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Ariane Web: Conseil d'État 447333, lecture du 7 février 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:447333.20220207

Décision n° 447333
7 février 2022
Conseil d'État

N° 447333
ECLI:FR:CECHR:2022:447333.20220207
Inédit au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Yves Doutriaux, rapporteur
M. Philippe Ranquet, rapporteur public
SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats


Lecture du lundi 7 février 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 décembre 2020 et 8 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 1er de la décision n° CS 2020-37 du 7 octobre 2020 de la commission des sanctions de l'AFLD, en tant qu'elle a limité à deux années l'interdiction faite à M. F... L... de participer à toute manifestation sportive donnant lieu à une remise de prix en argent ou en nature, de même qu'aux manifestations sportives autorisées par une fédération délégataire ou organisées par une fédération agréée ainsi qu'aux entraînements y préparant organisés par une fédération agrée ou l'un de ses membres, de participer directement ou indirectement à l'organisation et au déroulement des manifestations sportives et des entraînements mentionnés ci-dessus et d'exercer les fonctions définies à l'article L. 212-1 du code du sport, ainsi que toute fonction d'encadrement au sein d'une fédération agréée ou d'un groupement ou d'une association affiliés à la fédération ;

2°) de porter à quatre années la durée des interdictions prononcées par l'article 1er de la décision attaquée, et de réformer cette décision en conséquence ;

3°) à titre subsidiaire, d'annuler l'article 1er de la décision attaquée dans son ensemble et prononcer des sanctions appropriées.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code du sport ;
- le décret n° 2018-6 du 4 janvier 2018 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Yves Doutriaux, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de l'Agence française de lutte contre le dopage ;




Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que, le 19 août 2018, à l'occasion du tour cycliste de Guyane, M. L..., licencié de la Fédération française de cyclisme, a fait l'objet d'un contrôle anti dopage qui a révélé la présence de méphentermine et de phentermine. Par une décision du 17 décembre 2018, l'organe disciplinaire de première instance de lutte contre le dopage de la Fédération française de cyclisme a prononcé à son encontre la sanction d'interdiction de participer pendant quatre ans aux manifestations sportives organisées ou autorisées par cette fédération, une sanction pécuniaire de 10 000 euros et l'annulation des résultats individuels qu'il avait obtenus depuis le 19 août 2018, et a transmis le dossier à l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), notamment en vue d'étendre les effets de la sanction aux activités relevant d'autres fédérations sportives. Par une décision du 21 février 2019, le collège de l'AFLD a décidé de se saisir de ce dossier sur le fondement des dispositions du 3° de l'article L. 232-22 du code du sport alors en vigueur.

2. Par une décision du 7 octobre 2020, la commission des sanctions de l'AFLD a réformé la décision de la Fédération française de cyclisme et prononcé à l'encontre de M. L... une sanction d'interdiction de participer pendant deux ans à toute manifestation sportive donnant lieu à une remise de prix en argent ou en nature, de même qu'aux manifestations sportives autorisées par une fédération délégataire ou organisées par une fédération agréée ainsi qu'aux entraînements y préparant organisés par une fédération agréée ou l'un de ses membres, de participer directement ou indirectement à l'organisation et au déroulement des manifestations sportives et des entraînements mentionnés ci-dessus et d'exercer les fonctions définies à l'article L. 212-1 du code du sport ainsi que toute fonction d'encadrement au sein d'une fédération agréée ou d'un groupement ou d'une association affiliés à la fédération. La présidente de l'AFLD conteste cette décision en tant qu'elle limite à deux ans la durée des interdictions prononcées.

3. Aux termes de l'article L. 232-9 du code du sport, dans sa version applicable aux faits litigieux : " il est interdit à tout sportif : / 2° D'utiliser ou tenter d'utiliser une ou des substances ou méthodes interdites figurant sur la liste mentionnée au dernier alinéa du présent article. / L'interdiction prévue au 2° ne s'applique pas aux substances et méthodes pour lesquelles le sportif : / a) Dispose d'une autorisation pour usage à des fins thérapeutiques ; / c) Dispose d'une raison médicale dûment justifiée. / La liste des substances et méthodes mentionnées au présent article est celle qui est élaborée en application de la convention internationale mentionnée à l'article L. 230-2 ou de tout autre accord ultérieur qui aurait le même objet et qui s'y substituerait. " Selon le 1° du I de l'article L. 232-23 du code du sport dans sa version alors applicable, l'AFLD peut prononcer à l'encontre d'un sportif ayant enfreint les dispositions de l'article L. 232-9 : " b) Une interdiction temporaire ou définitive de participer à toute manifestation sportive donnant lieu à une remise de prix en argent ou en nature, de même qu'aux manifestations sportives autorisées par une fédération délégataire ou organisées par une fédération agréée ainsi qu'aux entraînements y préparant organisés par une fédération agréée ou l'un des membres de celle-ci ; / c) Une interdiction temporaire ou définitive de participer directement ou indirectement à l'organisation et au déroulement des manifestations sportives et des entraînements mentionnés au b (...). / La sanction prononcée à l'encontre d'un sportif peut être complétée par une sanction pécuniaire dont le montant ne peut excéder 45 000 ?. Elle est complétée par une décision de publication nominative de la sanction, dans les conditions fixées par l'article L. 232-23-3-1 ". L'article L. 232-23-3-3 du même code dans sa rédaction alors applicable dispose que : " I. - La durée des mesures d'interdiction mentionnées au 1° du I de l'article L. 232-23 à raison d'un manquement à l'article L. 232-9 : a) Est de quatre ans lorsque ce manquement implique une substance non spécifiée. Cette durée est ramenée à deux ans lorsque le sportif démontre qu'il n'a pas eu l'intention de commettre ce manquement ". Aux termes de l'article L. 232-23-3-10 du même code, dans sa version alors applicable : " La durée des mesures d'interdiction prévues aux articles L. 232-23-3-3 à L. 232-23-3-8 peut être réduite par une décision spécialement motivée lorsque les circonstances particulières de l'affaire le justifient au regard du principe de proportionnalité ".

4. Il résulte de l'instruction que les analyses effectuées par le département des analyses de l'AFLD sur un échantillon prélevé lors du contrôle antidopage du 19 août 2018 ont fait ressortir la présence dans les urines de M. L..., à des concentrations estimées respectivement à 143 et 181 nanogrammes par millilitre, de méphentermine et de phentermine, substances non spécifiées appartenant à la classe S6 des stimulants figurant sur la liste des substances interdites en compétition annexée au décret du 27 décembre 2018 portant publication de l'amendement à l'annexe I de la convention internationale contre le dopage dans le sport. Au cours de la procédure ouverte devant l'organe disciplinaire de la Fédération française de cyclisme, M. L... a indiqué, dans une lettre du 1er novembre 2018, qu'il avait été accueilli par le club en 2017, où il avait pu obtenir de meilleurs résultats grâce à son entraineur officiel, et que son entraineur personnel, qui l'avait hébergé entre février et octobre 2018 et était cycliste dans le même club, lui aurait recommandé à la suite d'une forte fatigue un protocole de récupération dont il n'imaginait pas qu'il pourrait contenir des substances dopantes. Lors de la procédure devant l'AFLD, M. L..., s'est borné à envoyer à l'Agence, en réponse à la proposition de composition administrative qui lui a été faite, deux brefs courriels par lesquels, d'une part, il identifiait le produit qu'il avait absorbé, un médicament injectable à usage vétérinaire contenant du sulfate de méphentermine, et, d'autre part, il indiquait que son entraineur personnel, en qui il avait confiance, aurait acheté ce produit et le lui aurait donné dans une seringue pour le diluer dans de l'eau et le boire.

5. La commission des sanctions a relevé qu'en utilisant des substances non spécifiées, sans autorisation d'usage thérapeutique ni raison médicale dument justifiée, M. L..., à qui il appartenait de s'assurer de la composition du produit en cause, avait commis un manquement de nature à justifier une interdiction d'une durée de quatre ans en application des dispositions de l'article L. 232-23-3-3 du code du sport. Si elle pouvait réduire la durée des interdictions prononcées, par une décision spécialement motivée, dès lors que les circonstances particulières de l'affaire le justifiaient au regard du principe de proportionnalité, en application des dispositions de l'article L. 232-23-3-10, sans que cette faculté soit limitée, contrairement à ce qui est soutenu par la présidente de l'AFLD, par la circonstance que le sportif n'avait pas démontré qu'il n'avait pas eu l'intention de commettre un manquement, c'est au prix d'une erreur d'appréciation qu'elle s'est fondée sur la " forte emprise " d'un entraîneur de M. L... et sur l'ignorance dans laquelle il aurait été du caractère dopant des substances en cause, que l'instruction ne permettait pas d'établir, ainsi que sur le jeune âge du sportif et sur son absence d'éducation antidopage, pour caractériser de telles circonstances particulières susceptibles de conduire à la réduction de la durée des interdictions, alors même qu'elle en élargissait le champ d'application au-delà des manifestations relevant de la Fédération française de cyclisme. Dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu de porter à quatre ans la durée des interdictions mentionnées au point 2.

6. La période pendant laquelle les sanctions prononcées par la Fédération française de cyclisme et la commission des sanctions de l'AFLD a produit effet sera déduite de la durée des interdictions prononcées par la présente décision. La présente décision, qui réforme la durée des interdictions prononcées par la décision du 7 octobre 2020, publiée sur le site internet de l'AFLD, implique qu'il en soit pareillement fait mention sur ce site.


D E C I D E :
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Article 1er : La durée de la sanction d'interdiction faite à M. F... L... de participer à toute manifestation sportive donnant lieu à une remise de prix en argent ou en nature, de même qu'aux manifestations sportives autorisées par une fédération délégataire ou organisées par une fédération agréée ainsi qu'aux entraînements y préparant organisés par une fédération agrée ou l'un de ses membres, de participer directement ou indirectement à l'organisation et au déroulement des manifestations sportives et des entraînements mentionnés ci-dessus et, d'exercer les fonctions définies à l'article L. 212-1 du code du sport, ainsi que toute fonction d'encadrement au sein d'une fédération agréée ou d'un groupement ou d'une association affiliés à la fédération est portée à quatre ans.

Article 2 : La décision de la commission des sanctions de l'AFLD du 28 novembre 2018 est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.

Article 3 : La présente décision sera publiée sur le site internet de l'Agence française de lutte contre le dopage.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage, à M. F... L..., à la Fédération française de cyclisme et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Copie en sera adressée au président de la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 janvier 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. H... I..., M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. B... G..., Mme A... J..., M. E... K..., M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat, M. Clément Tonon, auditeur et M. Yves Doutriaux, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 7 février 2022.


Le président:
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur
Signé : M. Yves Doutriaux
La secrétaire:
Signé : Mme C... D...



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