Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 448017, lecture du 4 février 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:448017.20220204

Décision n° 448017
4 février 2022
Conseil d'État

N° 448017
ECLI:FR:CECHR:2022:448017.20220204
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
M. Edouard Solier, rapporteur
M. Raphaël Chambon, rapporteur public


Lecture du vendredi 4 février 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires, enregistrés le 21 décembre 2020 et les 19 mars, 18 octobre, 18 novembre et 22 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la confédération nationale artisanale des instituts de beauté et spa (CNAIB-SPA), la fédération internationale des écoles professionnelles de la parfumerie, de l'esthétique et de la cosmétique (FIEPPEC) et l'union des professionnels de la beauté et du bien-être (UPB) demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-1277 du 20 octobre 2020 relatif aux conditions de certification des candidats à l'examen du baccalauréat professionnel et portant suppression du brevet d'études professionnelles ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à chacune d'entre elles au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 ;
- le décret n° 2019-958 du 13 septembre 2019 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Edouard Solier, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article D. 337-7 du code de l'éducation, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 31 décembre 2020 : " Peuvent se présenter au certificat d'aptitude professionnelle : / 1° Les candidats majeurs ou mineurs : (...) / b) B... statut scolaire dans un établissement public local d'enseignement ou dans un établissement privé B... contrat qui sont engagés dans le cycle conduisant à un baccalauréat professionnel correspondant à la spécialité du diplôme postulé ou relevant du même champ professionnel ; (...)/ d) Qui sont en formation en vue de préparer un baccalauréat professionnel par la voie de l'apprentissage et qui demandent à passer la spécialité du certificat d'aptitude professionnelle prévue par arrêté du ministre chargé de l'éducation nationale". Aux termes de l'article 2 du décret du 20 octobre 2020 relatif aux conditions de certification des candidats à l'examen du baccalauréat professionnel et portant suppression du brevet d'études professionnelles : " L'article D. 337-7 du code de l'éducation est ainsi modifié : / 1° Le b et le d du 1° sont supprimés ; / 2° Le c du 1° devient b et le e du 1° devient c ".

2. La confédération nationale artisanale des instituts de beauté et spa, la fédération internationale des écoles professionnelles de la parfumerie, de l'esthétique et de la cosmétique et l'union des professionnels de la beauté et du bien-être demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 20 octobre 2020 relatif aux conditions de certification des candidats à l'examen du baccalauréat professionnel et portant suppression du brevet d'études professionnelles en tant qu'il supprime, pour les élèves préparant le baccalauréat professionnel, la possibilité de se présenter au diplôme du certificat d'aptitude professionnelle. Leurs conclusions doivent ainsi être regardées comme tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des seules dispositions de l'article 2 du décret du 20 octobre 2020.

Sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports :

3. Selon l'article 4 de ses statuts, la confédération nationale artisanale des instituts de beauté et spa a pour objet : " l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux tant collectifs qu'individuels, des personnes visées par ces statuts et notamment : (...) / - de représenter ses adhérents et la profession auprès des chambres consulaires, des pouvoirs publics nationaux et européens et, notamment, auprès des ministères du travail, de 1'éducation nationale, du commerce et de l'artisanat, de la santé et de tout organisme public ou privé, pour la défense de tout sujet en rapport avec la profession ". Selon l'article 4 de ses statuts, la fédération internationale des écoles professionnelles de la parfumerie, de l'esthétique et de la cosmétique a notamment pour objet de " représenter la profession auprès des pouvoirs publics de tous les pays, notamment en France auprès des ministères de l'éducation nationale et de la formation professionnelle et auprès de tous les organismes officiels ou privés, pour agir et faire entendre le point de vue de ses adhérents dans tous les domaines se rapportant à la profession (...) et d'agir en justice, tant en demande qu'en défense, pour défendre les intérêts de la profession et de ses adhérents ". Selon l'article 3 de ses statuts, l'union des professionnels de la beauté et du bien-être a notamment pour objet " d'assurer la représentation de ses adhérents au niveau régional, national, européen et international auprès des pouvoirs publics, administration, collectivités ou tous autres organismes de droit public ou privé (...) et de défendre les intérêts collectifs de ses adhérents ". Eu égard à la portée des dispositions attaquées, qui, comme il a été dit, suppriment la possibilité pour les élèves B... statut scolaire dans un établissement public local d'enseignement ou dans un établissement privé B... contrat qui sont engagés dans le cycle conduisant à un baccalauréat professionnel relevant d'un champ professionnel ou qui sont en formation en vue de préparer le baccalauréat professionnel par la voie de l'apprentissage, de se présenter au certificat d'aptitude professionnelle relevant de ce même champ professionnel, les trois organisations requérantes justifient, compte tenu de leurs objets statutaires, d'un intérêt suffisant pour agir contre les dispositions qu'elles attaquent. Il résulte de ce qui précède que la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports doit être écartée.

Sur la légalité des dispositions attaquées :

4. En premier lieu, d'une part, en vertu des dispositions du I de l'article 16 de la loi du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat, les huit catégories d'activités qu'il énumère ne peuvent être exercées que par une personne qualifiée professionnellement ou B... le contrôle effectif et permanent de celle-ci. Aux termes du II du même article : " Pour chaque activité visée au I, un décret en Conseil d'Etat pris après avis de l'Autorité de la concurrence, de la Commission de la sécurité des consommateurs, de l'assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie, de l'assemblée permanente des chambres de métiers et des organisations professionnelles représentatives détermine, en fonction de la complexité de l'activité et des risques qu'elle peut présenter pour la sécurité ou la santé des personnes, les diplômes, les titres homologués ou la durée et les modalités de validation de l'expérience professionnelle qui justifient de la qualification (...) ". D'autre part, aux termes de l'article 10 du décret du 13 septembre 2019 instituant les commissions professionnelles consultatives chargées d'examiner les projets de création, de révision ou de suppression de diplômes et titres à finalité professionnelle délivrés au nom de l'Etat : " I. - La commission professionnelle consultative " Services et produits de consommation " (...) examine, selon les modalités prévues à l'article L. 6113-3 du code du travail, les projets de création, de révision ou de suppression de diplômes et titres à finalité professionnelle délivrés au nom de l'Etat et leurs référentiels relevant des champs professionnels (...) des métiers de la beauté. ". Il ressort des termes mêmes du décret attaqué que celui-ci n'a pas pour objet de déterminer les diplômes et les titres homologués attestant de la qualification requise pour exercer les professions, ni de créer, réviser ou supprimer des diplômes et titres à finalité professionnelle délivrés au nom de l'Etat relevant du champ professionnel des métiers dont les intérêts sont représentés par les organisations requérantes. Celles-ci ne sont dès lors pas fondées à soutenir que le décret attaqué aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière, faute d'avoir été précédé des consultations requises par les dispositions précitées.

5. En deuxième lieu, les organisations requérantes soutiennent que le décret attaqué, en tant qu'il supprime, pour les élèves inscrits en deuxième année de préparation au baccalauréat professionnel ou préparant celui-ci par la voie de l'apprentissage, la possibilité de présenter leur candidature au diplôme du certificat d'aptitude professionnelle, est entaché d'erreur manifeste d'appréciation, en ce que d'une part, il aurait pour conséquence de priver les élèves ayant renoncé ou échoué à l'examen du baccalauréat professionnel de la possibilité d'accéder aux métiers de l'esthétique, et en ce que, d'autre part, il imposerait aux élèves âgés de moins de dix-huit ans ayant renoncé à présenter l'examen du baccalauréat professionnel, de suivre une préparation spécifique d'une durée comprise entre une et deux années selon les cas avant de se présenter au certificat d'aptitude professionnelle. Il ressort toutefois des pièces du dossier qu'un élève ayant renoncé ou échoué à l'examen du baccalauréat professionnel peut soit présenter à nouveau à cet examen, le cas échéant en conservant pendant une durée de cinq ans le bénéfice des notes supérieures à dix sur vingt qu'il aurait obtenues, soit préparer le certificat d'aptitude professionnelle, soit se présenter directement au certificat d'aptitude professionnelle en qualité de candidat libre s'il est âgé de plus de dix-huit ans et donc accéder aux métiers de l'esthétique. En outre, si, comme le soutiennent les organisations requérantes, ces dispositions ont comme conséquence de contraindre les élèves âgés de moins de dix-huit ans ayant renoncé à présenter l'examen du baccalauréat professionnel, à suivre une préparation spécifique d'une durée comprise entre une et deux années selon les cas avant de se présenter au certificat d'aptitude professionnelle, il n'en résulte pas qu'eu égard aux objectifs poursuivis par ces dispositions, qui visent notamment à revaloriser le certificat d'aptitude professionnelle, les dispositions attaquées soient à ce titre entachées d'erreur manifeste d'appréciation. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait pour ce motif entaché d'erreur manifeste d'appréciation doit être écarté.

6. En troisième lieu, les requérantes ne sauraient utilement soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait le principe d'égalité entre les élèves inscrits dans un établissement public ou privé B... contrat et les élèves inscrits dans un établissement privé hors contrat, en ce qu'une partie des notes prises en compte pour l'examen du baccalauréat professionnel concernant les élèves inscrits dans un établissement public ou privé B... contrat est évaluée par le contrôle continu, dès lors que ce décret n'a ni pour objet, ni pour effet d'instituer une telle différence de traitement.

7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 221-5 du code des relations entre le public et l'administration déclinant le principe général de sécurité juridique: " L'autorité administrative investie du pouvoir réglementaire est tenue, dans la limite de ses compétences, d'édicter des mesures transitoires dans les conditions prévues à l'article L. 221-6 lorsque l'application immédiate d'une nouvelle réglementation est impossible ou qu'elle entraîne, au regard de l'objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause. Elle peut également y avoir recours, B... les mêmes réserves et dans les mêmes conditions, afin d'accompagner un changement de réglementation ".

8. Il ressort des pièces du dossier qu'en vertu de l'article 15 du décret du 20 octobre 2020 relatif aux conditions de certification des candidats à l'examen du baccalauréat professionnel et portant suppression du brevet d'études professionnelles, publié au Journal officiel de la République française du 22 octobre 2020, les dispositions de l'article 2 de ce même décret sont entrées en vigueur à compter du 1er janvier 2021. Or l'entrée en vigueur de ces dispositions au milieu de l'année scolaire 2020-2021 a pour effet de priver les élèves scolarisés au titre de cette année scolaire en classes de seconde et de première professionnelles dans un établissement public local d'enseignement ou dans un établissement privé B... contrat, ainsi que ceux préparant le baccalauréat professionnel par la voie de l'apprentissage, de la possibilité de se présenter au certificat d'aptitude professionnelle correspondant à la spécialité du baccalauréat professionnel postulé ou relevant du même champ professionnel et les autorisant, le cas échéant, à exercer une activité réglementée, alors même que leur inscription dans ces classes ou dans ces formations au début de l'année scolaire en cours leur en ouvrait la possibilité. Par suite, les dispositions attaquées, en tant qu'elles s'appliquent à ces élèves, ont été édictées en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 221-5 du code des relations entre le public et l'administration.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les trois organisations requérantes ne sont fondées qu'à demander l'annulation des dispositions de l'article 2 du décret du 20 octobre 2020 en tant qu'elles s'appliquent aux élèves scolarisés au titre de l'année scolaire 2020-2021 en classes de seconde et de première professionnelles dans un établissement public local d'enseignement ou dans un établissement privé B... contrat, ou pour les élèves en formation en vue de préparer un baccalauréat professionnel par la voie de l'apprentissage en 2020-2021, ayant vocation à passer, dans le cadre de cette formation, le certificat d'aptitude professionnelle en 2020-2021 ou en 2021-2022.

10. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la disparition rétroactive des dispositions de l'article 2 du décret du 20 octobre 2020, en tant que cette suppression concerne les élèves de classes de seconde et de première professionnelles scolarisés au titre de l'année scolaire 2020-2021 dans un établissement public local d'enseignement ou dans un établissement privé B... contrat, ou les élèves en formation en vue de préparer un baccalauréat professionnel par la voie de l'apprentissage en 2020-2021, ayant vocation à passer, dans le cadre de cette formation, le certificat d'aptitude professionnelle en 2020-2021 ou en 2021-2022, entraînerait des conséquences manifestement excessives, eu égard aux intérêts en présence et aux inconvénients qu'elle présenterait, et serait de nature à justifier une limitation dans le temps des effets de leur annulation. Il n'y a pas lieu, par suite, d'assortir l'annulation de ces dispositions d'une telle limitation. Il appartient, en revanche, au ministre chargé de l'éducation nationale, dans des délais permettant à l'ensemble des élèves précités souhaitant présenter en 2022 leurs candidatures au certificat d'aptitude professionnelle de s'y préparer, d'édicter pour ces élèves, les modalités particulières d'évaluation des compétences et des épreuves conduisant à la délivrance du diplôme du certificat d'aptitude professionnelle.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 1 000 euros à verser à chacune des trois organisations requérantes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les dispositions l'article 2 du décret du 20 octobre 2020 relatif aux conditions de certification des candidats à l'examen du baccalauréat professionnel et portant suppression du brevet d'études professionnelles, en tant qu'elles s'appliquent aux élèves de classes de seconde et de première professionnelles scolarisés au titre de l'année scolaire 2020-2021 dans un établissement public local d'enseignement ou dans un établissement privé B... contrat, ou aux élèves en formation en vue de préparer un baccalauréat professionnel par la voie de l'apprentissage en 2020-2021, ayant vocation à passer, dans le cadre de cette formation, le certificat d'aptitude professionnelle en 2020-2021 ou en 2021-2022, sont annulées.
Article 2 : L'Etat versera à la confédération nationale artisanale des instituts de beauté et spa, à la fédération internationale des écoles professionnelles de la parfumerie, de l'esthétique et de la cosmétique et à l'union des professionnels de la beauté et du bien-être, chacune une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la confédération nationale artisanale des instituts de beauté et spa, à la fédération internationale des écoles professionnelles de la parfumerie, de l'esthétique et de la cosmétique, à l'union des professionnels de la beauté et du bien-être et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Délibéré à l'issue de la séance du 21 janvier 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme A... M..., Mme E... L..., présidentes de chambre ; M. J... H..., Mme I... K..., Mme C... G..., M. Damien Botteghi conseillers d'Etat ; Mme Dorothée Pradines, maître des requêtes et M. Edouard Solier, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 4 février 2022.




Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Edouard Solier
La secrétaire :
Signé : Mme D... F...


Voir aussi