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Ariane Web: Conseil d'État 439665, lecture du 30 décembre 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:439665.20211230

Décision n° 439665
30 décembre 2021
Conseil d'État

N° 439665
ECLI:FR:CECHR:2021:439665.20211230
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Coralie Albumazard, rapporteur
M. Stéphane Hoynck, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats


Lecture du jeudi 30 décembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n° 239-802 du 23 janvier 2020, la Cour de discipline budgétaire et financière, saisie de faits relatifs à la gestion de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI), a relaxé M. H... L..., ancien secrétaire général, et Mme E... M..., ancienne directrice administrative et financière, et dispensé de peine M. A... I..., ancien directeur général.

Par un pourvoi, enregistré le 19 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Procureure générale près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt en tant qu'il concerne M. I... et de renvoyer, dans cette mesure, l'affaire devant cette Cour.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des juridictions financières ;
- le code de la propriété intellectuelle ;
- la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ;
- le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 ;
- le décret n° 2001-1336 du 28 décembre 2001 ;
- le décret n° 2002-715 du 3 mai 2002 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Coralie Albumazard, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez avocat de M. L... ;



Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêt du 23 janvier 2020, la Cour de discipline budgétaire et financière, saisie de faits relatifs à la gestion administrative et financière de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) par un réquisitoire du 9 décembre 2016, a, d'une part, mis hors de cause M. L..., ancien secrétaire général, et Mme M..., ancienne directrice administrative et financière, et, d'autre part, après avoir reconnu que la responsabilité de M. I..., ancien directeur général de 2010 à 2016, ne pouvait être retenue qu'à raison du caractère irrégulier des décisions des 11 et 16 janvier 2012, a décidé, eu égard notamment à la modicité des sommes en cause, de le dispenser de peine. Par un pourvoi, la Procureure générale près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, demande l'annulation de cet arrêt en ce qu'il concerne M. I....

Sur l'arrêt en tant qu'il a opposé la prescription :

2. Aux termes de l'article L. 314-2 du code des juridictions financières : " La Cour ne peut être saisie par le ministère public après l'expiration d'un délai de cinq années révolues à compter du jour où a été commis le fait de nature à donner lieu à l'application des sanctions prévues par le présent titre. / L'enregistrement du déféré au ministère public, le réquisitoire introductif ou supplétif, la mise en cause telle que prévue à l'article L. 314-5, le procès-verbal d'audition des personnes mises en cause ou des témoins, le dépôt du rapport du rapporteur, la décision de poursuivre et la décision de renvoi interrompent la prescription prévue à l'alinéa précédent. ".

3. Par l'arrêt attaqué, la Cour de discipline budgétaire et financière a estimé que, faute pour la décision de renvoi d'avoir apporté des précisions suffisantes sur les dates, les auteurs et les bénéficiaires des décisions individuelles prises sur le fondement des décisions du directeur général de l'INPI des 10 juin et 8 juillet 2011 relatives respectivement à l'attribution d'une prime de performance et à l'attribution de suppléments de traitement pour mission à l'étranger, elle ne pouvait être valablement saisie des versements opérés sur leur fondement. En se prononçant ainsi, alors que la décision de renvoi mentionnait expressément l'attribution en juin 2012, à huit fonctionnaires détachés au sein de l'INPI, d'une prime de performance semestrielle d'un montant fixe égal à 150 euros versée en application du dernier alinéa de l'article 6 de la décision du 10 juin 2011 précitée, ainsi que le versement à neuf agents de l'établissement d'un total de 8 500 euros d' " honoraires ", en sus de leur traitement, pour des missions intervenues après le 9 décembre 2011, en application de la décision du 8 juillet 2011 précitée et soulevait le défaut de base juridique de ces différents versements, la Cour a dénaturé les termes de la décision de renvoi et méconnu son office. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen présenté à l'appui des conclusions dirigées contre cette partie de l'arrêt, la Procureure générale est fondée à soutenir que c'est à tort que la cour a opposé la prescription.

Sur l'arrêt en tant qu'il a statué sur le paiement d'éléments de rémunération à des fonctionnaires détachés à l'INPI :

4. Le pourvoi reproche à l'arrêt de la Cour de discipline budgétaire et financière d'avoir écarté le grief tiré de ce que des fonctionnaires détachés auprès de cet établissement avaient irrégulièrement bénéficié d'une rémunération variable au motif que, si le décret du 3 mai 2002 relatif au régime indemnitaire des agents de l'Institut national de la propriété industrielle n'était pas applicable aux fonctionnaires qui y sont détachés, le directeur général de l'INPI n'en était pas moins compétent pour les en faire bénéficier au titre de son pouvoir de prendre " toutes mesures utiles au fonctionnement de l'institut " alors qu'une telle décision excéderait les pouvoirs dont dispose le directeur général à ce titre et méconnaîtrait, en outre, la circulaire de la direction du budget du 23 juillet 2010.

5. Aux termes de l'article R. 411-6 du code de la propriété intellectuelle : " Les effectifs du personnel contractuel propre à l'institut sont fixés chaque année dans la limite des autorisations budgétaires de cet établissement. / Le statut du personnel est fixé par décret. ". Aux termes de l'article 11 du décret du 28 décembre 2001 fixant le statut des personnels contractuels de l'Institut national de la propriété industrielle : " Les agents reçoivent, après service fait, une rémunération comprenant le traitement brut correspondant à un indice de la fonction publique ainsi que, le cas échéant, l'indemnité de résidence et le supplément familial de traitement. Cette rémunération est déterminée et évolue selon le régime applicable aux fonctionnaires de l'Etat. / Un arrêté conjoint des ministres chargés de la propriété intellectuelle, du budget et de la fonction publique fixe l'échelonnement indiciaire applicable à chacune des catégories d'emplois créées par le présent décret. / Un décret fixe le régime indemnitaire applicable aux agents de l'institut. ". Aux termes de l'article 1er du décret du 3 mai 2002 relatif au régime indemnitaire des agents de l'Institut national de la propriété industrielle : " Une prime de performance peut être attribuée aux agents permanents de l'Institut national de la propriété industrielle, dans la limite des crédits ouverts à cet effet. Cette prime varie en fonction de la contribution des agents à la performance collective. Elle est constituée d'une part individualisée et d'une part collective ". Aux termes de son article 2 : " La part individualisée de la prime de performance varie en fonction de la manière de servir de chaque agent, du poste qu'il occupe et de l'exercice effectif des fonctions. (...) Les modalités d'attribution de cette part sont fixées par décision du directeur général, après avis du comité technique de l'institut. ". Contrairement à ce qu'a jugé la Cour de discipline budgétaire et financière, il ne résulte d'aucune disposition ni d'aucun principe que ces dispositions ne seraient pas applicables aux fonctionnaires bénéficiant d'un détachement sur contrat auprès de l'INPI.

6. Par suite, il résulte des dispositions citées au point précédent, applicables aux fonctionnaires détachés à l'INPI, que celles-ci permettent que soit attribuée aux agents de cet établissement une prime de performance, dont la part individualisée varie en fonction de leur manière de servir, du poste qu'ils occupent et de l'exercice effectif de leurs fonctions, selon des modalités fixées par décision du directeur général, après avis du comité technique de l'établissement. C'est donc en application de ces dispositions que les fonctionnaires détachés auprès de l'INPI ont pu bénéficier de ce dispositif. Ce motif de pur droit, qui résulte des textes précités et n'appelle l'appréciation d'aucune circonstance de fait, justifie, sur ce point, le dispositif de l'arrêt attaqué, et doit ainsi être substitué à celui retenu par les juges du fond. Par suite, les moyens soulevés par le pourvoi contre ces motifs de l'arrêt ne peuvent qu'être écartés.

Sur l'arrêt en tant qu'il a statué sur le remboursement de frais d'hébergement et de repas dans le ressort de la résidence administrative :

7. Aux termes de l'article L. 313-6 du code des juridictions financières : " Toute personne visée à l'article L. 312-1 qui, dans l'exercice de ses fonctions ou attributions, aura, en méconnaissance de ses obligations, procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l'organisme intéressé, ou aura tenté de procurer un tel avantage sera passible d'une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 300 euros et dont le maximum pourra atteindre le double du montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date de l'infraction. ". Pour la mise en oeuvre de ces dispositions, la circonstance que la responsabilité du comptable de la collectivité ou de l'organisme en cause ait été mise en jeu à raison des mêmes dépenses que celles reprochées à l'ordonnateur et qu'il ait été constitué débiteur de cette collectivité ou de cet organisme par le juge des comptes n'est pas de nature à effacer l'existence d'un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l'organisme intéressé.

8. Par l'arrêt attaqué, la Cour a jugé que, si les irrégularités affectant le règlement au secrétaire général de l'établissement de frais d'hébergement et de repas dans le ressort de sa résidence administrative étaient susceptibles d'engager la responsabilité du directeur général, les éléments constitutifs de l'infraction prévue à l'article L. 313-6 du code des juridictions financières n'étaient pas réunis dès lors que, par un arrêt rendu par la Cour des comptes le 27 octobre 2017, la responsabilité du comptable public de l'INPI avait été mise en jeu pour les mêmes faits que ceux qui sont poursuivis devant la Cour de discipline budgétaire et financière et que, celui-ci ayant été constitué débiteur de l'INPI pour une somme correspondant aux frais de déplacement versés irrégulièrement, le préjudice financier n'était dès lors plus constitué. Il résulte toutefois de ce qui a été dit au point précédent qu'en statuant ainsi, la Cour a commis une erreur de droit. Par suite, la Procureure générale est fondée à demander l'annulation de l'arrêt sur ce point, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen soulevé à l'appui des conclusions dirigées contre cette partie de l'arrêt.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la Procureure générale près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, en tant qu'il concerne M. I..., dans la mesure uniquement où il a opposé la prescription et où il a statué sur le remboursement de frais d'hébergement et de repas dans le ressort de la résidence administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 23 janvier 2020 de la Cour de discipline budgétaire et financière est annulé en tant qu'il concerne M. I..., dans la mesure où il a opposé la prescription et a statué sur le remboursement de frais d'hébergement et de repas dans le ressort de la résidence administrative.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, devant la Cour de discipline budgétaire et financière.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la Procureure générale près la Cour des comptes est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Procureure générale près la Cour des comptes, à l'Institut national de la propriété industrielle et à M. A... I....
Copie en sera adressée à M. H... L... et à Mme E... M....
Délibéré à l'issue de la séance du 13 décembre 2021 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. C... K..., M. Fabien Raynaud, présidents de chambre ; Mme R... N..., M. Q... D..., Mme F... P..., M. B... O..., Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et Mme Coralie Albumazard, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 30 décembre 2021.

La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Coralie Albumazard
La secrétaire :
Signé : Mme G... J...


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