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Ariane Web: Conseil d'État 458354, lecture du 2 mars 2022, ECLI:FR:CECHS:2022:458354.20220302

Décision n° 458354
2 mars 2022
Conseil d'État

N° 458354
ECLI:FR:CECHS:2022:458354.20220302
Inédit au recueil Lebon
7ème chambre
M. Frédéric Gueudar Delahaye, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du mercredi 2 mars 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure

La Chambre de commerce, d'industrie, des services et des métiers (CCISM) de Polynésie française a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française, sur le fondement de l'article L. 551-24 du code de justice administrative, d'une part, d'enjoindre à l'Etat, à titre conservatoire, de différer la signature de la concession de l'aérodrome de Tahiti-Faa'a dans la limite de 20 jours, d'autre part, d'enjoindre à l'Etat de lui communiquer les motifs détaillés du rejet de l'offre du groupement dont elle était mandataire et les caractéristiques et avantages relatifs de l'offre retenue et enfin, à titre principal, d'annuler la décision d'attribution de la concession et la décision du 15 septembre 2021 rejetant l'offre du groupement et, à titre subsidiaire, d'annuler l'ensemble de la procédure de passation de la concession.

Par une première ordonnance n° 2100484 du 8 octobre 2021, le juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française a, avant dire droit, enjoint à l'Etat de différer la signature du contrat de concession de l'aérodrome de Tahiti-Faa'a jusqu'au 27 octobre 2021 et rejeté les conclusions relatives aux communications sollicitées.

Par une seconde ordonnance n° 2100484 du 28 octobre 2021, le juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française a annulé la décision d'attribution de la concession de l'aérodrome de Tahiti-Faa'a au groupement Egis Airport Opération / Caisse des dépôts et consignations.

Procédures devant le Conseil d'Etat

1° Sous le numéro 458354, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 12 et 26 novembre 2021 et 11 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la transition écologique demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 28 octobre 2021 ;

2°) de mettre à la charge de la Chambre de commerce, d'industrie, des services et des métiers de Polynésie française la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le numéro 458356, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 12, 27 et 29 novembre 2021 et 14 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Egis Airport Operation et la Caisse des dépôts et consignations demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 28 octobre 2021 ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande présentée par la Chambre de commerce, d'industrie, des services et des métiers de Polynésie française ;

3°) de mettre à la charge de la Chambre de commerce, d'industrie, des services et des métiers de Polynésie française la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- le code de la commande publique ;
- la loi n° 2019-786 du 26 juillet 2019 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du ministre de la transition écologique, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la Chambre de commerce, d'industrie, des services et des métiers de Polynésie française (CCISM), à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Egis Airport Operation et de la Caisse des dépôts et consignations ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées le 18 février 2022 présentées, d'une part, par la ministre de la transition écologique et, d'autre part, par la société Egis Airport Operation et la Caisse des dépôts et consignations ;


Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois de la ministre de la transition écologique et de la société Egis Airport Operation et de la Caisse des dépôts et consignations sont dirigés contre la même ordonnance. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes de l'article L. 551-24 du code de justice administrative : " En Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés et contrats publics en vertu de dispositions applicables localement. / Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par ce manquement (...) / Le président du tribunal administratif peut être saisi avant la conclusion du contrat. Il peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. Dès qu'il est saisi, il peut enjoindre de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours. / Le président du tribunal administratif ou son délégué statue en premier et dernier ressort en la forme des référés. "

3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française que, par un avis publié au Journal officiel de la Polynésie française, le 15 novembre 2019, au Journal officiel de l'Union européenne et au Bulletin officiel des annonces des marchés publics, le 21 novembre 2019, et dans la revue spécialisée Air et Cosmos, le 29 novembre 2019, le ministère chargé des transports (direction générale de l'aviation civile) a lancé une consultation en vue de la passation d'une concession de service portant sur l'exploitation de l'aéroport de Tahiti Faa'a. La Chambre de commerce, d'industrie, des services et des métiers de Polynésie française (CCISM), la société Meridiam SAS, la société Aéroport Marseille Provence et la société Boyer ont décidé de soumissionner à cette procédure, dans le cadre d'un groupement momentané d'entreprises dénommé " Groupement TI'A " (" Tahiti International Airport "). Les membres du groupement ont été informés par courrier du 15 septembre 2021 du rejet de leur offre, classée en troisième position, et de l'attribution de la concession au groupement Egis Airport Opération / Caisse des dépôts et consignations. Par l'ordonnance attaquée, le juge du référé précontractuel, saisi d'une demande de la CCISM sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-24 du code de justice administrative, a annulé la décision attribuant cette concession au groupement Egis Airport Opération / Caisse des dépôts et consignations et rejeté le surplus de la demande de la CCISM.

Sur la régularité de la procédure :

4. Les décisions prises par le juge des référés sur le fondement des dispositions rappelées au point 2 sont rendues à la suite d'une procédure particulière qui, tout en étant adaptée à la nature des demandes et à la nécessité d'assurer une décision rapide, doit garantir le caractère contradictoire de l'instruction. Si les parties peuvent présenter en cours d'audience des observations orales à l'appui de leurs écrits, elles doivent, si elles entendent soulever des moyens nouveaux, les consigner dans un mémoire écrit. Le juge, qui ne saurait accueillir de tels moyens sans avoir mis le défendeur à même de prendre connaissance du mémoire qui les invoque, peut, compte tenu de ces nouveaux éléments, décider que la clôture de l'instruction n'interviendra pas à l'issue de l'audience mais la différer à une date dont il avise les parties par tous moyens. S'il décide de tenir une nouvelle audience, l'instruction est prolongée jusqu'à l'issue de cette dernière.

5. Après avoir, par une ordonnance du 8 octobre 2021, suspendu l'exécution du contrat jusqu'au 27 octobre suivant, le juge des référés s'est fondé, pour prononcer l'annulation de celui-ci, sur le moyen tiré de l'irrégularité de l'offre du groupement attributaire, soulevé par la CCISM dans un mémoire enregistré le 25 octobre 2021, quelques heures avant l'audience. Il ressort toutefois des énonciations de l'ordonnance attaquée que la clôture de l'instruction a été, à l'issue de l'audience, différée jusqu'au 26 octobre et qu'en outre, un mémoire en défense présenté pour l'Etat a été enregistré le 26 octobre 2021, avant la clôture de l'instruction. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'ordonnance attaquée aurait été rendue en méconnaissance du principe du contradictoire et des droits de la défense.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance :

6. En premier lieu, aux termes du point " 7.2 Présentation de la structure contractuelle " du guide de constitution des offres : " Le Candidat produira une note détaillée explicitant le montage juridique et financier envisagé pour l'exécution de la Convention de Concession et décrira de manière précise (à l'aide d'un schéma commenté) la structure contractuelle adoptée, les principaux contrats mis en place ainsi que l'identité des différents intervenants (actionnaires de la société concessionnaire, constructeurs, prêteurs, autres cocontractants) et leurs rôles dans la conception et la réalisation des Travaux Initiaux, le financement, l'exploitation de l'aérodrome, l'entretien, la maintenance et le gros-entretien et renouvellement des biens de l'aérodrome ". Aux termes du point " 7.3 Sous-contrats et risques résiduels " de ce même guide : " Le Candidat produira : les principaux termes et conditions des contrats que le Concessionnaire conclura pour les besoins de l'exécution de la Convention de Concession (ou la version intégrale de ces projets de contrats s'ils existent). Ces contrats incluent notamment les contrats relatifs au financement, à la conception, à la construction, à l'exploitation, à la maintenance, sans que cette liste soit limitative ; et les principaux termes et conditions de l'ensemble des polices d'assurances que le Candidat entend souscrire (article 84 du cahier des charges). Ces projets feront clairement apparaître les transferts de risques envisagés ainsi que les indemnités de résiliation demandées par les cocontractants du Concessionnaire ". Aux termes de l'article 9.6 : " Désignation du Candidat attributaire et rejet des offres des autres Candidats (...) Les Candidats évincés doivent libérer de tout accord d'exclusivité, sous quelque forme que ce soit, dans un délai de sept (7) jours à compter de la date à laquelle leur est notifiée la décision de rejet de leur offre, les prestataires avec lesquels ils ont contracté en vue de la remise de leur offre ".

7. En relevant, d'une part, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, qu'il résulte des termes de ce guide que les candidats devaient, à l'appui de leur offre, transmettre des éléments précis sur les contrats à conclure, comportant notamment, pour les constructeurs en charge de la conception et de la réalisation des travaux initiaux, l'indication de l'identité des futurs cocontractants, d'autre part qu'il n'était pas contesté que l'offre présentée par le groupement retenu à l'issue de la phase de sélection ne fournissait pas l'identité des cocontractants " constructeurs " pressentis et en écartant enfin comme inopérants les moyens tirés du risque de distorsion de concurrence et de la méconnaissance des dispositions de l'article 9.6 du règlement de la consultation, le juge des référés, qui a ainsi suffisamment motivé son ordonnance, a pu en déduire, sans commettre d'erreur de droit, que cette offre ne respectait pas ces conditions indiquées dans les documents de la consultation, qu'elle était donc irrégulière et devait par suite être éliminée.

8. En second lieu, en vertu des dispositions précitées de l'article L. 551-24 du code de justice administrative, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient dès lors au juge du référé précontractuel de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.

9. En jugeant que le fait de retenir une offre irrégulière était susceptible de léser le groupement auquel appartenait la CCISM, qui avait présenté une offre, le juge des référés n'a ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits. Au surplus, la circonstance qu'il n'ait pas tiré toutes les conséquences du manquement qu'il a retenu en se bornant à annuler la seule décision d'attribution de la concession au groupement irrégulièrement retenu sans annuler l'ensemble de la procédure au stade de l'analyse des offres est sans incidence sur le bien-fondé de l'appréciation qu'il a portée sur la lésion de la CCISM.

10. Il résulte de ce qui précède que la ministre de la transition écologique, d'une part, et la société Egis Airport Operation et la Caisse des dépôts et consignations, d'autre part, ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, de la société Egis Airport Operation et de la Caisse des dépôts et consignations une somme de 1 000 euros chacun à verser à la Chambre de commerce, d'industrie, des services et des métiers de Polynésie française, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la Chambre de commerce, d'industrie, des services et des métiers de Polynésie française qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : Les pourvois de la ministre de la transition écologique, de la société Egis Airport Operation et de la Caisse des dépôts et consignations sont rejetés.

Article 2 : L'Etat, la société Egis Airport Operation et la Caisse des dépôts et consignations verseront chacun à la Chambre de commerce, d'industrie, des services et des métiers de Polynésie française une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la ministre de la transition écologique, à la société Egis Airport Operation, à la Caisse des dépôts et consignations et à la Chambre de commerce, d'industrie, des services et des métiers de Polynésie française.
Délibéré à l'issue de la séance du 18 février 2022 où siégeaient : M. Olivier Japiot, président de chambre, présidant ; M. Gilles Pellissier, conseiller d'Etat et M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 2 mars 2022.



Le président :
Signé : M. Olivier Japiot
Le rapporteur :
Signé : M. Frédéric Gueudar Delahaye
La secrétaire :
Signé : Mme B... A...