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Ariane Web: Conseil d'État 443815, lecture du 13 décembre 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:443815.20211213

Décision n° 443815
13 décembre 2021
Conseil d'État

N° 443815
ECLI:FR:CECHR:2021:443815.20211213
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Bruno Delsol, rapporteur
M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public
SCP SEVAUX, MATHONNET ; SCP GASCHIGNARD, avocats


Lecture du lundi 13 décembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu les procédures suivantes :

1° M. et Mme D... O..., M. et Mme S... I..., M. G... U..., M. P... F..., Mme Q... F..., M. X... E..., M. S... E... et
Mme H... E... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 20 mars 2018 par lequel le maire d'Erquy (Côtes-d'Armor) a délivré à la SARL Kaufman et Broad Bretagne et à la SAS Immobilière Domusvi un permis de construire un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et une " résidence services seniors " sur un terrain situé rue des Plages Sauvages. Par un jugement n° 1803407 du 14 juin 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 19NT03215 du 3 juillet 2020, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté leur appel.



2° La SCI Les Prés Biard ainsi que M. R... C... et Mme K... C... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler, pour excès de pouvoir, le même arrêté du maire d'Erquy. Par un jugement n° 1802003 du 14 juin 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 19NT03319 du 3 juillet 2020, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté leur appel.


....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de M. et Mme D... O..., de M. et Mme S... I..., de M. G... U..., de M. P... F..., de Mme Q... F..., de M. X... E..., de M. S... E... et de
Mme H... E..., à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de la société Kaufman et Broad Bretagne et de la société immobilière Domusvi , à la SCP Gaschignard, avocat de M. et Mme R... C... et A... la société Les Prés Biard ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 20 mars 2018, le maire d'Erquy a accordé à la SARL Kaufman et Broad Bretagne et à la SAS immobilière Domusvi un permis de construire un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et une " résidence services seniors ". Le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de M. et Mme O... et autres et la demande de M. et Mme C... et A... la société Les Prés Biard tendant à l'annulation de cet arrêté. M. et Mme O... et autres, d'une part, M. et Mme C... et la société Les Prés Biard, d'autre part, se pourvoient en cassation contre les arrêts par lesquels la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté leurs appels respectifs. Les deux pourvois présentant à juger les mêmes questions, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 121-13 du code de l'urbanisme : " L'extension limitée de l'urbanisation des espaces proches du rivage (...) est justifiée et motivée dans le plan local d'urbanisme, selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l'accueil d'activités économiques exigeant la proximité immédiate de l'eau ". Une opération qu'il est projeté de réaliser en agglomération ou, de manière générale, dans des espaces déjà urbanisés ne peut être regardée comme une " extension de l'urbanisation " au sens de cet article que si elle conduit à étendre ou à renforcer de manière significative l'urbanisation de quartiers périphériques ou si elle modifie de manière importante les caractéristiques d'un quartier, notamment en augmentant sensiblement la densité des constructions. En revanche, la seule réalisation dans un quartier urbain d'un ou plusieurs bâtiments qui est une simple opération de construction ne peut être regardée comme constituant une extension au sens de la loi.

3. La cour administrative d'appel, après avoir constaté que le projet en cause prévoyait, dans une zone où l'habitat était très majoritairement pavillonnaire, la création, sur un terrain, qui n'était initialement pas bâti, d'une surface de plancher de 4 346 m², sur un terrain de 9 742 m², comportant un premier bâtiment concernant un EHPAD de 58 chambres, en R+2, et un second bâtiment concernant une résidence pour séniors de 15 appartements, en R+1, a toutefois relevé que le quartier comportait déjà trois immeubles de logements collectifs aux dimensions comparables. En estimant qu'ainsi, eu égard aux caractéristiques du quartier urbain dans lequel il s'implantait, le projet n'entraînait pas une densification significative de la zone et que, dès lors, sa réalisation devait être regardée comme une simple opération de construction ne constituant pas une extension de l'urbanisation au sens de l'article L. 121-13 du code de l'urbanisme, elle n'a pas entaché son arrêt de dénaturation des faits et des pièces du dossier.

4. En deuxième lieu, les dispositions règlementaires de l'aire de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP) applicables au secteur S2 prescrivent notamment de " valoriser un bâti disséminé ", de " préserver la densité et l'échelle du bâti ", de " maintenir et renforcer le caractère de chaque secteur " et de " respecter la morphologie urbaine existante (...) par la volumétrie ". Une orientation d'aménagement et de programmation du plan local d'urbanisme a prévu la réalisation de l'EHPAD et de la " résidence services seniors ", et précise que " la hauteur et l'emprise au sol de ces constructions est nécessairement plus importante que celles des constructions environnantes ". La cour, en relevant notamment que les dimensions du projet demeuraient limitées et que les constructions prévues ne dépasseraient pas deux étages, et en déduisant de l'ensemble de ses constatations que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'AVAP n'était pas fondé, n'a pas entaché son arrêt de dénaturation des faits et des pièces du dossier.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 123-9 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable au plan local d'urbanisme d'Erquy : " (...) des règles particulières peuvent être applicables aux constructions et installations nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif. (...) ". L'article 1AU 2 du règlement du plan local d'urbanisme prévoit que, pour les constructions, installations et équipements nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif, seuls s'appliquent les articles 1AU 6 et 7. Un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes relève de la catégorie des constructions nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif. Les requérants soutenaient devant les juges du fond que la décision en litige méconnaissait les règles de hauteur fixées par l'article 1AU 10 du plan local d'urbanisme et les règles relatives au nombre de places de stationnement fixées par l'article 1AU 12, et que le projet ne pouvait être fondé sur la dérogation prévue par l'article 1AU 2, au motif que celle-ci serait insuffisamment encadrée et, par suite, illégale. Aucune disposition du code de l'urbanisme ne rend toutefois obligatoire la fixation, dans les plans locaux d'urbanisme, d'une limite de hauteur ni d'un nombre de places de stationnement dans toutes les zones et pour toutes les catégories de bâtiments. Il était ainsi loisible à la commune de s'abstenir de fixer de telles règles pour les constructions et installations nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif. Par suite, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en écartant le moyen tiré de l'illégalité de l'article 1AU 2.

6. En quatrième lieu, aux termes de l'article L.123-2 du code de l'urbanisme applicable au plan local d'urbanisme d'Erquy : " Dans les zones urbaines ou à urbaniser, le plan local d'urbanisme peut instituer des servitudes consistant: (...) d) A délimiter des secteurs dans lesquels, en cas de réalisation d'un programme de logements, un pourcentage de ce programme doit être affecté à des catégories de logements locatifs qu'il définit dans le respect des objectifs de mixité sociale ". Aux termes identiques du 8e alinéa du paragraphe " caractéristiques générales " du chapitre I " règlement applicable à la zone 1AU " du titre III " Dispositions applicables aux zones d'urbanisation future " et de l'article 4 " mixité sociale " du chapitre II " règles applicables à l'ensemble du territoire communal " du titre I " dispositions générales " du plan local d'urbanisme : " Au titre de l'article L.123-2 d) du Code de l'urbanisme, dans les zones UA, UB et 1AU, au moins 20 % du nombre des logements de toutes les opérations en comprenant au moins 8, devront être affectés à la réalisation de logements locatifs à vocation sociale, dans le respect des objectifs de mixité sociale. (...) ".

7. En vertu des articles L. 631-13, L. 631-15, L. 631-16 et D. 631-27 du code de la construction et de l'habitation, une résidence services permet à ses occupants de bénéficier de services spécifiques non individualisables, précisés dans le contrat de location notamment lorsque le gérant de ces services est également le bailleur, et qui sont l'accueil personnalisé et permanent des résidents et de leurs visiteurs, la mise à disposition d'un personnel spécifique attaché à la résidence, le cas échéant complétée par des moyens techniques, permettant d'assurer une veille continue quant à la sécurité des personnes et à la surveillance des biens, et le libre accès aux espaces de convivialité et aux jardins aménagés. Les occupants peuvent en outre souscrire des services spécifiques individualisables auprès de prestataires. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le permis de construire a été accordé pour une résidence services seniors de 15 appartements T2, dont les 8 de l'étage sont transformables en une unité de vie de 16 lits rattachés à l'EHPAD mitoyen et qu'ainsi, uniquement destinée à des personnes âgées, elle assurera des services communs destinés à répondre aux besoins de cette catégorie de population. Dans ces conditions, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'une telle résidence relève d'une vocation d'hébergement et non de logement au sens des dispositions précitées du plan local d'urbanisme, alors même qu'elle a pris appui sur les dispositions d'un arrêté du 10 novembre 2016 définissant les destinations et sous-destinations de constructions pouvant être réglementées par le règlement national d'urbanisme et les règlements des plans locaux d'urbanisme postérieur à l'édiction du plan local d'urbanisme de la commune d'Erquy.

8. En cinquième et dernier lieu, l'article 1AU 12 du règlement du plan local d'urbanisme relatif au nombre des places de stationnement requises fixe des règles différentes selon que la construction relève de l'habitat collectif ou qu'elle est un " établissement de type foyer-logement ". Cette expression ne désigne pas les seuls foyers-logements. Dès lors, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en recherchant si la " résidence services seniors " devait être regardée comme relevant de ce type d'immeubles pour l'application d'une disposition dont l'objet est de garantir un nombre suffisant de places de stationnement.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. et Mme O... et autres et le pourvoi de M. et Mme C... et A... la société Les Prés Biard doivent être rejetés.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, pour chacun des deux pourvois, de mettre à la charge des requérants une somme globale de 2 000 euros à verser à la SARL Kaufman et Broad Bretagne et la SAS Immobilière Domusvi en application de l'article L. 761-1 du code de l'urbanisme.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. et Mme O... et autres et le pourvoi de M. et Mme C... et A... la société Les Prés Biard sont rejetés.
Article 2 : M. et Mme O... et autres, d'une part, M. et Mme C... et la société Les Prés Biard, d'autre part, verseront chacun la somme globale de 2 000 euros à la SARL Kaufman et Broad Bretagne et à la SAS immobilière Domusvi au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme D... O... et à M. et Mme R... C..., premiers requérants dénommés, pour l'ensemble des requérants, à la SARL Kaufman et Broad Bretagne et à la SAS immobilière Domusvi.
Copie en sera adressée à la ministre de la transition écologique, à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, et à la commune d'Erquy.

Délibéré à l'issue de la séance du 29 novembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. T... N..., M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre ; Mme W... J..., Mme B... Y..., M. L... M..., M. Alain Seban, conseillers d'Etat, M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat-rapporteur et M. David Moreau, maître des requêtes.

Rendu le 13 décembre 2021
Le Président :
Signé : M. Rémy Schwartz


Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Delsol
La secrétaire :
Signé : Mme V... Z...


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