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Ariane Web: Conseil d'État 440842, lecture du 17 février 2022, ECLI:FR:CECHS:2022:440842.20220217

Décision n° 440842
17 février 2022
Conseil d'État

N° 440842
ECLI:FR:CECHS:2022:440842.20220217
Inédit au recueil Lebon
9ème chambre
M. Olivier Pau, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public


Lecture du jeudi 17 février 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire réplique, enregistrés les 25 mai 2020 et 10 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société De Camp demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2020-604 en date du 20 mai 2020 complétant le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en ce qu'il interdit aux terrains de camping et de caravanage de recevoir du public ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 ;
- le décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Pau, auditeur,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;



Considérant ce qui suit :

1. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux, et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d'établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l'accueil des enfants, élèves et étudiants dans les établissements les recevant a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par un décret du 19 mars 2020, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d'être arrêtées par le représentant de l'Etat dans le département. Par un décret du 17 mars 2020, la méconnaissance des obligations précitées a été punie de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe.

2. Le législateur, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. Par un décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, plusieurs fois modifié et complété depuis lors, le Premier ministre a réitéré les mesures précédemment édictées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Par une ordonnance du 25 mars 2020, un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation a été mis en place, auxquelles sont éligibles les entreprises de commerce et d'artisanat dans les conditions prévues par un décret du 30 mars 2020.

3. Enfin, par l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, le législateur a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020 inclus. Par un premier décret du 11 mai 2020, applicable les 11 et 12 mai 2020, le Premier ministre a abrogé l'essentiel des mesures précédemment ordonnées par le décret du 23 mars 2020 et en a pris de nouvelles. Par un second décret du 11 mai 2020, pris sur le fondement de la loi du 11 mai 2020 et abrogeant le précédent décret, le Premier ministre a prescrit les nouvelles mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. En particulier, aux termes de l'article 10 du décret du 11 mai 2020 modifié par le décret du 20 mai 2020 complétant le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire: " (...) I bis. - Sauf lorsqu'ils constituent pour les personnes qui y vivent un domicile régulier, les établissements suivants mentionnés au livre III du code du tourisme ne peuvent accueillir de public : 1° Les auberges collectives ; 2° Les résidences de tourisme ; 3° Les villages résidentiels de tourisme ; 4° Les villages de vacances et maisons familiales de vacances ; 5° Les terrains de camping et de caravanage. ".

4. La requérante exploite un camping et demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 20 mai 2020 modifiant le décret du 11 mai 2020 cité au point ci-dessus, en ce qu'il interdit aux terrains de camping et de caravanage de recevoir du public.

Sur la légalité externe :

5. Aux termes de l'article 13 de la Constitution : " Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en conseil des ministres ". Le décret attaqué n'ayant pas été délibéré en conseil des ministres, et aucune disposition ne prévoyant qu'il devait l'être, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées ne peut qu'être écarté comme inopérant.
Sur le caractère inadapté et disproportionné des dispositions attaquées au regard des risques sanitaires :

6. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que la fermeture de la plupart des lieux d'hébergement touristique, dont celle des campings qui, contrairement à ce qui est soutenu était déjà prévue par le décret du 23 mars 2020 tel que modifié par le décret du 14 avril 2020, était, dans le contexte sanitaire particulier rappelé ci-dessus, destinée à limiter le brassage de populations afin de freiner la propagation du virus en particulier dans les lieux à risque de contamination propices aux relâchements quant au respect des gestes barrières et, d'autre part, que la sortie du premier confinement initiée par le décret du 11 mai 2020 était progressive afin de limiter la survenue de nouveaux foyers épidémiques.

7. Eu égard, d'une part, aux circonstances exceptionnelles dans lesquelles a été adoptée la mesure contestée d'interdiction d'accueil du public dans les campings, d'autre part, à son caractère circonscrit dans le temps, l'interdiction ayant été levée le 2 juin 2020 lorsque les conditions d'une réouverture étaient réunies, et, enfin, au caractère limité de l'interdiction d'accueil du public qui ne s'appliquait pas, en particulier, lorsque le camping constituait le domicile régulier des intéressés, la mesure attaquée ne présentait pas, au regard de l'objectif de protection de la santé publique poursuivi, un caractère disproportionné, malgré la gravité de l'atteinte portée à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté d'entreprendre.

Sur le principe d'égalité :

8. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

9. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la société requérante, l'article 10 du décret du 11 mai 2020 modifié par le décret du 20 mai 2020 interdit aux " restaurants et débits de boissons, sauf pour leurs activités de livraison et de vente à emporter " ainsi qu'aux refuges de montagnes, aux auberges collectives, aux résidences de tourisme, aux villages résidentiels de tourisme et aux villages de vacances et maisons familiales de vacances de recevoir du public. Le moyen tiré d'une inégalité de traitement des campings par rapport à ces établissements dont l'ouverture aurait été autorisée ne peut donc qu'être écarté comme manquant en fait.

10. En second lieu, l'annexe 3 du décret du 11 mai 2020 précise que les hôtels et hébergements similaires peuvent recevoir du public, à l'exclusion des villages vacances, maisons familiales et auberges collectives. Il ressort des pièces du dossier que le maintien de l'accueil du public dans ces établissements avait pour but de permettre la poursuite des activités professionnelles qui nécessitent des déplacements et ainsi la possibilité d'un hébergement sur place. Au regard de la nécessité de garantir la continuité de la vie de la Nation, les hôtels et hébergements similaires se trouvaient ainsi, par rapport à l'objet de la mesure, dans une situation différente de celle des campings qui ont une visée principalement touristique. Eu égard aux circonstances exceptionnelles rappelées ci-dessus, la dérogation à l'interdiction de recevoir du public accordée aux hôtels et établissements similaires, alors qu'aucune dérogation n'était prévue pour les campings n'était pas, à la date où elle a été édictée, manifestement disproportionnée et la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'elle serait constitutive d'une atteinte au principe d'égalité qu'elle invoque.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société De Camp doit être rejetée.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la société De Camp est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société De Camp sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société De Camp et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre de la transition écologique, au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, au ministre des armées, au ministre de l'économie des finances et de la relance, au ministre de l'intérieur, au ministre des outre-mer, au ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 février 2022 où siégeaient : M. Frédéric Aladjidi, président de chambre, présidant ; M. Thomas Andrieu, conseiller d'Etat et M. Olivier Pau, auditeur-rapporteur.

Rendu le 17 février 2022.


Le président:
Signé : M. Frédéric Aladjidi
Le rapporteur
Signé : M. Olivier Pau
La secrétaire:
Signé : Mme A... B...