mais des dépendances du domaine public de ses communes membres.

12. Dès lors, les délibérations des 4 novembre 2015 et 28 avril 2016 de la CUCM, qui fixent les tarifs au niveau maximal autorisé par le barème de l'article R. 2333-105 du code général des collectivités territoriales appliqué à la somme des populations de ses communes membres, méconnaissent la règle de plafonnement mentionnée au point 10 ci-dessus et sont illégales dans cette mesure. Toutefois, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, la société Enedis est seulement fondée, en excipant de cette illégalité, à demander l'annulation des titres litigieux en tant qu'ils ont mis à sa charge des sommes excédant le montant déterminé par application de cette règle.

13. Il y a lieu, par suite, de réformer en ce sens le jugement du tribunal administratif.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Enedis qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Enedis au titre des mêmes dispositions.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 6 août 2020 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé.
Article 2 : Les titres exécutoires du 21 juillet 2017 sont annulés en tant qu'ils ont mis à la charge de la société Enedis des sommes excédant celles calculées conformément à la règle énoncée au point 10 de la présente décision.
Article 3 : L'article 1er du jugement du 3 mai 2018 du tribunal administratif de Dijon est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 de la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de l'appel de la communauté urbaine Creusot-Montceau est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par la société Enedis et par la communauté urbaine Creusot-Montceau au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la communauté urbaine Creusot-Montceau et à la société anonyme Enedis.
Copie en sera adressée à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités et à la ministre de la transition écologique.
Délibéré à l'issue de la séance du 1er décembre 2021 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Pierre Collin, président de chambre ; M. I... M..., M. E... L..., M. J... H..., M. B... N..., Mme K... A..., M. Jonathan Bosredon, conseillers d'Etat et M. Sébastien Ferrari, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 10 décembre 2021.

Le président :
Signé : M. Guillaume Goulard
Le rapporteur :
Signé : M. Sébastien Ferrari
La secrétaire :
Signé : Mme C... F...


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